Canada: un an après la visite du pape, où en est la réconciliation?
Le pape François a fait, du 24 au 29 juillet 2022, un voyage «expiatoire» au Canada. Un an après, le processus de réconciliation a progressé, mais le chemin est encore long.
Le 26 juillet à Maskwacis, dans l’Etat canadien du Manitoba, le pape François prononçait le premier discours de sa visite, durant lequel il a demandé pardon «avec honte et clarté», pour «le mal commis par de nombreux chrétiens contre les peuples autochtones». Des paroles historiques saluées par plusieurs salves d’applaudissements.
Le pontife était venu spécialement pour présenter des excuses relatives au comportement de l’Eglise dans le passé du pays. Une polémique ressurgie suite à la découverte de nombreuses tombes aux alentours d’anciens pensionnats pour enfants autochtones, dans plusieurs lieux du Canada. On estime à 150’000, le nombre d’enfants amérindiens contraints de fréquenter ces instituts, après avoir été séparés de force de leur famille. Beaucoup sont morts de mauvais traitements, de maladie et de privations, dans ces établissements où l’on s’efforçait de leur inculquer la culture occidentale. Plus de 60 % de ces lieux étaient gérés par l’Église catholique. Le rappel de cette histoire dramatique avait causé au Canada une vague de protestations et de violences contre les symboles du catholicisme.
Pas de réconciliation sans excuses
Lors de sa visite, le pape François a insisté sur le fait qu’il regrettait le rôle joué par l’Église dans la destruction culturelle et l’assimilation forcée des peuples autochtones, qui ont culminé dans les pensionnats.
Les demandes de pardon ont reçu un accueil mitigé, note le média canadien CBC le 23 juillet 2023. De nombreux autochtones ont déclaré que ces excuses étaient nécessaires, en particulier pour les survivants des pensionnats, car elles signifiaient que le chef spirituel de l’Église catholique reconnaissait enfin les torts commis. D’autres ont cependant reproché à François de ne pas aller assez loin, exigeant des actes au-delà des paroles. D’autres encore ont appelé à ce que les peuples et les organisations autochtones se désengagent complètement de l’Église.
«François a orienté le navire vers la réconciliation, Mais l’Église doit maintenant reconnaître la souveraineté indigène»
Paul Gareau
Pour Phil Fontaine, ancien chef national de l’Assemblée des Premières Nations interrogé par CBC, les excuses ont été extrêmement importantes. Le représentant autochtone est lui-même un rescapé des pensionnats et s’est battu toute sa vie pour la réparation, autant de la part de l’Etat que de l’Eglise. Il a ainsi été une cheville ouvrière de la visite du pape. «Sans excuses, il serait impossible de pardonner, et sans pardon, il ne peut y avoir de véritable guérison», souligne-t-il.
«Les excuses n’ont peut-être pas été acceptées par tout le monde, mais l’appel au pardon de François n’est qu’une partie du chemin que l’Église doit parcourir», explique Phil Fontaine.
Le processus doit se faire sur le terrain
«Le véritable travail de réconciliation se fait jour après jour sur le terrain», confirme Mgr Donald Bolen, archevêque de Regina (Saskatchewan). Il a qualifié la visite du pape et ses excuses de «revigorantes». Tout en insistant sur le fait, qu’après le départ du pape, il soit devenu encore plus important pour l’Église de passer à l’action.
«Le pape François a demandé aux catholiques canadiens de s’engager sur quatre points, rappelle le prélat: veiller à ce que l’histoire soit racontée avec sincérité; soutenir la langue, la culture et les traditions autochtones; être un allié dans la poursuite de la justice; et apprécier la sagesse autochtone pour prendre soin de la terre et de l’environnement». »Il est plus facile de le dire que de le faire», admet toutefois Mgr Bolen.
L’évêque de Regina s’est penché sur les réalisations de l’Église au cours des douze derniers mois. Il relève que de nombreux diocèses, dont le sien, ont travaillé sur l’accès aux archives. Des camps culturels ont bénéficié d’un soutien financier et la Conférence des évêques catholiques du Canada a lancé une campagne nationale de collecte de fonds. Début 2023, le Vatican a officiellement dénoncé les bulles papales du XVe siècle qui ont servi de base à la ‘doctrine de la découverte’, laquelle légitimait l’accaparement des terres indigènes.
Changer les coeurs des catholiques
Selon Mgr Bolen, la tâche quotidienne et difficile des Églises au niveau local consistera à établir des relations avec les populations autochtones, à les écouter attentivement et à apprendre à marcher ensemble pour améliorer la société. Mais il reconnaît que tous les catholiques non autochtones ne se sont pas engagés dans la réconciliation de la même manière. Les changements dans la société se produisent sur une longue période, remarque-t-il.
Pour Paul Gareau, doyen associé des études autochtones à l’Université de l’Alberta et lui-même d’origine amérindienne, l’Église s’est comportée «comme un mauvais parent», au Canada, ce qui rend les trahisons «encore plus dévastatrices». Le professeur se dit à la fois «confus et plein d’espoir» un an après la visite pontificale.
«François a déclaré dans ses excuses que le plus grand mal est l’indifférence, et qu’il appartient maintenant à l’institution catholique de travailler au démantèlement de 400 ans de mentalité coloniale à l’égard des peuples indigènes».
Paul Gareau évoque Vatican II, qui a considérablement modernisé les pratiques de l’Église afin de répondre aux changements culturels survenus au début des années 1960. «François a orienté le navire vers la réconciliation, estime-t-il. Mais l’Église doit maintenant reconnaître la souveraineté indigène, ce qui implique d’établir des relations diplomatiques et de restituer les terres.»
Cela signifie également, pour l’universitaire, »qu’il faut changer le cœur et l’esprit des catholiques et démanteler le racisme structurel anti-autochtone – un travail qui ne peut et ne doit pas reposer sur les autochtones eux-mêmes». (cath.ch/cbc/arch/rz)