Cameroun: le mystère plane toujours sur la mort de Mgr Bala
La mort mystérieuse de l’évêque camerounais Jean-Marie Benoît Bala, début juin 2017, continue de faire des vagues dans le pays. Des proches du prélat accusent des présumés «lobbies sataniques» de viser les membres de l’Eglise catholique au Cameroun.
Le corps de l’évêque de Bafia, au centre du Cameroun, avait été repêché le 2 juin 2017 dans le fleuve Sanaga, deux jours après sa disparition. Le procureur de la République du Cameroun avait ouvert une enquête judiciaire pour «mort suspecte». Il a cependant conclu, après une autopsie officielle, à une probable mort par noyade.
L’Eglise «livrée aux forces des ténèbres»?
L’Eglise locale a jusqu’ici rejeté formellement ces conclusions, estimant que Mgr Bala avait probablement péri de la main d’une ou de plusieurs personnes et que son corps avait ensuite été jeté dans l’eau. Elle a porté plainte contre X.
«Qui tue les prêtres dans le pays?»
«Notre Eglise est livrée aux forces des ténèbres par des faux membres de cette même institution: des bienfaiteurs hypocrites et de soi-disant sympathisantes qui veulent détruire l’Eglise de l’intérieur», a affirmé Mgr Joseph Akonga Essomba lors des funérailles de Mgr Bala. Ces dernières se sont déroulées deux mois après la découverte du corps du prélat, en la cathédrale de Yaoundé, la capitale du pays. L’Eglise avait reporté la cérémonie dans l’attente de réponses claires des services légistes concernant les causes de sa mort.
Le climat social se trouble
Les propos de Mgr Akonga Essomba, un proche du défunt évêque, ne sont pas restées inaperçues et ont été largement relayées par les médias locaux. Le secrétaire général de la Conférence épiscopale du Cameroun avait conclu son discours en demandant: «Qui tue les prêtres dans le pays? Je me tourne vers ceux qui se tiennent dans l’ombre et sont enclins à faire le mal: en quoi l’Eglise catholique vous gêne-t-elle?» L’audience rassemblée dans la cathédrale avait régulièrement interrompu le responsable d’Eglise par des applaudissements nourris.
«La perception des gens n’est plus la même, ils commencent à se rebeller et à demander justice»
La presse camerounaise a souligné que Mgr Akonga était même allé plus loin que les positions de la Conférence épiscopale. Cette dernière avait parlé dès le début d’un «assassinat brutal» perpétré par des lobbies sataniques. Les paroles de l’ecclésiastique ont suscité de nombreuses hypothèses. L’une des plus populaires au sein des médias du pays désignait de présumés lobbies homosexuels à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise. L’affaire a en tout cas provoqué l’embarras du gouvernement, conscient que ces rumeurs venaient compliquer une situation sociale déjà tendue.
Terrorisme et séparatisme
Le Cameroun est parfois appelé «Afrique en miniature», eu égard aux plus de 200 langues qui sont parlées sur le territoire et de la grande hétérogénéité de sa société. Le pays est reconnu pour ses bons résultats, au niveau du continent, sur le plan de la croissance économique et du développement. Il bénéficie d’un très haut niveau d’éducation et d’un climat social relativement stable et paisible.
Cette situation a toutefois quelque peu changé ses derniers temps, avec le surgissement de plusieurs motifs d’inquiétude, qui ont été à l’origine d’un malaise social dans ce pays de 23 millions d’habitants.
Mgr Bala voulait faire la transparence dans la gestion de l’argent
La nation a tout d’abord ressenti la pression exercée par la minorité anglophone du nord-ouest, qui se sent exclue et discriminé, dans un pays où le français est majoritairement parlé. Le Cameroun a été fondé en 1961 suite à l’unification de deux anciennes colonies britannique et française. Les provinces du nord et du sud-ouest, qui représentent 20% de la population, ont toujours parlé l’anglais.
Egalement dans le nord, la secte islamiste nigériane Boko Haram lance depuis 2015 des attaques terroristes. Ces dernières ont fait des centaines de morts et forcé 250’000 personnes à fuir.
Meurtres en série au sein de l’Eglise
Dernièrement, une vague de meurtres de membres de l’Eglise catholique a troublé le pays. Beaucoup de ceux-ci n’ont pas été résolus.
Emmanuel Ngah Obala, un Camerounais vivant à présent en Italie et qui a été proche de Mgr Bala, indique que ces mystérieux meurtres de prêtres, de religieux et de laïcs se déroulent depuis des décennies. Il explique cependant qu’après le décès de l’évêque de Bafia, quelque chose a changé: «La perception des gens n’est plus la même, ils commencent à se rebeller et à demander justice».
La liste des membres de l’Eglise tués est vraiment longue. Remontant à 1988, elle contient une quinzaine de personnalités qui ont été clairement assassinées ou dont la mort est particulièrement suspecte.
Appel à un président controversé
«Il n’y a jamais eu de problème au Cameroun entre l’Eglise et l’Etat, explique Ngah Obala. Mais le fait que la lumière n’ait jamais été faire sur ces meurtres préoccupe beaucoup la population». Il assure que Mgr Bala était très attaché à la dimension pastorale et qu’il ne s’était jamais exposé politiquement. Le jour qui a précédé sa disparition, il avait dit à la religieuse qui l’assistait qu’il devait porter une lettre à l’archevêché de Yaoundé. Ngah Obala suppose qu’il voulait se plaindre de quelque chose, mais il ignore de quoi.
L’Eglise camerounaise a directement demandé au président Paul Biya de rendre la justice dans ses affaires. L’ancien séminariste, au pouvoir depuis 35 ans, est cependant un politicien controversé. Il est accusé d’avoir à maintes reprises manipulé la législation pour se maintenir à la tête du pays.
Une source dans la diaspora camerounaise confirme que Mgr Bala était un prélat intègre et soucieux du bien être de ses fidèles. A l’intérieur de la communauté catholique, il plaidait pour une responsabilité collective du budget et de la réception des dons. Il voulait impliquer les fidèles dans la gestion, afin que les procédures soient transparentes. La source affirme ainsi que «c’est peut-être exactement cela qui a ennuyé quelqu’un». (cath.ch/vi/arch/rz)