Café scientifique: à la recherche de l’aumônerie de demain
«Un art de la rencontre». C’est ainsi que le métier d’aumônier a été décrit lors du Café scientifique consacré à cette thématique, le 9 avril 2025, à Fribourg. Les discussions ont rappelé l’importance d’un service dépassant largement l’aspect purement religieux.
Ils avaient perdu leur petite fille après seulement deux mois de vie. L’aumônière qui accompagnait les parents était très touchée par l’épreuve qu’ils traversaient, notamment lorsqu’ils ont dû choisir entre laisser leur enfant partir ou la maintenir en vie, malgré ses intenses souffrances.
L’histoire vécue par cette aumônière, que rapporte Mallory Schneuwly Purdie, a beaucoup marqué cette dernière. Pour la maître-assistante au Centre suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg (CSIS), le cas illustre la dureté des expériences auxquelles sont souvent confrontés les accompagnants spirituels.

La prière et le soutien comme piliers
Comment gérer cette difficulté humaine? Telle a été l’une des questions débattues lors de ce Café scientifique, organisé par l’Université de Fribourg en partenariat avec cath.ch. Le panel de quatre spécialistes de l’aumônerie en Suisse romande a fructueusement échangé sur le sujet avec la cinquantaine de personnes présentes dans la salle du café du Nouveau Monde, sous la modération de Fabien Hunenberger, directeur de Cath-Info.
«Accepter son impuissance», a suggéré Nida Errahmen Ajmi, concernant les ressorts psychologiques nécessaires pour accompagner les personnes tout en se protégeant soi-même de la lourdeur des situations. Pour la première aumônière musulmane de l’armée suisse, il est essentiel de «se ressourcer spirituellement de façon régulière, afin de pouvoir vibrer quelque chose qui aidera la personne».

L’aumônière réformée Tania Guillaume a, pour sa part, rappelé l’importance d’une vie de prière. Des ‘supervisions’ proposées par des institutions ayant recours à l’aumônerie, notamment l’Hôpital fribourgeois (HFR), peuvent aussi aider.
Talitha Cooreman-Guittin a soutenu à quel point, dans ce domaine, l’équipe était primordiale. «Il ne faut jamais rester seul».
Pas d’autre objectif que la personne elle-même
Le panel de spécialistes était composé de Talitha Cooreman-Guittin, professeure de théologie pratique à l’Université de Fribourg, Mallory Schneuwly Purdie, maître-assistante, au Centre suisse Islam et Société, Nida Errahmen Ajmi, aumônière militaire et coordinatrice d’un CAS sur l’accompagnement spirituel musulman dans les institutions publiques et Tania Guillaume, aumônière à l’Université de Fribourg et aux soin palliatifs de l’Hôpital fribourgeois.
Une grande partie de ce Café scientifique s’est attaché à définir les contours de l’aumônerie. Que signifie ce service? Où commence-t-il, où s’arrête-t-il? «Il s’agit d’aider la personne à se relever tout en préservant son autonomie», a insisté Nida Errahmen Ajmi.
«Le fait d’être un tiers, une personne externe, peut amener le bénéficiaire à s’inspirer lui-même», a souligné Mallory Schneuwly Purdie. «Ce qui est sûr, c’est que l’expression de ‘sapeurs-pompiers spirituels’, comme j’ai pu l’entendre, ne me semble pas adéquate», s’est amusée Talitha Cooreman-Guittin, repoussant l’idée que les aumôniers sont là pour «sauver».

Les spécialistes sont tombés d’accord sur le fait que le travail d’aumônier allait bien au-delà d’un service après-vente de la religion. La dimension spirituelle, toujours présente quoiqu’il en soit, pouvant revêtir maints aspects.
À l’armée, Nida Errahmen Ajmi est surtout en présence de personnes déstabilisées face à un environnement nouveau et en quête de sens. «Il s’agit alors plutôt d’amener la personne à trouver des ressources internes, en regardant ses propres valeurs, sa relation à la communauté, l’amener à croire en elle-même, à faire confiance à l’univers.»
«La grande majorité des personnes que nous rencontrons sont éloignées des Églises, a renchéri Tania Guillaume. Il faut les accompagner avec ce qu’elles sont, il n’y a pas d’autre objectif qu’elles-mêmes.»
L’aumônier, un psy avec une Bible?
Mallory Schneuwly Purdie a relevé le changement sociétal en la matière, alors qu’aujourd’hui près de 40% des habitants de la Suisse se déclarent sans appartenance religieuse. «Ce qui ne veut pas dire sans spiritualité». Mais alors qu’à l’époque, le service d’aumônerie était principalement exercé par des prêtres, le secteur est aujourd’hui l’apanage des laïcs. Les institutions de la société font cependant toujours appel aux Églises reconnues de droit public. «Il faut d’ailleurs saluer en cela l’État, qui perçoit la nécessité d’accompagner les personnes au-delà du simple biologique», a remarqué Talitha Cooreman-Guittin.
La question de la spécificité des aumôniers face aux autres «médecins de l’esprit» profanes a ainsi été posée par un participant. «Je crois que les personnes font appel à des aumôniers parce qu’ils recherchent justement cet aspect religieux», a interrogé l’homme. Faut-il craindre une forme «d’effacement» volontaire de l’appartenance confessionnelle?

Tania Guillaume a relevé l’existence d’une aumônerie «humaniste» et du fait que, dans certains endroits, des «philosophes» ont pu exercer cette fonction. «Un philosophe ferait certainement aussi bien le job, a relevé la réformée. Mais ce que l’aumônier croit, à la rigueur, on s’en fiche, parce que nous ne sommes pas là pour nous-mêmes, mais pour les personnes.»
S’accorder aux besoins du réel
Talitha Cooreman-Guittin a toutefois jugé normal que les Églises de droit public aient des prérogatives en la matière. Notamment parce que, lorsqu’il s’agit d’accompagner sur le terrain spirituel, les compétences théologiques sont importantes.
«En fait, nous sommes juste des aumôniers avec une certaine origine confessionnelle, a rebondi Nida Errahmen Ajmi. Nous accompagnons tout le monde, sans mettre en avant notre religion.»
Cela, même si, pour la musulmane, la question du profil des aumôniers reste ouverte. Les spécialistes ont convenu que l’accompagnement spirituel aura peut-être un visage très différent dans le futur. «L’aumônerie se transforme, elle évolue d’après la société. Ce qui est sûr, c’est qu’elle doit toujours s’accorder aux besoins du réel», a souligné Nida Errahmen Ajmi. (cath.ch/rz)