C. Godel: «Pour comprendre la synodalité, il faut la pratiquer»
Arpenter d’ores et déjà le chemin synodal, plutôt que de simplement le tracer. Telle est la conviction de l’abbé Christophe Godel, qui s’efforce de vivre concrètement la démarche dans son contexte pastoral, à La Chaux-de-Fonds.
Christophe Godel, prêtre modérateur de l’Unité pastorale des Montagnes neuchâteloises (région de La Chaux-de-Fonds), est intéressé de longue date par la synodalité. L’ancien vicaire épiscopal pour le canton de Vaud explique à cath.ch son engagement, ses réflexions, ses attentes pour le synode sur l’avenir de l’Église, lancé par le pape François en octobre 2021.
Quel est votre degré d’implication dans le chemin synodal?
Christophe Godel: En fait, la synodalité est un thème qui me travaille depuis longtemps, bien avant la convocation du Synode par le pape. Lorsque j’étais vicaire épiscopal, à Lausanne, nous étions plusieurs à considérer la synodalité comme une notion-clé pour avancer dans la pastorale. Dès 2018, nous nous sommes mis à y réfléchir au sein d’un petit groupe, où il y avait Philippe Becquart (…), Grégory Solari et Béatrice Vaucher.
«Les Montagnes neuchâteloises sont une zone assez idéale pour expérimenter la synodalité»
Donc, lorsque le pape François a annoncé le Synode, on s’est vraiment dit qu’on était dans le bon filon et que c’était bien d’avoir quelques pas d’avance. Donc, nous avons approfondi tout cela, et dans un deuxième temps, avons tenté de le mettre en pratique.
Je fais aussi partie du groupe de réflexion pour la région diocésaine Neuchâtel.
De quelle façon mettez-vous en pratique la synodalité?
Dans le canton de Vaud, nous avions déjà commencé à travailler avec des équipes pastorales sur des questions de synodalité. Maintenant que je suis dans l’UP des Montagnes neuchâteloises (depuis 2021), j’essaye de voir ce qui est faisable au niveau d’une paroisse, d’une UP. Les Montagnes neuchâteloises sont une zone assez idéale pour cela, au niveau de la taille, de la souplesse d’organisation…
J’expérimente donc de mon côté, tout en gardant le lien avec mon premier groupe, surtout Grégory Solari et Philippe Becquart, pour échanger sur nos expériences. En plus, Philippe Becquart est le cousin de Nathalie Becquart, qui est sous-secrétaire du Synode des évêques. Cela permet d’avoir quelques retours intéressants, car il leur arrive d’échanger entre eux.
Comment se passe concrètement les expérimentations dans les paroisses?
Principalement, nous pratiquons un exercice de discernement communautaire appelé la ‘conversation dans l’Esprit’. Pour moi, c’est vraiment un exercice fondamental, qui est au centre de la démarche synodale. C’est cela qui nous fait le plus entrer dans la synodalité et nous montre dans quelle direction avancer.
«Pour moi, le slogan-clé de la synodalité est ‘learning by doing’»
Nous pratiquons la ‘conversation dans l’Esprit’ à plusieurs niveaux: dans l’équipe pastorale, les conseils, les groupes de jeunes… Et nous avons fait avec l’UP, une fois par an ces trois dernières années, une grande assemblée de tous les gens voulaient faire cet exercice.
Comment fonctionne cette ‘conversation dans l’Esprit’?
Nous prenons un thème de base lié à un texte lu ensemble. Puis, nous faisons un moment de silence pour laisser ce texte résonner en nous. Il y a un tour de table où chacun rapporte ce qu’il ressent par rapport à la lecture. Chacun écoute sans faire de commentaire. Cela est suivi par un deuxième temps de silence où nous essayons de repérer les convergences et quelle est la conviction qui grandit en nous. Au terme de la rencontre, nous savons dans quelle direction aller. L’étape suivante, c’est de mettre cela en pratique et de voir si cela se confirme dans les faits.
La ‘conversation dans l’Esprit’ est très bien expliquée dans le document de travail (Instrumentum laboris) du Synode. Elle y est présentée comme l’exercice central du chemin synodal. Et je pense que la référence est vraiment là maintenant.
Qu’avez-vous principalement appris de ces exercices?
Pour moi, le slogan-clé de la synodalité est «learning by doing». Il faut pratiquer pour vraiment comprendre. Et après, on peut partager l’expérience avec les autres.
«Le cœur de ce qui est en train de se passer ne sera pas vraiment les thèmes, mais la manière de les aborder»
Mais ces expériences rappellent aussi que l’Église est avant tout une œuvre de Dieu. Ce que la synodalité met tout d’abord en lumière, c’est comment collaborer avec l’Esprit saint, et lui donner la possibilité d’agir dans ce qu’il y a de plus central: la communion, qui est la définition-même de l’Église. Et après de nous donner les lumières dont nous avons besoin, l’envie de participer, de partager avec les autres, d’être missionnaire…c’est tout cela qui se passe lorsque l’on vit bien la synodalité.
Qu’avez-vous pensé de la première phase du Synode, qui s’est déroulée à Rome cet automne?
Le plus intéressant était d’entendre les retours des représentants lors des conférences de presse. On ressentait à quel point ils étaient impressionnés de ce qu’ils vivaient, qui les marquait, les bouleversait. Avec toujours ce même message: «Nous sommes en train de vivre l’Église et même si nous venons d’endroits différents, nous partageons cela et il en sort quelque chose de constructif, et nous allons le partager en retour quand nous rentrerons chez nous.»
Et je pense que c’est le cœur de ce qui est en train de se passer. Ce ne sera pas vraiment les thèmes ou les réponses à apporter à telle ou telle situation, mais la manière de les aborder, de donner à chacun sa place. Car l’une des choses les plus fortes dans la synodalité, c’est la confirmation que l’Église est faite de toute la diversité des charismes et des vocations. Et les ministères ordonnés en sont une parmi d’autres qui ont leurs fonctions propres. C’est en permettant à tout le monde de vraiment prendre sa place, de participer, que l’Église peut donner le meilleur d’elle-même.
Comment se prépare-t-on, en Suisse, à la phase finale du Synode, qui se déroulera en octobre prochain à Rome?
D’après ce que m’a expliqué le secrétaire général de la Conférence des évêques suisses (CES), Davide Pesenti, les documents reçus du Synode ont été envoyés à tous les diocèses pour une phase de consultation, avec la possibilité de partager les bonnes expériences. Et je pense que ce sera intéressant que chacun puisse témoigner d’une belle réalisation sur le plan de la synodalité. Une synthèse sera faite au niveau suisse de ce qu’auront fait les groupes sur l’un des thèmes du Synode. À partir de tout cela, les responsables synodaux prépareront la deuxième phase.
Le délai est certes un peu court, parce que localement, nous devrons rendre réponse mi-mars.
Avez-vous des attentes concrètes pour la phase finale? Par exemple à l’image du chemin synodal allemand, qui a fait toute une liste de doléances?
Pour moi, le problème du chemin synodal allemand, c’est que sous le mot ‘synode’, ils font de la démocratie. Il y a des débats d’idées, des listes de choses à changer, des recherches de solutions, mais je ne vois pas le travail de discernement qui essaye d’écouter l’Esprit saint. Celui-ci ne peut pas être en contradiction avec l’enseignement de l’Église.
«Ce n’est certainement pas un hasard si le désir du pape a été que 2024 soit une année consacrée à la prière»
Si l’on fait un vrai exercice synodal avec cette ‘conversation dans l’Esprit’, je n’ai aucune crainte. Sinon, c’est là qu’apparaîtront les risques de tensions, de divisions.
Pensez-vous que le risque de schisme soit réel?
Pour l’éviter, une des clés sera la prière. Parce que la prière nous met en contact avec Dieu, nous donne le sens de Dieu. S’il y a une vraie vie spirituelle, on repère plus facilement les dangers menant à la confusion, à la division.
Et ce n’est certainement pas un hasard si le désir du pape a été que 2024 soit une année consacrée à la prière.
Certains disent ainsi que la récente déclaration autorisant la bénédiction des couples homosexuels a semé la confusion, qu’elle n’était pas dans l’esprit de la synodalité?
Après avoir lu plusieurs fois le texte (de Fiducia supplicans, décembre 2023) et les explications données a posteriori, j’ai l’impression qu’il y a quand-même eu un discernement. Les demandes des diverses Églises ont été écoutées. On a essayé de trouver un chemin permettant à ceux pratiquant déjà ces bénédictions de continuer à le faire, tout en y mettant des garde-fous. Et il s’agissait en même temps d’assouplir l’esprit de ceux qui stigmatisent, qui sont trop durs ou rigides face à certaines situations de vie, de leur dire: Dieu est bon et il faut refléter cette bonté et prier avec ces personnes, sans les rejeter.
«Ce chemin nous a déjà aidés, et nous aidera certainement encore plus à transformer notre manière de voir»
Cela peut faire avancer l’Église, et en cela, je ne vois pas de contradiction avec la synodalité.
Mais le pape François a accepté que Fiducia supplicans ne soit pas mise en pratique en Afrique. Cela n’enfreint-il pas le principe d’universalité de l’Église?
L’autonomie des Églises locales dans certains domaines est déjà depuis longtemps une réalité. Il y a une latitude laissée aux conférences épiscopales et aux évêques diocésains. Et l’universalité de l’Église n’est pas sur tout, ce n’est pas une uniformité, c’est l’harmonie d’un certain nombre de différences.
Pensez-vous que le Synode pourra changer l’image de l’Église, à l’extérieur comme à l’intérieur?
Je pense qu’une des grandes difficultés du message de l’Église dans les médias est qu’on lui demande de répondre par «oui» ou «non», de dire si cela est «noir» ou «blanc». Le sens de la nuance et de l’ouverture qui existe dans l’Église ne sera jamais facile à faire passer à l’extérieur.
Mais sur le plan intérieur, le Synode a certainement beaucoup à nous apporter. Dans les conférences de presse, certains disaient: on comprend mieux le point de vue de l’autre lorsqu’il nous l’explique à partir de son contexte. Ce chemin nous a déjà aidés, et nous aidera certainement encore plus à transformer notre manière de voir, à mieux nous écouter et nous comprendre, à nous convertir à l’autre… (cath.ch/rz)