Églises évangéliques de Sao Paulo, les femmes noires majoritaires
Plus de la moitié des fidèles des Églises évangéliques de Sao Paulo, au Brésil sont aujourd’hui des femmes noires. De quoi déconstruire l’image d’une religion souvent associée à la population blanche.
Jean-Claude Gerez pour cath.ch
Pendant toute son enfance, Joilma a fréquenté avec sa famille une Église Baptiste évangélique de la banlieue de Sao Paulo. Cette femme noire, aujourd’hui âgée de quarante ans, y a forgé une partie de ses valeurs chrétiennes: tolérance, respect, amour de son prochain… «Le dimanche, nous allions à l’Église et, après le culte, j’aimais discuter avec un jeune garçon blanc de mon âge. L’intérêt était réciproque et tout le monde se rendait compte que nous nous appréciions.» Trop, selon les parents du gamin. «Un jour, sa mère a appelé la mienne pour lui dire que j’étais noire et que son fils méritait mieux.»
De son propre aveu, il a fallu plus de 25 ans à Joilma pour franchir de nouveau le seuil d’une Église évangélique. «J’avais gardé le sentiment que les Noirs n’y étaient pas les bienvenus, que les Églises évangéliques étaient réservées aux Blancs, qu’ils soient pasteurs ou fidèles.» Mais Joilma a changé d’avis en étant entrainée -un peu contre son gré- par une amie à l’église Renaissance en Christ de Santo Amaro, une petite ville ouvrière située au sud-ouest de Sao Paulo. Et là, c’est la surprise. «Lors du culte, j’ai vu qu’une grande partie des fidèles étaient des femmes noires. Mieux, la pasteure aussi était noire! Je me suis sentie de nouveau accueillie, dans un univers désormais moins hostile.»
Un quart d’évangéliques à Sao Paulo
À Sao Paulo, mégapole de plus de 12 millions d’habitants, une personne sur quatre se déclare évangélique, et 58% des fidèles sont des femmes noires, comme l’indique une étude publiée en juillet par l’Institut Data Folha. Ces fidèles sont en majorité issus de familles modestes dont le revenu ne dépasse pas trois salaires minimaux, soit l’équivalent de 654 francs. Des chiffres tout sauf surprenants pour Lamia Oulalou, journaliste spécialiste de l’Amérique latine et auteure du livre Jésus t’aime, la déferlante évangélique (Cerf). «La majorité des fidèles des Églises évangéliques sont des femmes pauvres. Or la majorité des pauvres au Brésil est noire et la majorité des Noirs sont pauvres.»
De petits temples disséminés dans les quartiers
L’enquête révèle aussi que 71% des fidèles fréquente des temples de petite taille, qui peuvent contenir jusqu’à 200 personnes, très présents dans les périphéries. «Il y a une très grande capillarité des Églises évangéliques, poursuit Lamia Oualalou. Même s’il existe d’immenses temples, la majorité des lieux de cultes sont petits, modestes et implantés au cœur des favelas et des quartiers populaires. Ce sont souvent d’anciens bars, ateliers, cinémas dans lesquels sont disposés quelques chaises en plastique», où la chaire est souvent improvisée et l’Évangile prêché sans attachement majeur à la formalisation. «Ces structures réunissent des habitants d’un même quartier, parfois touché par l’insécurité. Du coup, les femmes notamment, voient dans ces lieux sécurisés, la possibilité, au-delà de la pratique spirituelle, d’y faire garder leurs enfants, quand elles travaillent ou simplement d’avoir une vie sociale.»
Évangéliques de naissance
Autre évolution notable révélé par l’étude: on devient de moins en moins évangélique par conversion. 40% des personnes interrogées ont déclaré avoir fréquenté une Église évangélique depuis leur naissance ou avant l’âge de 12 ans. Et 58% des fidèles des Eglises évangéliques disent n’avoir jamais eu d’autre religion avant. Et lorsque c’était le cas, ils fréquentaient en majorité l’Église catholique (38%), le reste provenant d’autres religions comme l’umbanda, le candomblé, le spiritisme et le bouddhisme. Pour la sociologue Christina Vital qui a supervisé l’enquête, «on peut parler de ‘fidèles d’évangéliques de berceau’, c’est-à-dire une génération qui a grandi sous les auspices de cette foi».
Une miraculée
Marcella Santos en fait partie. Cette femme noire de 37 ans a lié sa vie à l’Église évangélique avant même de comprendre ce qu’était la religion. «Je suis née avec une perforation de l’œsophage. Cette difformité qui n’avait aucun remède me faisait recracher tout ce que j’ingurgitais, en commençant par le lait que je tétais.» Les médecins avaient même annoncé à sa mère que les jours du bébé étaient comptés. «Et je suis là, 37 ans plus tard, à vous parler. Et Tout cela grâce à Dieu», assure t-elle.
En recevant le diagnostic, la mère a en effet cherché du secours auprès de toutes les religions, depuis l’Église catholique jusqu’au kardecisme, en passant par l’umbanda. «Dans cette quête désespérée, un jour, ma mère a poussé la porte d’un temple de la Communauté de Grâce, une Église évangélique charismatique. «Elle m’a raconté que le pasteur m’a pris à bout de bras et a demandé à l’église de prier pour un miracle de Dieu.» Pour rendre hommage à ce «jour béni», Marcella affiche sur le bras un tatouage du Lion de la tribu de Juda, qui dans la théologie chrétienne symbolise Jésus. Elle a depuis intégré l’Église Renaissance en Christ et elle s’y rend avec sa mère au moins une fois par semaine.
Des fidèles très pratiquants
La participation au culte est d’ailleurs un point souligné dans l’étude: «54% des fidèles vont à des services religieux plus d’une fois par semaine, expliquent les auteurs de l’enquête et 26% au moins une fois.» Des fidèles qui fréquentent en majeure partie (43%) des Églises pentecôtistes, une catégorie qui comprend l’Assemblée de Dieu, la Congrégation chrétienne du Brésil et Dieu est amour. Viennent ensuite les Églises néo-pentecôtistes (22%), comme l’Église Universelle du Royaume de Dieu et Renascer. «C’est une offre large pour répondre au mieux aux aspirations des femmes noires et pauvres qui fréquentent en majorité les Eglises évangéliques, rappelle Rodrigo Toniol, professeur d’anthropologie à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Un groupe de population qui est aussi le visage du Brésilien moyen aujourd’hui.» (cath.ch/jcg/mp)