Brésil: Le Synode pour l'Amazonie d'octobre prochain va-t-il créer le verbe «amazoniser» ?
C’est le mot qui risque d’être dans toutes les bouches d’ici quelques mois. D’après Marcia Maria de Oliveira, professeure à l’Université Fédérale de l’Etat du Roraima (UFRR), au nord du Brésil, le verbe «amazoniser» pourrait apparaître bientôt dans la grammaire de la langue portugaise, grâce au prochain Synode des évêques pour l’Amazonie.
«Les nombreux témoignages entendus lors des réunions préparatoires du Synode pour l’Amazonie ont mis à jour de nombreuses idées nouvelles. L’une d’entre elles est la pertinence de l’invention du verbe «amazoniser», assure Marcia Maria de Oliveira. La sociologue et docteure en Société et Culture d’Amazonie est également conseillère auprès du Réseau Ecclésial Panamazonien (Repam).
Pour la chercheuse, «amazoniser» est un verbe d’action qui indique d’abord «un vaste et intense processus d’étude et de connaissance de l’Amazonie». Et de souligner que de nombreuses voix de sont élevées durant les réunions préparatoires au Synode, y compris dans les petites communautés, pour assurer qu’il «faut connaître l’Amazonie pour l’aimer, la protéger et la défendre».
«Amazoniser le monde»
Pour l’universitaire, «amazoniser» est, dans le champ politique, une réponse aux absurdités économiques de l’internationalisation de l’Amazonie. A l’inverse d’internationaliser l’Amazonie, de nombreuses voix proposent «d’amazoniser» le monde. Cela signifie charger de sens, de sensibilité, de contemplation, d’admiration et d’engagement, une œuvre de la Création, présente dans l’exhubérance de l’Amazonie. Cela fait référence également aux entités culturelles forgées à partir de la relation de respect et coexistence avec la nature.
«Dans cette perspective, la terre, la forêt et les cours d’eau symbolisent le locus de l’organisation sociale et politique, lieu de production et de transmission des pratiques durables que l’on trouve dans tous les coins de l’Amazonie».
«La terre n’est pas une propriété»
Marcia Maria de Oliveira rappelle également que pour les peuples d’Amazonie, la terre n’est pas une propriété, mais un espace de vie. «Ce n’est ni un terrain, ni un champ qui se négocie sur le marché de l’immobiler. C’est un territoire imaginé, senti et vécu. Un lieu de mémoire et de respect des ancêtres. C’est le lieu de l’agro-écologie, de l’extraction responsable des ressources, à des fins de survie, de pêche, de fêtes, de jeux et de danses traditionnelles».
La professeure estime d’ailleurs que «vivre avec la biomasse amazonienne représente un grand défi qui doit être réappris avec les peuples traditionnels de la région, et plus particulièrement avec les peuples indigènes, les paysans et les habitant qui vivent au bord des cours d’eau».
«Amazoniser», entre «résistance» et «Bien Vivre»
Autre sens possible du verbe «Amazoniser» ? «Dans de nombreux cas, il est évoqué dans le cadre de la mémoire de résistance à un processus intense de violences pratiquées contre l’Amazonie depuis la colonisation». Les rapports des chroniqueurs des premiers voyages des portugais et espagnols ont fait d’innombrables références à l’abondance d’aliments qu’ils ont trouvé dans les villages le long des fleuves qu’ils ont remontés, et la haute densité de population rencontrée. «Un Eden brusquement et violemment interrompu par la guerre, l’esclavage, l’idéologie religieuse et les maladies (…)».
Le verbe «amazoniser» représente également un projet de vie que les peuples amérindiens appellent le «Buen Vivir» (»Bien Vivre»). Il s’oppose au progrès technique et industriel développé en Amazonie par les grandes entreprises. «Ces dernières causent d’incommensurables dégradations de la nature et de la biosphère. Leur seul objectif est la mondialisation du marché économique, sans régulation externe, à même de créer de petites îles de richesse, mais également de larges et croissantes zones de misère, de pauvreté et d’exclusion sociale et économique», assure la conseillère du Repam.
«Élaborer une révolution»
Enfin, selon Marcia Maria de Oliveira, «amazoniser» représente le contrepied du développement au service de l’exploitation démesurée des ressources naturelles, de la concentration de la richesse et de la production croissante de la misère en Amazonie.
Dans cette perspective «ce verbe signifie élaborer, de forme participative et responsable, une révolution de la science, de la technologie et de l’innovation, avec le transfert et l’adoption de technologies appropriées en Amazonie capables de garantir la plénitude de la vie en commun, le respect et la réciprocité, bases d’une écologie intégrale proposée par le Synode pour l’Amazonie». (cath.ch/jcg/be)