Brésil: «L’arrestation du père Amaro est une machination»
Le Père José Amaro, curé de la paroisse de Santa Luzia, à Anapu, dans l’État du Para, au cœur de l’Amazonie brésilienne, a été arrêté le 27 mars et incarcéré et à la prison d’Altamira (État du Para). Il est accusé, notamment, d’invasions illégales de terres et d’extorsion de fonds. Son arrestation est dénoncée par la société civile et l’Église comme une manœuvre destinée à décrédibiliser cet ardent défenseur de la réforme agraire et des paysans sans terre.
Le religieux a été appréhendé à son domicile par à 5h30 du matin par plusieurs fonctionnaires de la Police Civile. Après une audition devant un juge, il a été placé en détention préventive à la prison d’Altamira, à une centaine de kilomètres au nord-ouest d’Anapu. Membre de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), ami de Sœur Dorothy Stang, la religieuse américaine, assassinée le 12 février 2005 par de grands propriétaires terriens, dont il a repris et poursuivi le combat, le père Amaro a été depuis, à de très nombreuses reprises, la cible de menaces de mort de la part de grands propriétaires terriens de la région.
Selon Rilmar Firmino, commissaire général de police, le curé d’Anapu est soupçonné d’être à la tête d’une «association de malfaiteurs en vue d’invasions de terres publiques et privées avec armes à feu», «d’extorsion de fonds auprès de propriétaires terriens», «de blanchiment d’argent», «de déforestation illégale» et de «harcèlement sexuel, vidéo à l’appui, à l’encontre d’une propriétaire terrienne en échange d’une promesse de ne pas envahir sa terre». Autant de charges compulsées dans un dossier de 300 pages, constitué au cours des huit derniers mois par la Police Civile.
Emprisonné sans preuve
C’est sur la base de ce dossier que le juge d’Anapu, André Monteiro Gomes, a expliqué le bien-fondé de la mise en détention préventive du père Amaro. «La mesure se justifie par la recherche de documents, d’objets et de quelque autre élément de preuve en relation avec les délits supposés, afin de récolter les preuves nécessaires». La Police soupçonne notamment le religieux d’avoir reçu de l’argent d’un propriétaire terrien afin de protéger sa propriété de toute invasion. Les virements, pour une somme globale de 29 000 réaux, auraient été réalisés sur le compte bancaire de la sœur du prêtre».
En attendant d’avoir accès au dossier détaillé, les membres de la Commission Pastorale de la Terre (CPT) de l’État du Para ont relevé que si les preuves devaient être réunies, c’est qu’il n’y en avait pas. Ces derniers ont par ailleurs été interpellé par les sources des supposées preuves ayant entraîné l’arrestation et l’incarcération du père Amaro. Dans un communiqué publié le 28 mars, la CPT souligne que «la juge qui instruit l’affaire a cité les dépositions d’une dizaine de grands propriétaires qui se sont présentés spontanément au commissariat pour accuser, sans donner de précisions, le père Amaro pour de supposées occupations de leurs terres. Sauf que ces accusations ne sont pas recevables comme preuves. D’autant que les grands propriétaires, ennemis déclarés du prêtre, ont été au commissariat avec l’intention claire de lui porter préjudice».
Volonté de nuire à la CPT
Toujours selon la CPT du Para, d’autres dépositions évoquées par la juge proviennent de personnes qui auraient participé à des occupations de terre de propriétés sur le territoire de la municipalité d’Anapu. Et qui, après coup, auraient marqué leur désaccord sur l’appui de la CPT apporté aux travailleurs ruraux, allant jusqu’à accuser le père Amaro de s’enrichir sur la vente de lots de terres de ces propriétés. «Là aussi, les accusations sont portées sans fondement ni preuves matérielles», martèle le communiqué.
Les membres de la CPT du Para poursuivent: «Tout le monde sait que la CPT défend les Projets de Développement Durables (PDS) qui favorisent une activité agricole raisonnée et la préservation de la forêt. Mais beaucoup s’opposent à cette philosophie portée par la CPT. Ils finissent par être influencés et sont donc allés jusqu’à déposer des plaintes contre le père Amaro en tentant, à travers lui, de porter préjudice au travail réalisé par l’entité».
«Le père Amaro est victime de diffamation»
Ce sentiment de machination pour décrédibiliser le religieux est largement partagé. En commençant par celui-là même qui l’a nommé à ce poste, en 1998. «La semaine sainte a commencé dans une grande souffrance avec l’arrestation du père Amaro, a ainsi expliqué Mgr Erwin Kraütler, évêque émérite de la prélature du Xingu, après l’avoir administrée pendant près de 35 ans et Président du Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI). Nous manifestons notre solidarité fraternelle à cet infatigable défenseur des droits humains, de la régularisation foncière, de la réforme agraire et des campements de paysans sans-terre».
«Après avoir été la cible de menaces de mort pendant des années, poursuit le prélat, le père Amaro est aujourd’hui victime de diffamations dont l’objectif est de délégitimer son engagement auprès des plus défavorisés. Nous rejetons les accusations selon lesquelles il promeut l’invasion illégale de terres, car ces dernières sont reconnues par la Justice comme des terres publiques, destinées à la réforme agraire. Mais elles sont encore entre les mains de personnes économiquement puissantes».
La mort ou l’opprobre
«Tout a été manigancé pour nuire au Père Amaro, a pour sa part réagi, une membre de la paroisse. C’est une machination! Pour tous les défenseurs des droits humains de ce pays, c’est le même traitement. Quand on ne les tue pas, on cherche à détruire leur image publique comme c’est le cas pour le prêtre d’Anapu». Un sentiment partagé par les Sœurs de Notre Dame de Namur, dont certaines ont travaillé avec sœur Dorothy Stang et accompagnent depuis des années le père Amaro. «Nous connaissons bien le père Amaro et nous savons qu’il est injustement accusé, évoque l’une d’entre elles. Nous ne pouvons pas nous taire devant cette nouvelle tentative de criminaliser les responsables qui agissent en faveur des droits du peuple».
Au total, en à peine deux jours, plusieurs dizaines d’entités de la société civile ou liées à l’Église ont exprimé leur mécontentement face à ce «coup porté à la démocratie», comme le souligne un communiqué rédigé par plusieurs mouvements de défense des droits humains. Pour une proche du religieux, «le mal est fait, car il règne aujourd’hui un climat de suspicion à Anapu. Si la majorité des fidèles de la paroisse de Santa Luzia conservent leur confiance au père Amaro, on entend dans la ville des gens qui commémorent son arrestation et son incarcération».
«Nous craignons pour la vie du père Amaro»
En attendant que la demande de remise en liberté présentée par les avocats de la CPT soit examinée -probablement après les fêtes de Pâques-, c’est l’inquiétude qui prédomine pour les amis et proches du curé d’Anapu. «Il a été incarcéré dans la prison d’Altamira, où se trouve Regivaldo Pereira Galvão, dit «Taradão», explique l’une des religieuses de Notre Dame de Namur. C’est l’un des commanditaires de l’assassinat de Sœur Dorothy Stang, ennemi juré du Père Amaro, car ce dernier a déployé toute son énergie pour que ce grand propriétaire terrien purge effectivement sa peine de 30 ans de prison. C’est pour cela qu’aujourd’hui, nous craignons pour la vie du père Amaro». (cath.ch/jcg/pp)