Brésil: des chaînes de TV catholiques prêtes à se «vendre» à Bolsonaro
Une vidéoconférence publique a réuni Jair Bolsonaro et des représentants des plus importants groupes catholiques de communication du pays. Ces derniers ont promis un «traitement positif» des actions du gouvernement, notamment par rapport à la pandémie de la covid-19, en échange de subventions.
«Mr le Président, vous êtes confrontés à une bataille spirituelle qui exige des armes spirituelles. Nous nous reconnaissons dans les combats que vous menez. Nous sommes nombreux au sein de l’Eglise catholique à prier pour vous. (…) Cette Eglise veut embrasser son fils et souhaiterait qu’il soit plus proche et plus actif». Ces propos ont été tenus le 21 mai par le père João Henrique, président de l’Alliance de la Miséricorde, une association privée de fidèles. Le prêtre s’est exprimé lors d’une vidéoconférence publique à laquelle a participé le président brésilien, Jair Bolsonaro, des religieux, des parlementaires et des représentants de quelques-uns des plus importants groupes catholiques de communication.
Confronté à une baisse de popularité liée notamment à sa gestion de la pandémie de coronavirus au Brésil, le président Jair Bolsonaro cherche de nouvelles alliances politiques et religieuses. À l’initiative du Major Victor Hugo, le représentant du gouvernement à l’Assemblée, et du Front Parlementaire Mixte Catholique Apostolique Romain (FPMCAR), regroupant 207 parlementaires (sur 513 au total), une réunion virtuelle a été organisée. Objectif? Négocier l’appui de représentants de l’aile conservatrice de l’Eglise catholique, en particulier des responsables de chaînes de TV catholiques en échange de commandes publicitaires provenant du Secrétariat de la Communication Sociale de la Présidence (Secom).
Apporter la bonne nouvelle… du gouvernement
Les débats virtuels ont été à la fois courtois et directs. A l’image du prêtre chanteur, Reginaldo Manzotti, de l’Association «Evangéliser est nécessaire» qui a rapidement présenté les enjeux à Jair Bolsonaro. «Nous sommes puissants. Nous voulons être dans les foyers et aider à construire ce Brésil. Et, plus que jamais Mr le Président, vous savez l’impact que peuvent avoir des médias négatifs. Nous voulons être avec vous», a martelé ce religieux qui détient ses propres stations de radio et télévision, et qui en a profité pour demander également une plus large capacité de diffusion à travers l’attribution de davantage d’émetteurs. Une requête sur laquelle le président brésilien a promis de se pencher.
Plus explicite encore, le père Welinton Silva, du canal de TV «Père Eternel», a affirmé que la chaîne qu’il dirige connaît des difficultés et a espéré un rapprochement avec le Secom pour réaliser un «traitement positif des actions du gouvernement» face à la pandémie de la covid-19, pourtant jugée catastrophique par de très nombreux observateurs. «Nous travaillons grâce à de petites donations et un peu de publicité. Dans ce contexte, nous avons vraiment besoin d’un appui plus important du gouvernement pour pouvoir continuer à communiquer la bonne nouvelle et porter à la connaissance de la population catholique, largement majoritaire dans ce pays, tout le bien que le gouvernement peut réaliser et faire pour notre peuple», a indiqué le prêtre.
La CNBB «indignée»
Cette vidéoconférence a évidemment secoué l’Eglise catholique, en particulier la Conférence Nationale des évêques du Brésil (CNBB), qui s’est exprimée le 6 juin à travers un communiqué très critique. «Nous avons pris connaissance avec étonnement et indignation de la nouvelle concernant l’offre faite au gouvernement par des responsables de chaînes de TV. Nous n’approuvons pas ce genre d’initiative qui complique l’unité nécessaire de l’Eglise et l’accomplissement de sa mission évangélisatrice, qui est de rendre présent au monde le Royaume de Dieu».
La CNBB a également rappelé que les chaînes dites «d’inspiration catholique» peuvent être gérées par des associations et organisations religieuses ou par des entrepreneurs particuliers, selon leurs propres statuts et principes éditoriaux. «Toutefois, aucune d’elles et aucun de leurs membres ne représentent l’Eglise Catholique, ni ne s’expriment au nom de la CNBB, qui a de son côté toujours fait les efforts pour que ces chaînes assument clairement les orientations générales de l’Action Evangélisatrice de l’Eglise du Brésil». Et de rajouter: «Il est urgent qu’en ces temps difficiles, sérieusement aggravés par la pandémie du coronavirus (…), nous puissions travailler en communion, toujours ouverts au dialogue».
Bolsonaro joue la division
Reste que le rapprochement entre Jair Bolsonaro et les véhicules de communication catholiques favorables au gouvernement ébranle un peu plus l’unité d’une Eglise catholique déjà mise en péril par l’essor des églises évangéliques. Et c’est sur cette fragilité que le Palais présidentiel cherche à investir pour accentuer les divisions. «D’un côté, il y a les conservateurs alignés au gouvernement, en particulier ceux liés au Renouveau Charismatique Catholique, relève Rodrigo Coppe Caldeira, Professeur des sciences de la Religion. Et, de l’autre, les progressistes et critiques du bolsonarisme, proches de la CNBB». Or, entre ces deux groupes, les tensions sont de plus en vive depuis quelques semaines.
La présence constante du président brésilien aux manifestations anti démocratiques et sa posture contraire aux recommandations sanitaires dans le combat contre la pandémie de la covid-19 ont amené la CNBB à élever le ton contre le gouvernement. Pour la Conférence épiscopale, Jair Bolsonaro «menace la santé» et a perdu sa «crédibilité» sociale. Des entités comme la CPT ou le CIMI, liées à l’épiscopat, ont même défendu l’idée d’un impeachment du président. En face, les prêtres soutenus par des mouvements de laïcs conservateurs et charismatiques se sont rapprochés du président. Avec succès, puisque Bolsonaro a fait appel au discours religieux dès le début de la pandémie. Il a ainsi décrété une journée nationale de jeûne, a prié à genoux devant la porte de sa résidence présidentielle et organisé des vidéoconférences avec des responsables religieux, évangéliques et catholiques, pour les fêtes de Pâques. Sans y convier les représentants de la CNBB. (cath.ch/jcg/bh)