L'avenir semble sombre pour les indiens d'Amazonie | © Jean-Claude Gerez
International

Brésil: Bolsonaro décoche une première flèche aux indigènes

Le nouveau président brésilien Jair Bolsonaro a transféré la responsabilité de la démarcation des terres indigènes au ministère de l’Agriculture, une institution très favorable à l’agrobusiness. Une décision critiquée par Mgr Roque Paloshi, archevêque de Porto Velho, et président du Conseil indigéniste missionnaire (CIMI).

Le ministère de l’Agriculture aura pour mission «d’identifier, de délimiter et de démarquer les terres indigènes et quilombolas (ndlr descendants des esclaves)». La lettre de cadrage définissant les attributions de chaque ministère publiée le 1er janvier 2019, date de l’entrée en fonction de Jair Bolsonaro, ne définit cependant pas précisément comment seront identifiées et réalisées ces démarcations.

Le ministère de l’Agriculture hérite également de la gestion du Service forestier brésilien (SFB). Cet organisme a, entre autres prérogatives, la récupération de la végétation native et la recomposition forestière, la proposition de plans de production durable et l’appui aux processus de concession forestière.

Jusqu’alors, l’attribution des terres indigènes était dévolue à la Fondation nationale de l’indien (Funai), liée au ministère de la Justice. Les terres quilombolas étaient gérées par l’Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (Incra), liée à la Casa Civil (ndlr numéro 2 de l’exécutif). Quand au SFB, il était jusqu’à maintenant sous la responsabilité directe du ministère de l’Environnement.

Ministre de l’Agriculture liée à l’agrobusiness

Toutes ces administrations seront désormais placées sous la responsabilité de Tereza Cristina, la nouvelle ministre de l’Agriculture. Elle est l’ancienne présidente de la «Bancada Ruralista», le très puissant groupe parlementaire regroupant des élus représentant les intérêts des grands propriétaires terriens et de l’agrobusiness.

Fin des démarcations

Au cours de sa campagne, Jair Bolsonaro avait affirmé qu’en cas de victoire, il ne céderait plus aucun centimètre de terre pour les réserves indigènes et quilombolas. A cette occasion, le président avait assuré que les indigènes seraient «émancipés». Il avait promis de délivrer des titres de propriété aux habitants de terres indigènes «pour permettre l’exploitation commerciale et la vente» de ces terres. Le nouveau président avait également déclaré que maintenir les indiens dans des réserves démarquées revenaient à les traiter comme «des animaux dans des parcs zoologiques».

Le processus des démarcations remis en question

La décision de confier la gestion des terres indigènes et quilombolas au ministère de l’Agriculture n’est pas une surprise. Début décembre 2018, l’actuel ministre de la Casa Civil, Onix Lorenzoni, avait en effet assuré «réfléchir à transférer la gestion de la Fondation national de l’indien (Funai) au ministère de l’Agriculture. En novembre, Tereza Cristina, avait critiqué la «judiciarisation» des processus de démarcation des terres indigènes dans le pays, une des cibles des critiques des parlementaires de la Bancada Ruralista, qui fustigent l’excès de concentration des pouvoirs de la Funai.

«Cette judiciarisation des démarcations est due au fait que la Funai procède avec une démarche anthropologique. Elle délivre sa décision et ensuite elle établit la démarcation des terres. La conséquence, aujourd’hui, est que tous ces processus qui pourraient être résolus d’une autre manière finissent par emprunter des voies juridiques qui demandent 20 ans pour être menées à terme.»

«Le président doit respecter la Constitution»

«Nous avons été très surpris par cette décision. Mais derrière tout cela, il est clair qu’il y a une volonté du nouveau président et de son gouvernement de livrer les terres indigènes aux affres des monocultures, de l’exploitation minière et de grands projets, en particulier hydroélectriques», a dénoncé Mgr Roque Paloshi. L’archevêque de Porto Velho, dans l’État amazonien du Rondônia, au nord du Brésil, est également président du Conseil indigéniste missionnaire (CIMI).

«Nous conservons cependant une certaine tranquillité, car cette question de la démarcation des terres indigènes et quilombolas relève de la Constitution, indépendamment de la personne qui assume la présidence du pays. Et justement, lors de son investiture, le nouveau président a juré qu’il allait respecter la Constitution de 1988», a ajouté le prélat.

Le 5 octobre 1988, l’État brésilien s’était en effet engagé à attribuer les terres aux peuples indigènes…dans les cinq ans. Mais la démarche est pourtant loin d’être terminée à ce jour. «Nous allons bien sûr rester très vigilants dans les semaines et les mois à venir sur la manière dont ce gouvernement va gérer la question indigène», a conclu Mgr Paloshi. (cath.ch/jcg/rz)


La Funai, une garantie pour les droits des indiens

Fondée en 1967, la Funai est responsable de promouvoir et de défendre les droits de plus de 300 peuples indigènes, représentant au total 0,4% de la population brésilienne, soit environ 700’000 personnes. Parmi ses attributions figurent également l’identification des peuples isolés ou récemment contactés, les politiques de développement durable pour les populations indigènes et le contrôle des impacts environnementaux sur les terres indigènes.

Selon la Funai, le concept de terre indigène n’est pas compatible avec celui de propriété privée, car des critères relatifs aux coutumes et aux traditions entrent en ligne de compte dans la démarcation et l’attribution de terres.

«Le droit des peuples indigènes à leurs terres d’occupation traditionnelle est conçu comme un droit originaire et, en conséquence, la procédure administrative de démarcation des terres indigènes est étroitement liée aux déclarations de ses occupants. Cependant, la terre indigène n’est pas créée par un acte constitutif, mais reconnue à partir de critères techniques et légaux, conformément à la Constitution fédérale de 1988», indique la Funai.

Le Brésil compte 462 terres indigènes, représentant 12,2% du territoire national. Seulement 8% de ces terres sont aujourd’hui régularisées. La majeure partie d’entre elles se trouvent en Amazonie. JCG

L'avenir semble sombre pour les indiens d'Amazonie | © Jean-Claude Gerez
3 janvier 2019 | 17:02
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 4  min.
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