Brésil: 10ème «Pèlerinage de la forêt», à la mémoire de Soeur Dorothy Stang

Anapu, 29.07.2015 (cath.ch-apic) Plusieurs centaines de personnes ont participé, du 23 au 26 juillet 2015, au 10ème «Pèlerinage de la forêt» (Romaria da Floresta), à Anapu, au coeur de l’Amazonie brésilienne. La marche honorait la mémoire de Soeur Dorothy Stang, assassinée le 12 février 2005, et à sensibiliser l’opinion sur la nécessité de préserver la forêt amazonienne. Elle a regroupé des fidèles de l’Eglise catholique, dont de nombreux jeunes, des petits agriculteurs, ainsi que des représentants de la société civile, venus de tout le Brésil et d’ailleurs.

Dans le silence de la forêt amazonienne, seulement percé par le chant aigu des oiseaux «peito de aço», une clameur s’élève: «Dorothy Vive! Sempre, sempre, sempre!» (Dorothy, vit! Toujours, toujours, toujours). S’abritant sous des chapeaux de paille ou des parapluies multicolores pour se protéger du soleil implacable, quelque 500 pèlerins s’avancent lentement vers une croix bleue plantée au milieu d’une route de terre rouge. C’est ici, à quelques encablures seulement de l’entrée du Projet de Développement Durable (PDS) Esperança qu’elle avait créé en 2003, que le 12 février 2005, Soeur Dorothy Stang, une religieuse américaine de la Congrégation Notre Dame de Namur, était assassinée par deux pistoleros à la solde de grands propriétaires terriens de la région.

Préserver l’Amazonie pour la planète

«Comme les éditions précédentes, ce pèlerinage est destiné à rendre hommage à Soeur Dorothy, explique le Père Amaro, prêtre de la paroisse d’Anapu, une petite ville située sur la route transamazonienne, dans l’Etat du Para, au coeur de l’Amazonie Brésilienne. Mais cette marche a aussi pour objectif de rappeler combien il est important de préserver la forêt amazonienne, pas seulement pour les Brésiliens, mais pour le bien de l’humanité toute entière». Une préservation qui passe notamment par une exploitation raisonnée des richesses de la forêt, ainsi qu’une redistribution des terres à des petits paysans à travers la Réforme Agraire. «A force de détermination et de courage, Soeur Dorothy était parvenue à créer un projet permettant d’attribuer à des petits paysans des terres qui appartenaient à l’Etat brésilien mais qui étaient occupées illégalement par de grands propriétaires terriens. Aujourd’hui, rappelle le Père Amaro, les 250 familles du PDS Esperança disposent chacune de 100 hectares, dont 80% de forêt qui doit être préservée».

Avant la forêt, le… désert

Les Pèlerins ont quitté le Centre Saint Raphaël, dans la ville d’Anapu, le jeudi 23 juillet en début d’après-midi, après s’être recueillis sur la tombe de la religieuse américaine. La marche a été rythmée par d’innombrables chants, prières et interventions de participants pour rendre hommage aux centaines de militants morts ces dernières décennies pour la défense de l’environnement. Le cortège a progressé pendant trois jours, sur près de 60 kilomètres, résistant à la chaleur moite et la poussière rouge, dormant dans des hamacs et mangeant dans les maisons des agriculteurs qui jalonnaient le parcours. Un trajet sinueux et vallonné, marqué, lors des deux premiers jours, par des paysages totalement… dénudés, où paissent de nombreuses têtes de bétail. «Le chemin qui mène vers le PDS Esperança est caractéristique de ce qui advient de la forêt amazonienne brésilienne, explique Cristiano Rocha, chercheur en agronomie et enseignant au sein de l’Université fédérale de l’Etat du Para. Les grands propriétaires terriens occupent, souvent illégalement, d’immenses étendues de terre. D’abord, ils coupent les arbres et ensuite ils élèvent du bétail, un secteur d’activité pour lequel le pays est le premier exportateur mondial».

«Étudier et revenir»

Tamaris, elle aussi, est marquée par ces décors de désolation. A 18 ans, cette étudiante en biologie, fille d’une famille d’agriculteurs ayant bénéficié d’une terre dans le PDS Esperança, se rappelle bien des visites régulières de Soeur Dorothy dans la maison familiale. «J’étais petite, mais je me souviens d’une dame joyeuse et douce qui me disait que je devais absolument étudier et qui poussait mes parents à m’envoyer à l’école. Son rêve était que les enfants des agriculteurs partent se former puis reviennent sur ces terres pour y vivre et en tirer le meilleur… tout en continuant à protéger la forêt». Un objectif que la jeune fille a parfaitement intégré. «Il est fondamental de protéger notre environnement, martèle Tamaris. Et cela passe par une répartition plus juste de la terre à travers la Réforme Agraire et une plus grande justice sociale».

«Protéger la Création»

Après les vallons déboisés, place au PDS Esperança et à ses majestueux châtaigniers du Para -qui produisent les noix du Brésil-, ipé, andiroba, copaiba eu autres jatoba qui forment désormais d’immenses cathédrales de verdure. L’air se fait plus frais et la route plus étroite. De quoi renforcer la solidarité entre les pèlerins, dont certains ont les visages marqués par la fatigue. Les prières et les cantiques ont peu à peu pris le dessus sur les chants revendicatifs. Des prières que Rosaria, la cinquantaine élégante, reprend avec ferveur. «J’ai bien connu Soeur Dorothy. Lorsque nous sommes arrivés ici avec mon mari à la recherche d’une terre, c’est elle qui nous a aidés. Elle nous a surtout aidés à changer notre regard sur cette forêt qui nous faisait peur et qu’on ne pouvait que détruire car elle nous était hostile. En fait, elle nous a permis de comprendre que protéger la forêt, c’est protéger la Création et préserver l’oeuvre de Dieu.»

«Soeur Dorothy vit avec nous»

Un à un, les pèlerins ont déposé des rameaux devant la croix bleue et se sont agenouillés pour prier. Le 10ème pèlerinage de la forêt vient de s’achever. Enfin presque. Comme c’est le rituel, le lendemain, la messe dominicale a en effet été célébrée par Mgr Erwin Kräutler, évêque du diocèse d’Altamira, dont dépent Anapu, et ami de Soeur Dorothy. L’occasion pour lui de rappeler, devant un millier de personnes, que «Soeur Dorothy est connue aujourd’hui dans le monde entier. Pas pour avoir été une religieuse mais pour avoir donné sa vie comme religieuse. Des années après, elle continue à nous impressionner car elle n’a jamais renoncé. Elle continue à être présente parmi nous, avec ses paroles et l’exemple merveilleux de courage qu’elle nous a donné. Et aujourd’hui, Soeur Dorothy vit comme nous, avec nous.» (apic/jcg/rz)

 

 

Les pèlerins ont marché en mémoire de Dorothy Stang
30 juillet 2015 | 07:35
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 4  min.
Amazonie (115), Brésil (392), Dorothy Stang (9), Environnement (122)
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