Bolivie: Le pape demande pardon pour les crimes de l'Eglise
Santa Cruz 09.08.15 (cath.ch-apic) Participant à la 2e Rencontre mondiale des mouvements populaires, à Santa Cruz le 9 juillet 2015, le pape François a explicitement demandé pardon pour les «crimes» de l’Eglise contre les peuples autochtones durant la colonisation du continent. Devant de nombreuses communautés indigènes latino-américaines, il a dénoncé de «nouvelles formes de colonialisme».
A son arrivée, le pape François avait été accueilli par des milliers de personnes en liesse, debout, scandant «le pape en Bolivie ! le pape en Bolivie !», le poing levé, acclamant également le président Evo Morales. Le pape a alors été invité à s’asseoir aux côtés du président et ancien syndicaliste, affublé d’un blouson sur lequel figurait le portrait de Che Guevera.
Avant que le pape ne prenne la parole, le président Morales, premier président indigène de Bolivie, a prononcé un long discours aux accents de meeting politique, ponctué de vifs applaudissements, revenant sur son passé de leader syndical. Il a dénoncé «l’invasion européenne de 1492» en référence à la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, et conclu son discours par cette phrase: «Pour la première fois, je sens que nous avons un pape, le pape François».
«Pardon» pour les peuples autochtones
Evoquant également la période de colonisation de l’Amérique latine, le pape François a souhaité «être très clair»: «Je demande humblement un pardon, non seulement pour les offenses de l’Eglise même, mais pour les crimes contre les peuples autochtones durant ce que l’on appelle la conquête de l’Amérique». Avec cette qualification de «crime», le pape François va plus loin que ses prédécesseurs. Pour être «juste», il n’a pas manqué de rappeler les milliers de prêtres et d’évêques qui s’opposèrent à la logique des épées avec la force de la croix».
En 2007, Benoît XVI avait reconnu des «souffrances» et des «injustices» ainsi que des «ombres» durant la colonisation des peuples indigènes, mais après une phrase polémique où il avait déclaré que l’évangélisation des Indiens n’avait «comporté à aucun moment une aliénation des cultures précolombiennes». En 1992, à Saint-Domingue, Jean-Paul II avait pour sa part «humblement demandé pardon» – expression reprise par le pape François – pour les «offenses» infligées aux Indiens.
«Nouveau colonialisme»
Devant une foule bigarrée, mêlant paysans sans terre brésiliens, acteur du recyclage en Equateur, ou encore ouvriers précaires de Bolivie, le pape a alors dénoncé, dans un discours aux forts accents socialistes, un «nouveau colonialisme» qui «adopte des visages différents». Et de lancer, comme un slogan : «Disons non aux vieilles et nouvelles formes de colonialisme !».
Ainsi, le «nouveau colonialisme» peut prendre la forme du «pouvoir anonyme de l’idole argent», a poursuivi le pape, prenant notamment l’exemple de «quelques traités dénommés ›de libre commerce’ et l’imposition de mesures d’austérité’ qui serrent toujours la ceinture des travailleurs et des pauvres». Une allusion possible au projet de traité sur la zone de libre-échange des Amériques, encouragé par les Etats-Unis, et vivement critiqué en Amérique du Sud par des mouvements syndicaux, ainsi que par les chefs d’Etat de Bolivie, du Chili et de l’Argentine, qui dénoncent de graves conséquences sociales. Par «austérité», le pape François fait aussi allusion à la politique européenne et plus particulièrement la crise grecque.
Le pape François a pointé du doigt la cause de ces «réalités destructrices»: «un système global qui a imposé la logique du gain à n’importe quel prix sans penser à l’exclusion sociale ou à la destruction de la nature». «Disons-le sans peur, a scandé le pape devant une foule conquise, nous voulons un changement. On ne peut plus supporter ce système, les peuples ne le supportent pas. Et la Terre non plus ne le supporte pas, la sœur Mère Terre comme disait saint François». Cette expression de «Mère Terre», utilisée à plusieurs reprises depuis l’arrivée du pape argentin en Bolivie, fait également allusion au culte de Pacha Mama, véritable divinité chez les Amérindiens, et tradition millénaire particulièrement vivace en Bolivie chez les ethnies Aymara et Quechua.
«Disons non à une économie d’exclusion et d’injustice où l’argent règne au lieu de servir, a encore martelé le pape avant de poursuivre sous les applaudissements, cette économie tue. Cette économie exclut». Et le pape a souhaité que «le cri des exclus» soit entendu à travers le monde. Comme lors du premier rassemblement, organisé au Vatican en octobre 2014, le chef de l’Eglise catholique a invité à «lutter» pour trois «droits sacrés» : «terre, toit et travail».
Face à ce «nouveau colonialisme», le pape François a encouragé les mouvements populaires à «maintenir l’unité» des pays latino-américains face à «toute tentative de division». «Ces dernières années, s’est félicité le pape, les gouvernements ont uni leurs efforts pour faire respecter leur souveraineté, celle de chaque pays et celle de l’ensemble de la région, qu’ils appellent si admirablement, comme nos Pères d’autrefois, la ›Grande Patrie’». La Patria Grande correspond en effet à l’idéal d’unité des peuples d’Amérique latine, porté par les grands héros des indépendances sud-américaines José de Sa n Martin et Simon Bolivar. (apic/imedia/bh)