Boko Haram: des femmes «kamikazes» racontent leur histoire
Trois femmes se sont faites exploser sur un marché et dans un camp de réfugiés, le 15 août 2017, dans le nord-est du Nigeria, provoquant la mort de 27 civils. Des attaques qui portent la marque de Boko Haram. Des «kamikazes forcées» ayant réussi à s’échapper des griffes de la secte islamiste racontent leur histoire dans le quotidien britannique The Guardian.
Le commandant du groupe de Boko Haram qui a kidnappé Nadia, âgée de 17 ans, l’a tout de suite remarquée. Le chef l’a fait amener dans sa maison pour lui signifier qu’elle deviendrait sa seconde épouse.
La jeune fille avait été enlevée la semaine précédente lors d’un raid sur son village, lors duquel les terroristes avaient exécuté son père. Mais lorsque le commandant lui a annoncé qu’elle était l’une des «chanceuses» à avoir été choisie pour partager sa couche, elle a décidé de ne pas se laisser faire. L’homme tenta de la violer la nuit même, mais elle se débattit tant qu’il n’y parvint pas. Le matin, il demanda alors à ses hommes de la fouetter. Après une autre tentative de viol et des menaces de mort, il essaya une autre tactique consistant à la persuader de l’épouser. Trois mois plus tard, lassé de ses efforts infructueux, il décida de s’en débarrasser.
Elle décide de se rendre
Elle se retrouva donc ainsi peu de temps après à marcher sur un checkpoint tenus par des paramilitaires travaillant avec le gouvernement. Elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour garder ses bras bien alignés le long du corps, afin de ne pas accidentellement déclencher sa ceinture d’explosifs. Lorsque les soldats les ont vues approcher, ils leur ont ordonné de s’arrêter. Les trois femmes s’étaient préparées pour cet instant. Elles s’étaient mises d’accord, juste après que leurs ravisseurs les aient laissées partir, pour se rendre aux militaires. «Nous avons stoppé notre marche et nous avons crié: ‘nous portons des bombes, on nous a forcés!’. Nous avons ensuite soulevé nos voiles et montré nos ceintures d’explosifs.» Les jeunes femmes ont eu de la chance: les soldats n’ont pas paniqué et n’ont pas ouvert le feu. Des démineurs de l’armée sont finalement venus les défaire de leurs mortels fardeaux.
Funérailles précoces
Mais beaucoup ne connaissent pas un sort aussi favorable. Au moins 154 femmes kamikazes seraient décédées ainsi au Nigeria, Cameroun, Niger et Tchad depuis 2014.
Lorsqu’ils préparent des femmes à des missions suicide, les membres de Boko Haram traitent les kamikazes comme si elles étaient déjà mortes. Ils apprêtent leurs corps comme pour des funérailles, notamment en leur mettant de beaux habits et des tatouages au henné, explique Aisha. «Mariée» à au numéro 4 de Boko Haram, elle a récemment réussi à s’échapper. Elle assure avoir vu beaucoup de femmes et d’enfants se faire recruter pour de telles missions.
Un signe de faiblesse?
L’aspect volontaire ou non de ces actions suicidaires de la part des femmes pose depuis longtemps question. En avril 2016, IRIN News, l’agence d’information des Nations unies, a réuni dans un article les connaissances disponibles à ce sujet. Les observateurs considèrent que la majorité d’entre elles ne sont pas consentantes. Cela est corroboré par le fait que, dans certains cas, les charges aient été déclenchées à distance.
Les experts n’excluent cependant pas que certaines femmes aient pu succomber à l’endoctrinement de Boko Haram, où à une sorte de ‘syndrome de Stockholm’, qui leur aurait fait prendre fait et cause pour leurs ravisseurs. Il est également connu que des groupes de femmes ont joué un rôle actif dans l’insurrection islamiste dans cette partie du Nigeria.
Recrutés dès cinq ans
Fatima, âgée aujourd’hui de 20 ans, a en tout cas été envoyée contre son gré en 2015 par la secte islamique pour se faire exploser. Avant cela, elle avait été violée toutes les nuits, pendant huit mois, par plusieurs hommes. Un jour, ils lui ont placé une ceinture d’explosifs et ordonné de se diriger vers une foule pour y déclencher sa bombe.
Arrivée sur les lieux, elle s’est cependant dirigée vers des soldats et leur a révélé sa mission. Des experts de l’armée lui ont retiré sa charge. Traumatisée, elle a été placée pendant trois mois dans un centre de réhabilitation.
Les femmes libérées expliquent que les membres de Boko Haram essaient tout d’abord de persuader leurs prisonniers de devenir des «martyrs». «Ils prêchent que si tu vas à Maiduguri [la capitale de l’Etat de Borno] et que tu tues des gens, tu iras de toute façon au paradis», explique Aisha. Elle affirme les avoir vus recruter des enfants dès l’âge de cinq ans. Les combattants les manipulent en leur promettant que s’ils se font sauter, ils pourront revoir leurs parents au paradis et que ça ne leur fera pas mal.
De plus en plus d’enfants kamikazes
De plus en plus d’enfants seraient utilisés pour ces missions. D’après des chiffres de l’Unicef, 27 seraient déjà morts de cette façon au nord-est du Nigeria dans les trois premiers mois de 2017, contre 30 au cours de toute l’année précédente.
The Guardian rapporte finalement le témoignage de Bamussa Bashir, du groupe paramilitaire Civilian Joint Task Force (CJTF), qui se charge de surveiller la ville de Maiduguri contre les attaques de Boko Haram. Il raconte avoir vu un jour un jeune homme agripper une femme suspecte de transporter une bombe dans un marché. La kamikaze s’est finalement faite exploser tuant sept personnes, dont la personne qui l’avait ceinturée. Le geste du jeune homme a cependant évité un bilan beaucoup plus lourd. Bamussa Bashir, explique que ce comportement consistant à se sacrifier en faisant de son corps un bouclier se répand dans la population. Il se dit lui-même prêt à le faire.
Des actes «désespérés»?
L’insurrection menée par Boko Haram a déjà fait 20’000 morts et obligé 2,7 millions de personnes à fuir leurs domiciles, au cours des huit dernières années. Les forces armées nigérianes ont cependant reconquis récemment la plupart des territoires pris par les insurgés. Pour les observateurs, la recrudescence actuelle des attentats signale l’incapacité grandissante du groupe à agir par d’autres moyens. (cath.ch/guar/arch/rz)