Blocage autour de la nomination de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège
Rome, 22 avril 2015 (Apic) Près de deux mois après le départ de son ambassadeur, la France n’a toujours pas de représentant auprès du Saint-Siège. Si le Vatican n’entend faire aucun commentaire, il a cependant choisi de ne pas donner son agrément au diplomate choisi et proposé par Paris dès janvier dernier, Laurent Stefanini. Si l’homosexualité du candidat au poste d’ambassadeur pose problème, certaines sources proches du dossier au Vatican assurent cependant à l’agence I.MEDIA, sans plus de précisions, qu’une autre raison «grave» a motivé ce refus.
Bruno Joubert, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège depuis mai 2012, a quitté ses fonctions le 1er mars dernier. Deux mois plus tôt, en Conseil des ministres, le nom du chef du protocole de l’Elysée, Laurent Stefanini, était validé pour lui succéder. A travers les canaux habituels, le dossier est arrivé au Vatican, au terme d’une enquête menée par la nonciature apostolique à Paris. Comme le prévoit le droit international, le Saint-Siège a fait le choix de refuser cette demande d’agrément sans donner de motif, et sans même communiquer sa décision à la France.
L’homosexualité du candidat en question
La presse française a largement évoqué l’homosexualité – vécue cependant avec discrétion – de l’actuel chef du protocole de l’Elysée, Laurent Stefanini, pour motiver le refus romain. Il semble surtout que le choix de Paris ait été mal reçu au Vatican, deux ans après l’adoption contestée du «Mariage pour tous» en France. Des sources proches du dossier avancent en outre un motif «plus grave», sans qu’il soit possible d’en savoir plus en raison du mutisme assumé du Saint-Siège. En dernier recours, Laurent Stefanini – un catholique pratiquant – a écrit au pape François avant de le rencontrer, en toute discrétion, le 18 avril dernier. Il se serait alors vu confirmer ce refus.
Interpellé par I.MEDIA le 22 avril, le Bureau de presse du Saint-Siège n’a souhaité faire aucun commentaire. A Rome, officiellement, on attend désormais que Paris propose le nom d’un autre candidat. Deux noms circulent avec insistance, celui de l’ancienne ambassadrice en Irlande et actuelle secrétaire adjointe au ministère des Affaires étrangères Emmanuelle d’Achon, et celui de Bertrand Besancenot, ambassadeur en Arabie Saoudite depuis près de huit ans.
Agacement
A Rome, l’entêtement de la France à maintenir la candidature de Laurent Stefanini a visiblement agacé et aggravé la situation, même si ce diplomate qualifié compte de nombreux amis dans la curie. Ce fin connaisseur de l’Eglise et de Rome fut particulièrement apprécié par le Vatican lors de son séjour comme premier conseiller à la Villa Bonaparte, l’ambassade de France près le Saint-Siège, entre 2001 à 2005.
L’écho donné à cette affaire dans la presse française ne facilite pas les choses. La publication répétée d’informations réservées, dans le journal français «Canard enchaîné», laisse à penser que le choix de Laurent Stefanini, à Paris, n’est pas soutenu par tout le monde.
Le Saint-Siège peut également avoir été irrité par la publication trop hâtive du nom du candidat parisien, avant même qu’il ne soit soumis à son agrément. Quelques heures à peine après sa validation en Conseil des ministres, le 5 janvier, le nom de Laurent Stefanini était ainsi apparu sur le réseau social Twitter puis, quelques semaines plus tard, dans la presse. Sans parler de l’écho donné en France au refus de Rome. Au Vatican, d’aucuns avancent aussi le fait que le diplomate de 55 ans n’a jamais été ambassadeur en poste à l’étranger.
Cet épisode empoisonne pour l’heure les relations bilatérales, alors qu’un voyage du pape dans l’hexagone courant 2016 reste à l’étude. C’est aussi dans ce contexte qu’un représentant officiel du gouvernement français devrait assister au Vatican, le 17 mai, à la messe de canonisation de la religieuse française Jeanne Emilie de Villeneuve (1811-1854).
«La France est la fille aînée de l’Eglise, mais pas la plus obéissante», confiait en souriant ces derniers mois le pape François à des prélats de passage. Cette petite phrase, cependant, est antérieure à cette affaire.
Des profils peu adéquats
Dans le protocole du Saint-Siège, une règle non-écrite mais connue au sein de la diplomatie veut que le Vatican n’accorde pas son agrément, d’ordinaire, aux candidats homosexuels ou divorcés remariés. La presse française a largement rappelé le cas de Jean-Loup Kuhn-Delforge, proposé par Paris en 2008 mais déjà refusé par le Saint-Siège en raison de son «profil personnel». Secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères, il était notoirement homosexuel et pacsé avec son compagnon. La France était alors restée dix mois sans ambassadeur.
Pour autant, cette règle n’avait pas été respectée en 1998 pour un précédent ambassadeur de France, homosexuel non affiché. Le diplomate français avait même été amèrement regretté par le Saint-Siège lorsqu’il avait été rappelé par Paris plus vite que prévu, en plein cœur du Jubilé de l’an 2000. A ce jour, par ailleurs, d’autres diplomates accrédités auprès du Saint-Siège, dont le représentant d’un grand pays européen, auraient également le même profil personnel.
Dans les relations diplomatiques qu’entretient le Saint-Siège avec 180 Etats, l’un des épisodes les plus emblématiques est le refus d’un agrément au candidat de la République d’Argentine en 2007. En pleine crise entre l’épiscopat local et la nouvelle présidente Cristina Kirchner, Buenos Aires avait proposé la candidature d’Alberto Iribarne, ancien ministre de la Justice, un catholique divorcé et remarié. En mai 2008, pour calmer la situation, le Saint-Siège avait alors appelé à Rome un certain… Jorge Mario Bergoglio, archevêque de la capitale et dont le franc parlé irritait les autorités. Quatre mois plus tard, la nomination d’un autre diplomate avait mis fin à plusieurs mois de crise diplomatique. (apic/imedia/ami/rz)