«Blaise Pascal pourrait être le saint patron des intellectuels»
En 2017, le pape François avait déclaré dans un entretien à la presse italienne qu’il considérait personnellement que Blaise Pascal pouvait être bienheureux. Geoffroy Aujay de la Dure, vice-président de la Société des Amis de Blaise Pascal (SABP), se réjouit de la publication de la lettre apostolique Sublimitas et miseria hominis, publiée le 19 juin 2023.
Geoffroy Aujay de la Dure a créé la Société des Amis de Blaise Pascal (SABP), avec des amis universitaires en 2019, dans le but de promouvoir la cause du philosophe en vue de sa béatification.
Comment réagissez-vous à l’annonce de la lettre apostolique sur Blaise Pascal?
Geoffroy Aujay de la Dure: Il y a un peu de piquant, sans doute, à savoir Pascal en si grande faveur dans l’esprit d’un jésuite, et à plus forte raison, d’un jésuite que la Providence a placé sur le trône de Pierre. On se souvient que la Compagnie de Jésus a souffert de la publication des Provinciales et que son expulsion de France, quoique survenue cent ans après l’écriture des Petites Lettres (comme on les nommait), n’est pas étrangère aux remontrances que Pascal y a faites. Il nous semble donc que le Saint-Père fait une œuvre digne de lui, et digne d’un pape, en mettant au jour, en vue du bien de l’Église, et malgré les souvenirs qui auraient pu le retenir, la spiritualité de Pascal, et son trésor. Cette lettre brisera le cadenas qui empêche les chrétiens d’en tirer profit en toute pureté et sûreté de conscience, et annonce un mouvement dans le peuple de Dieu aussi extraordinaire que profond.
En 2017, le pape François avait déclaré considérer personnellement que Pascal devait être béatifié. Voyez-vous cette lettre comme un pas de plus vers la sainteté?
Par cette lettre, le pape, de sa propre autorité, choisit de confesser publiquement son admiration devant l’homme et devant l’œuvre, et nous ne trouvons rien, pour notre part, de plus engageant que ce sentiment-là, né d’un commerce ancien et continuel avec Pascal.
«Pascal a combattu farouchement l’orgueil, la curiosité, la sensualité»
Cette lettre avive donc en nous, s’il est possible, le désir de voir Pascal élevé sur les autels, et nous encourage à croire que le temps est proche où l’on pourra prier à deux genoux l’auteur des «brouillons immortels», je veux dire des Pensées. Elle vient d’une façon, du reste, qui nous paraît providentielle, car la nécessité des temps semble à toute heure nous presser de recourir à l’intercession de ce chrétien qui a fait tant de chrétiens.
Un des maîtres du pape, le théologien Romano Guardini, affirme que Pascal, «à coup sûr, ne fut pas un saint», et propose de le qualifier plutôt de «grand chrétien». Cette distinction vous semble-t-elle pertinente?
Je ne vois pas d’où peut venir cet «à coup sûr». La grandeur des vertus de Pascal, dont nous avons maints témoignages, porte à une conviction toute contraire. Pascal a combattu farouchement l’orgueil, la curiosité, la sensualité. Il n’a eu en vue que Jésus-Christ. Certains signes, de surcroît, attestent qu’il était tenu pour un saint à sa mort. Des lettres de sa correspondance furent découpées pour en faire des reliques; un grand aristocrate et ami, le duc de Roannez, fonda une petite compagnie qui reçut le nom de «pascalins», et qui voulait vivre selon l’esprit de Pascal.
«Blaise Pascal est une aide très précieuse pour prévenir les égarements de la raison»
Il est aussi des témoignages du dehors qui sont éloquents. L’auteur écossais David Hume, peu suspect de bigoterie, évoque dans un ouvrage de 1748, intitulé Enquête sur l’entendement humain, «le fameux Pascal, dont la sainteté de vie et l’extraordinaire capacité sont bien connues». Il faudrait enfin se mettre un bâillon sur les yeux pour ne pas constater les innombrables conversions qui ont pris naissance dans la lecture de Pascal. Claudel, qui n’a pas pour l’écrivain des Pensées des sentiments très tendres, ne peut s’empêcher de le considérer comme «l’apôtre ad exteros».
Votre association est portée par des universitaires: Pascal est-il un saint pour les intellectuels?
Oui, Pascal pourrait être un saint patron pour les intellectuels, dans la mesure où il est une aide très précieuse pour prévenir les égarements de la raison. Soit parce qu’elle s’abaisse trop, en désespérant de pouvoir jamais connaître la vérité, soit parce qu’elle s’élève trop et croit pouvoir tout connaître en refusant de faire place à la Foi.
«Il est impossible de séparer le Pascal combatif du Pascal contemplatif»
Je pense que Pascal permettrait aux intellectuels d’avoir un rapport juste à l’égard des capacités de leur raison. Ensuite, Pascal a toujours fait preuve d’un esprit très pratique. Il ne s’est jamais enfermé dans les nuées des idées et des théorèmes, mais a toujours mis son esprit au service d’inventions. C’est lui notamment qui est l’inventeur de la machine à calculer, dont on se sert tous les jours, et qu’il a mise au point pour aider son père à compter les impôts. Pourquoi ne pas en faire le saint patron des ingénieurs? Mais la place est peut-être prise!
Vous avez souligné l’ironie que représente le choix de François, premier pape jésuite, de rendre hommage à Pascal, adversaire féroce de la Compagnie de Jésus en son temps. Qu’est-ce qui plaît à François chez Pascal selon vous?
S’il y a un trait de la spiritualité de Pascal qui a pu plaire au pape au-dessus des autres, ce serait, à mon opinion, l’affirmation de la nécessité de la grâce et le refus de tout pélagianisme. Le pape n’a cessé de rappeler que l’homme ne peut atteindre le Salut par ses propres forces.
Peut-on séparer le Pascal combatif des Provinciales du Pascal contemplatif, spirituel et mystique qui semble convaincre le pontife?
Il est impossible de séparer le Pascal combatif du Pascal contemplatif. L’écriture des Pensées est contemporaine de la rédaction des Provinciales. Ces deux aspects de Pascal sont indissolublement liés, et nous pensons qu’ils doivent l’être en tout chrétien, dans la mesure où l’amour de la vérité oblige à se prononcer publiquement pour elle. Certes, il ne s’agit pas de la faire triompher, car cela appartient à Dieu, mais de s’engager de tout son être à la défendre à temps comme à contretemps, chaque fois qu’elle est menacée. (cath.ch/imedia/cd/rz)