Birmanie: L’ascension controversée d’un chrétien au sommet de l’Etat
Le pentecôtiste Henry Van Thio a été élu, le 15 mars 2016, vice-président de la Birmanie. Cet ancien officier de l’armée a été propulsé à la surprise générale sur le devant de la scène politique par le parti d’opposition pro-démocratique – et désormais majoritaire au Parlement – d’Aung San Suu Kyi. Ses relations avec le ministre de l’Industrie de l’ancienne junte militaire suscitent déjà la critique, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris.
Henry Van Thio est largement un inconnu en Birmanie, même parmi ses collègues parlementaires. «Il va falloir voter dans les ténèbres, sans détenir d’informations sur lui», ironisait dans les colonnes du quotidien birman Myanmar Times, un député du Parti pour le développement et la solidarité dans l’Union (USDP), la formation proche des militaires.
Fréquentations douteuses
Henry Van Thio est né dans les montagnes de l’Etat chin, majoritairement chrétien, non loin de la frontière indienne, dans l’ouest du pays. Ce père de trois enfants a gravi les échelons dans l’armée birmane pendant une vingtaine d’années.
«Il était le bras droit d’U Aung Thaung», précise Paul Htan Htaing, un ancien parlementaire chin originaire de la même circonscription qu’Henry Van Thio, qui l’a rencontré à de nombreuses reprises. U Aung Thaung est un des personnages de l’ancienne junte militaire les plus critiqués en Birmanie. Il a occupé divers postes de ministres, dont celui de l’Industrie jusqu’en 2011, avant d’entrer au Parlement national. D’après le Bureau des contrôles des avoirs étrangers des Etats-Unis, U Aung Thaung s’est rendu responsable de «violences, d’oppression et de corruption». Il était un des dirigeants de l’USDA, l’association qui a planifié l’attaque du convoi d’Aung San Suu Kyi en 2003, au cours de laquelle plusieurs de ses partisans ont été tués, bien qu’il ait toujours nié son implication dans cet attentat. Il s’est éteint en juillet dernier dans un hôpital de Singapour, à l’âge de 74 ans.
U Aung Thaung souhaitait qu’Henry Van Thio rejoigne son parti. Mais ce dernier ne le voulait pas. U Aung Thaung l’a alors transféré à la direction d’une usine de tabac à Mandalay, la deuxième ville du pays. Henry Van Thio ne s’est donc engagé dans aucun parti politique jusqu’au décès d’U Aung Thaung.
Une personnalité diversement appréciée
Son passé de militaire et d’homme d’affaires proche de l’armée lui a permis de gagner beaucoup d’argent, a critiqué Bertil Lintner, un auteur suédois spécialiste de la Birmanie. Selon l’écrivain, la LND a fait des choix de personnes issues des minorités ethniques très étonnants. Le parti d’Aung San Suu Kyi a ainsi également nommé T Khun Myat au poste de vice-président de la Chambre basse du Parlement. Cet homme d’ethnie kachin est suspecté d’entretenir des liens avec une milice locale impliquée dans le trafic de drogue.
Certains défendent pourtant Henry Van Thio. «Il n’est pas riche, il n’a qu’une maison et une voiture à Rangoun», souligne Paul Htan Htaing. Selon ce dernier, le chrétien n’a pas pu refuser quand son chef l’a appelé pour diriger cette usine de tabac. Et l’homme politique de vanter les qualités du nouveau vice-président: «Il est responsable. Il ne s’emporte pas. Il a voyagé en Nouvelle-Zélande, aux Etats-Unis et aux Philippines. Il a une expérience internationale, même s’il en a moins en politique, et c’est un industriel courageux».
Une nomination symbolique?
Pour le poste de président, Aung San Suu Kyi a choisi un fidèle, elle-même ne pouvant accéder à la fonction suprême, puisqu’une clause de la Constitution l’en empêche. Elle a nommé U Htin Kyaw, un ami d’enfance économiste qui a étudié à Oxford.
Le choix d’Henry Van Thio répond à une toute autre logique. Aung San Suu Kyi ne le connaît que depuis un mois et il a rejoint la LND il y a environ un an, explique U Han Tha Myint, membre du comité exécutif central de la LND. Elle ne l’aurait pas choisi pour ses qualités personnelles ni pour son expérience, mais pour promouvoir des membres des minorités ethniques aux plus hautes fonctions de l’exécutif et du Parlement. Sa nomination serait donc avant tout symbolique. Certains s’interrogent néanmoins sur la pertinence de ce choix. «Pourquoi la LND choisit-elle des membres des minorités ethniques qui ont mauvaise réputation et qui n’ont jamais contribué à la réconciliation nationale? Il y en a tant qui ont une bonne renommée. C’est malsain», affirme ainsi Khon Ja, coordinatrice pour l’ONG Réseau kachin pour la paix. (cath.ch-apic/eda/rz)