Issu d’une vieille famille originaire de l’Ardèche, le cardinal Henri de

Biographie du cardinal Henri de Lubac (040991)

Lubac est né à Cambrai en 1896. Après des études secondaires au collège jésuite de Mongré (Villefranche sur Saône) et une année de Droit aux Facultés

Catholiques de Lyon, il entre le 9 octobre 1913 au noviciat de la Compagnie

de Jésus réfugié en Angleterre à St Léonards, depuis les mesures antireligieuses prises par la République française.

Mobilisé en 1915, il fera au front la première guerre mondiale au cours

de laquelle il sera grièvement blessé. Démobilisé en 1919, il poursuit

alors, avec quelques dérogations en raison de sa santé, les étapes normales

de la longue formation intellectuelle et spirituelle requise par la Compagnie de Jésus pour chacun de ses membres: Lettres classiques (Cantorbery,

Philosophie (Jersey) et Théologie (Ore Place-Hastings et Lyon Fourvière)

entrecoupées d’une année d’enseignement au collège de Mongré, où il se lie

d’amitié avec le P. Victor Fontoynont, futur Préfet des études de la Faculté de Théologie de Lyon Fourvière et inspirateur de la collection «Sources

chrétiennes».

A ces années remontent d’autres solides amitiés, au premier rang desquelles il faut mettre celles de deux de ses aînés, le P. Joseph Huby (inspirateur de ses travaux historiques autour du Surnaturel) et le P. Teilhard de Chardin; celles aussi de ses condisciples Gaston Fessard et Yves de

Montcheuil (fusillé par les Allemands à Grenoble le 11 août 1944). Ordonné

prêtre le 22 août 1927, le P. de Lubac termine sa formation spirituelle par

une troisième année de noviciat à Paray le Monial (1928-29). Il prononcera

ses voeux solennels de religion le 2 février 1931.

En octobre 1929, sans que ses supérieurs lui donnent le temps de préparer aucun Doctorat, il est nommé à la chaire de Théologie fondamentale de

la Faculté catholique de Lyon, où il succède au P. Albert Valensin. Un an

plus tard, il sera chargé d’y créer une chaire de théologie des religions,

qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1959. Il rencontre alors régulièrement l’abbé Jules Monchanin, futur missionnaire en Inde, qui l’initie au

«Mayanasutralamkara». Il fréquente les responsables de la Chronique sociale

de France, ainsi que des personnalités comme l’abbé Paul Couturier, pionnier du mouvement oecuménique et inventeur de la Semaine annuelle de prière

pour l’Unité des chrétiens, le Pasteur Schutz, futur fondateur de la communauté de Taizé, ainsi qu’Emmanuel Mounier et les premiers collaborateurs de

la revue «Esprit».

Quand sort son premier livre «Catholicisme, les aspects sociaux du dogme», dans la collection «Unam Sanctam» que vient d’inaugurer le P. Yves

Congar, il a quarante deux ans passés. Ami intime du P. Pierre Chaillet,

fondateur des Cahiers clandestins du «Témoignage chrétien», il participe

activement, dès la fin de l’année 1940, à la résistance spirituelle au nazisme, et après les rafles de l’été 1942, il sera l’émissaire du cardinal

Gerlier auprès de l’archevêque de Toulouse, Monseigneur Saliège.

Longtemps muet sur cette sombre période, le cardinal de Lubac acceptera

en 1988, la publication d’un témoignage historique de première valeur: «Résistance chrétienne à l’antisémitisme», mémoire 1940-1944. Mais les années

de l’Occupation sont aussi pour lui un temps d’intense travail intellectuel

qui se traduira, à la libération, par de nombreuses publications: «Corpus

mysticum», «L’Eucharistie et l’Eglise au Moyen-Age» (1944), «Le drame de

l’humanisme athée» (1944), livre promis à un immense retentissement, «De la

connaissance de Dieu» (1945), «Proudhon et le christianisme» (1945), publié

à la demande d’Emmanuel Mounier, «Le fondement théologique des missions»

(1946), «Paradoxe» et surtout «Surnaturel» (1946), livre qui devait plutôt

se trouver au centre de ce qu’on appellera abusivement l’affaire de la

«Nouvelle théologie».

Entre temps, il a fondé avec le P. Jean Daniélou, en 1942, la collection

«Sources chrétiennes», destinée à mettre à la disposition d’un large public

cultivé les textes majeurs, grecs et latins, de la tradition chrétienne.

Cette collection, internationalement connue, publiée sous les auspices du

CNRS, en est aujourd’hui à son 363e volume. Dans le donaine de la Patristique grecque, la publication par le P. de Lubac, en 1950, «d’Histoire et

Esprit», l’intelligence de l’Ecriture d’après Origène, marqua un pas décisif dans la vie du P. de Lubac et de plusieurs de ses confrères (le P. Henri Bouillard notamment, qu’il a tenu récemment à réhabiliter de manière publique), une période de crise qui ne durera pas moins de dix ans. Victime

d’une cabale de théologiens, le P. de Lubac se voit retirer la direction

des «Recherches de sciences religieuses», où il avait été nommé trois auparavant, et le P. Général de la Compagnie suspend son enseignement aux Facultés catholiques de Lyon. Mais contrairement à une légende, aucun de ses

écrits n’est, ni ne sera, condamné par le Magistère de l’Eglise.

Envoyé à Paris, acueilli un moment en Tunisie par un de ses anciens étudiants devenu évêque de Carthage, le P. de Lubac mettra à profit le temps

dont il dispose pour rédiger et publier trois importants ouvrages sur le

bouddhisme qu’il considère comme le phénomène spirituel le plus considérable de l’histoire à côté du christianisme: «Aspects du Bouddhisme» (1951),

«La rencontre du Bouddhisme et l’Occident» (1952), «Amida» (1955). A la

suite de circonstances imprévues, c’est aussi à cette période que paraît,

en 1953, le plus célèbre peut-être de ses livres, «Méditations sur l’Eglise», ouvrage qui avait été rédigé plusieurs années avant la tourmente dans

laquelle il se trouvait alors.

En 1957, il est élu à l’Académie des sciences morales et politiques, au

fauteuil de Mgr Chevrot. Il y retrouve des hommes avec lesquels son ministère l’a mis en relations en d’autres circonstances, notamment le Pasteur

Boegner, Président de la Fédération protestante de France, ou encore le

philosophe Etienne Gilson avec lequel il entretiendra une importance correspondance, publiée en 1986. Trois ans plus tard, au mois d’août 1960, il

apprend par les journaux sa nomination par le Pape Jean XXIII au titre

d’expert théologique dans la Commission préparatoire au Concile Vatican II.

Reconduit dans la Commission théologique, de loin la plus importante du

Concile au point de vue doctrinal, il sera l’un des principaux artisans de

Vatican II, travaillant en des lieux-clés sur des points majeurs. Ses obligations d’expert ne l’empêchent pas de poursuivre ses travaux de fond. Entre 1959 et 1965, il publie en particulier, outre «Augustinisme et théologie moderne» et «Le mystère du surnaturel», les quatre tomes de sa monumentale «Exégèse médiévale; les quatres sens de l’Ecriture» (1959-1964). Invité après le Concile à parler dans de nombreuses universités à travers le

monde, le P. de Lubac s’efforcera d’éclairer les esprits sur le sens et

l’enseignement authentique de Vatican II.

Dans la conjoncture difficile de l’après-Concile, notamment dans l’Eglise de France, il publie plusieurs ouvrages développant ou éclairant l’enseignement de Vatican II sur des points de première importance: «Paradoxe

et mystère de l’Eglise» (1967), «La Révélation divine» (1968), «Athéisme et

sens de l’homme», une double requête de «Gaudium et spes» (1968), «La foi

chrétienne» (1969), «L’Eglise dans la crise actuelle» (1969), «Les Eglises

particulières dans l’Eglise universelle» (1971), «Petite catéchèse sur nature et grâce» (1980), «Entretien autour de Vatican II» (1985).

En 1975, relayant l’initiative de Hans Urs von Balthasar, il engage son

autorité dans l’édition française de la revue internationale de théologie

«Communio», au comité de laquelle il figurera jusqu’en mai 1977. A l’occasion de son 80e anniversaire, le 1er février 1976, le Pape Paul VI, qui

l’avait nommé successivement consulteur à la Commission pontificale pour

les chrétiens non-catholiques, à la Commission pour les non-croyants et à

la Commission théologique internationale, lui envoie une longue lettre autographe pour le remercier de son oeuvre au service de l’Eglise.

Poursuivant ses publications sur l’exégèse médiévale et l’humanisme

chrétien, le P. de Lubac publie un grand ouvrage sur «Pic de la Mirandole»

(1974) et deux volumes sur «La postérité spirituelle de Joachim de Flore»

(1979-1981).

Le 2 février 1983, en même temps que Mgr Lustiger, il est créé cardinal

par le Pape Jean-Paul II. Son premier acte public est alors de rendre hommage, dans une interview au journal «La Croix», au cardinal Daniélou. Sa

dernière intervention au Sacré Collège, la veille de l’ouverture du Synode

romain consacré au 25e anniversaire du concile Vatican II, eut pour objet

la collégialité épiscopale et la primauté du successeur de Pierre.

A côté d’une oeuvre personnelle considérable, comportant plus de quarante volumes, le cardinal de Lubac a dèployé une impressionnante activité

d’éditeur. C’est ainsi qu’on lui doit tous les ouvrages, ou presque, du P.

Auguste Valensin, plusieurs correspondances abondamment annotées de Maurice

Blondel avec Auguste Valensin et Johannes Werhlé, de Gabriel Marcel avec

Gaston Fessard, d’Etienne Gilson. Ami personnel du P. Teilhard de Chardin,

il mit au point, avec lui et Mgr Bruno de Solages, la version définitive de

son plus célèbre ouvrage: «Le phénomène humain» et publia l’ensemble de ses

«Ecrits du temps de la guerre» (1914-1918) et le volume fondamental de ses

«Lettres intimes à ses amis Auguste Valensin, Bruno de Solages, Henri de

Lubac et André Ravier». Il fut surtout le premier à défendre la mémoire et

la valeur de son ami dans un livre traduit en nombreux pays: ” La pensée

religieuse de Teilhard de Chardin» (1962). Il publiera encore sur l’oeuvre

de son confrère: «La prière du P. Teilhard de Chardin» (1964),»Theilhard

missionnaire et apologiste» (1966), «L’éternel féminin» suivi de «Teilhard

et notre temps» (1968), «Teilhard posthume, Réflexions et souvenirs»

(1977). Rappelons enfin que c’est à la persévérante ténacité du P. de Lubac

qu’on doit la publication intégrale en français, dans la collection «Théologies», des six tomes de «La gloire et la croix» de Hans Urs von Balthasar.

Le cardinal de Lubac est l’auteur de nombreux articles scientifiques ou

circonstanciels devenus introuvables, qui ont été récemment réunis en volumes: «Théologies d’occasion» (1984), «Théologie dans l’histoire» (2 volumes; 1989-1990).

Docteur «honoris causa» de plusieurs universités étrangères, la cardinal

de Lubac était officier de la Légion d’honneur. Accueilli en décembre 1989

chez les Petites Soeurs des Pauvres de l’Avenue de Breteuil à Paris, il venait de publier un «Mémoire sur l’occasion de mes écrits», rédigé entre

1973 et 1980, document historique précieux sur septante ans de l’histoire

de l’Eglise, dont il fut à la fois un acteur discret et décisif en même

temps qu’un témoin lucide et courageux.

Hommage de Jean Paul II au cardinal de Lubac

A l’annonce de la nouvelle de la mort du cardinal de Lubac, Jean Paul a

adressé des télégrammes au cardinal Lustiger, l’archevêque de Paris, ainsi

qu’au général des Jésuites, le P. Kolvenbach.

Au cardinal Lustiger, il écrit: «Apprenant avec grande peine la mort du

vénéré cardinal Henri de Lubac, je vous prie d’exprimer à tous ceux que

touche ce deuil mes vives condoléances. Me souvenant du long et fidèle service accompli par ce théologien, qui a su recueillir le meilleur de la tradition catholique dans sa méditation sur l’Ecriture, l’Eglise et le monde

moderne, je demande avec ferveur au Christ Sauveur de lui accorder la récompense de sa paix éternelle. De tout coeur, j’envoie ma bénédiction apostolique, à ses frères jésuites, à tous ses amis et disiciples rassemblés

dans la prière et l’hommage».

Au moment où le cardinal de Lubac entre dans la paix du Seigneur, après

sa très longue maladie, ma pensée se tourne vers la compagnie de Jésus à

qui j’exprime ma sympathie et mon émotion.

«Au cours des années, j’avais vivement apprécié la vaste culture, l’abnégation et la probité intellectuelle qui ont fait de ce religieux exemplaire un grand serviteur de l’Eglise, notamment lors du concile Vatican

II. Avec ferveur, je demande à Dieu de l’accueillir dans sa lumière à jamais. Et j’invoque sur vous et sur tous vos frères affectés par ce départ

la bénédiction divine en gage de réconfort».

De son côté, en réponse aux questions de l’agence CIP, le cardinal Roger

Etchegaray a rendu hommage à l’immense savant jésuite. «Le cardinal de Lubac, a-t-il souligné, nous laisse une oeuvre monumentale qui embrasse tous

les aspects de la pensée chrétienne ou simplement humaine. La sève prodigieuse des Père de l’Eglise a irrigué tous ses travaux, marqués par une

prodigieuse érudition et une élégance de style qui rend le P. de Lubac si

attrayant. Rien de plus actuel, fait encore observer le cardinal Etchegaray, qu’un de ses livres: «Le drame de l’humanisme athée», où sa lucidité

démasque et démonte tous les totalitarismes». (apic/paris/cip/sjb)

4 septembre 1991 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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