Le professeur Paul Dembinski (à gauche), président de la plateforme "Dignité et développement" et Mgr Charles Morerod,
 évêque de Lausanne,
 Genève et Fribourg (Photo: Pierre Pistoletti)
Suisse

Le bien commun décortiqué

A l’occasion de la publication du livre «Le bien commun par-delà les impasses», une table ronde a réuni le 17 octobre 2017 chercheurs, politiciens et religieux à l’Université de Fribourg. Le but: décortiquer la notion de bien commun, un concept porteur de grandes espérances sociales.

Articulé autour du «vivre ensemble», le concept de bien commun est vaste. Il implique une pluralité d’approches. En témoignent les multiples définitions et les nombreux champs d’application, proposés à Fribourg. Pour tenter de le définir, Thierry Collaud cite le philosophe français Jacques Maritain: «le bien commun, c’est la bonne vie humaine de la multitude».

Dans cette perspective, il s’agit de clarifier ce que signifie la bonne vie humaine, «un peu comme un vigneron définit ce qui fait un bon vin», explique le professeur de théologie morale. Une réflexion à laquelle s’attelle la Plateforme Dignité et Développement, un think tank inspiré par l’enseignement social chrétien. Ce groupe de réflexion du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, fondé en 2015, est à la base du livre Le bien commun par-delà les impasses, présenté à l’Université de Fribourg.

Dans sa Constitution pastorale Gaudium et Spes, le concile Vatican II avait défini le bien commun comme «l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée». Le concept, «a pu faire recette dans la réflexion politique» avant de devenir «ringard», selon Thierry Collaud, qui souligne néanmoins le potentiel et l’actualité de cette notion à la fois philosophique, théologique et politique.

Thierry Collaud, professeur de théologie morale à l’Université de Fribourg (Photo: Pierre Pistoletti)

Un droit central des personnes

Pour Jean-Jacques Friboulet, «le bien commun, c’est ce qui m’appartient à moi, mais aussi à tous. Droit central des personnes, il peut prendre plusieurs formes: droit à l’information, à l’opposé de l’initiative ‘No Billag’, ou droit à une monnaie commune, à l’opposé du Bitcoin«, explique-t-il pour illustrer son propos. De manière fondamentale, le professeur, spécialiste d’histoire économique et d’économie du développement, identifie le bien commun à la notion de dignité humaine. «Une dignité que tout chrétien devrait défendre».

Toujours au niveau des fondamentaux, Mgr Charles Morerod rappelle que «le bien commun découle directement de la foi chrétienne. Disciple du Christ, l’homme est pleinement lui-même quand il se donne», explique l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. Cette attitude a des répercussions sociales concrètes, à l’opposé de l’égoïsme qui consiste à «prendre pour soi en laissant les autres se débrouiller».

Mgr Charles Morerod: «le bien commun découle directement de la foi chrétienne» (Photo: Pierre Pistoletti)

A y regarder encore de plus près, le bien commun se distingue de l’intérêt général, analyse le dominicain Jacques-Benoît Rauscher, docteur en sociologie et doctorant en éthique sociale chrétienne. «L’idée de l’intérêt particulier qui rejoindrait l’intérêt général imprègne les mentalités. Le bien commun est autre. Il implique la reconnaissance première de quelque chose de commun».

Réflexion en cours

La réflexion autour du concept doit encore se poursuivre, se clarifier, favorisée en cela par la plateforme de réflexion Dignité et Développement. Pour autant, le bien commun n’est pas une notion abstraite. Elle se situe au cœur de l’engagement des différents intervenants à la table ronde, du concret de la vie religieuse en communauté aux sphères politiques étatiques. Reprenant les propos de l’abbé Pierre, Pascal Corminboeuf explique en ce sens, avec un brin de poésie, avoir essayé de «répartir avec amitié les richesses du monde» tout au long de son mandat de Conseiller d’Etat dans le canton de Fribourg.

Reste la question de l’avenir du concept. Est-il cloisonné à cette petite salle d’Université ou s’inscrit-il dans un changement de paradigme social qui le dépasse? «Les choses bougent aujourd’hui en ce sens», assure Andrea Wassmer (PS), membre du Grand Conseil fribourgeois. «Il faut interpréter les changements qui émergent aujourd’hui comme un signe des temps», soutient pour sa part Jean-Jacques Friboulet. Ils en sont convaincus, ce concept hier démodé fait aujourd’hui son retour sur le devant de la scène. (cath.ch/pp)


Le bien commun par-delà les impasses

Le bien commun par-delà les impasses (Saint-Augustin, 2017) constitue un point de départ pour la mise en commun des réflexions de portée sociale et d’inspiration chrétienne menées en Suisse romande autour de cette thématique. Sous la direction de Paul Dembinski (économiste, professeur à l’Université de Fribourg) et Jean-Claude Huot (agent pastoral pour la pastorale oecuménique du monde du travail et la promotion de l’enseignement social chrétien pour l’Eglise catholique dans le canton de Vaud), il regroupe une vingtaine d’articles qui traitent des lieux où se joue le bien commun tels que la famille, l’entreprise, ou encore l’espace public; d’autres traitent des instruments possibles, mettent cette notion en dialogue avec d’autres cultures, ou l’inscrivent dans la diversité des disciplines (théologie, sociologie, philosophie politique ou économie).

Le professeur Paul Dembinski (à gauche), président de la plateforme «Dignité et développement» et Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg
18 octobre 2017 | 12:02
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture : env. 3  min.
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