Bernard Litzler: «Dans ce métier, il n'y a pas deux jours pareils»
Après 25 ans d’activité dans les médias catholiques de Suisse romande, le journaliste Bernard Litzler est arrivé à l’âge de la retraite. «Le journalisme m’a rendu heureux parce qu’il reste un métier intuitif et créatif. Il n’y a pas eu deux jours pareils», témoigne le directeur du Centre catholique des médias Cath-Info au moment de passer le relais à Fabien Hunenberger.
Dans son bureau de l’avenue de la Gare à Lausanne, Bernard Litzler est resté en pleine activité, entre le téléphone et le clavier, jusqu’au dernier jour avant la retraite. Son dernier défi, et pas des moindres: organiser la retransmission de la messe du jour de Noël en eurovision de la chapelle de Morges en respectant les normes sanitaires imposées par la lutte contre le covid-19. C’est-à-dire sans chorale et avec un public très restreint. En bon professionnel, son commentaire, comme à son habitude sobre et discret, n’a rien laissé transparaître de son stress ni de son émotion après 25 ans d’activité médiatique.
Vous êtes venu au journalisme pour ainsi dire sur le tard.
Pour moi, le journalisme a été un ‘travail sur appel’. Je m’explique: après une première vie professionnelle comme juriste et enseignant, j’ai entrepris des études de théologie à l’Université de Fribourg. En octobre 1995, lors d’une retraite chez les Sœurs du Cénacle à Sauges (NE), j’ai reçu un appel spécifique. C’était un appel de fond: je devais être journaliste. Tout en terminant mes études de théologie, j’ai commencé l’Institut de journalisme. En 1996, j’ai fait un stage à l’Agence de presse internationale catholique, l’APIC, à Fribourg. L’Eglise catholique du canton de Fribourg cherchait alors un attaché de presse et j’ai été engagé.
Ce premier job n’a duré que quelques mois. Un autre appel s’est rapidement manifesté.
Après un peu moins d’un an, Mgr Amédée Grab, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, me sollicite pour «donner un coup de main» à L’Echo Romand, journal paroissial édité à Lausanne. J’y suis arrivé en avril 1997 pour un essai. L’abbé Joseph Beaud, son rédacteur en chef, m’a rapidement demandé de lui succéder. Alors que je n’étais que journaliste stagiaire, je suis donc devenu rédacteur responsable à l’été 1997. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir compter sur l’abbé Claude Ducarroz et sur mon collègue François Pahud. L’aventure a duré cinq ans avant de devoir mettre la clef sous la porte. Car sur la base des seuls abonnements et sans publicité, l’affaire n’était pas viable.
Après cet échec, les choses se sont à nouveau enchaînées assez directement.
Oui, en 2002, le Père Albert Longchamp, rédacteur en chef de l’Echo Magazine, hebdomadaire chrétien familial publié à Genève, m’appelle. Lui aussi souhaitait se retirer et il me confia les rênes du magazine en 2003. Je m’y suis bien épanoui, notamment à travers l’exercice hebdomadaire de l’édito, le point focal du journal.
De la presse écrite, vous êtes passé ensuite à l’audiovisuel.
En 2009, André Kolly, directeur du Centre catholique de radio et télévision (CCRT) cherchait un successeur et j’ai été sollicité. Très lié à l’Echo Magazine, j’ai pourtant accepté ce nouveau défi d’aborder les médias radio et TV. Une nouvelle aventure s’ouvrait devant moi. Mais j’ai toujours été un bâtisseur.
Votre dernière aventure journalistique aura été celle de Cath-Info.
En 2012, a commencé le processus de fusion du CCRT avec l’APIC et C@tholink pour fonder le Centre catholique des médias Cath-Info qui a démarré le 1er janvier 2015. Ce processus a exigé de nombreuses réunions de travail nationales et de délicates négociations avec des cultures d’entreprises assez différentes sans parler des questions financières.
Enfin vient encore le diaconat permanent en 2019.
Là aussi, il s’agit d’un «travail sur appel». A l’été 2015, cela m’est «tombé dessus» pendant mes vacances. Ce fut le même genre d’intuition que celle qui m’avait dirigée vers le journalisme en 1995. Je suis allé trouver l’évêque, Mgr Charles Morerod, pour lui faire part de ce désir et j’ai entamé le parcours de formation jusqu’à mon ordination, en 2019. Comme pour le journalisme, ma motivation repose sur l’idée de service. Avec ma retraite professionnelle, je vivrai certainement ma mission de diacre de manière différente. Je reste ouvert à ce qui pourra se passer.
Etre journaliste en Eglise implique une responsabilité particulière. Quelles évolutions avez-vous vues durant ces 25 ans?
La communication en Eglise est toujours un métier difficile, car nous sommes porteurs d’un message, évidemment. Mais comment rejoindre les hommes et les femmes d’aujourd’hui? En 2020, la communication est plus difficile parce qu’il y a plus d’informations, plus de médias, plus de canaux de distribution avec internet et les réseaux sociaux. Elle devient directe et immédiate. L’Eglise doit saisir ces opportunités. Certes, il y a l’aspect institutionnel, mais le témoignage prend toujours plus d’importance.
Jésus est communion. L’Eglise est communication par essence. Dans les métiers de la communication, nous touchons à ces dimensions. Et l’Eglise est variée comme la pâte humaine. Notre but, c’est de créer du lien entre ces réalités.
Au fond, il s’agit de toucher son lecteur ou son auditeur.
Je suis convaincu que nous pouvons toucher le public avec du contenu et des valeurs. Il s’agit d’abord de se laisser toucher soi-même. Le journalisme reste un métier intuitif et créatif. Et il m’a rendu heureux parce que j’aime ce côté-là. Aller trouver telle ou telle personne en se disant ‘Elle a des choses à dire’ n’est jamais banal.
Pendant longtemps l’information dans l’Eglise, mais aussi dans la politique ou la société, était distribuée du haut vers le bas.
Nous ne sommes plus du tout dans une communication de type top-down. Aujourd’hui, la communication directe via les réseaux sociaux a pris beaucoup d’importance. Les médias doivent en tenir compte. C’est un peu la revanche du public sur ceux qui délivraient l’information de leur salle de rédaction ou de leur chaire. Il s’agit de se mettre au plus près de ce que vivent les gens. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde a raison ! Ni que nous ne devons plus défendre nos valeurs. Nous devons maintenir une éthique professionnelle. Sinon nous ne serions que dans l’exaltation des sentiments, du sexe ou de l’argent.
L’information sur les abus sexuels commis dans le cadre ecclésial a été emblématique à cet égard.
Nous pouvons en parler aujourd’hui et c’est tant mieux. Benoît XVI a ouvert les portes de la transparence. Il a été suivi par le pape François. L’Eglise est plus saine, même si elle reste tentée par ses vieux réflexes de contrôle de l’information.
Entre journaliste et catholique, il reste toujours une certaine tension. Comment la maîtriser?
Il y a bien sûr l’éthique de la profession. Mais au-delà, il y a le regard que nous portons. Comme journaliste dans un média catholique, il existe une tension entre le ‘jeu’ de l’institution et la tentation du ‘tous pourris’. Ces jeux peuvent être destructeurs, que l’on parle de pouvoir, de hiérarchie ou d’abus. C’est là que la distinction entre le fait et le commentaire reste primordiale. L’activité d’éditorialiste, en particulier à l’Echo Magazine, m’a beaucoup appris. Il s’agit d’un vrai travail de réflexion pour laisser mûrir un sujet avant d’écrire. Le commentateur a aussi pour fonction d’analyser ce qui se passe.
Même si, à l’instar de la presse profane, la presse catholique a subit une forte érosion, l’Eglise en Suisse romande dispose encore d’outils médiatiques importants.
L’Eglise n’a pas assez conscience des outils dont elle dispose. A mon sens, le modèle romand mis en œuvre à travers Cath-Info n’est pas reconnu à sa juste valeur. Je m’étonne toujours qu’un tas de gens ignorent que nous sommes insérés dans le service public de la RTS, avec quatre émissions radio, dont deux magazines hebdomadaires, la Chronique quotidienne de RTSreligion et les messes radios, et deux émissions TV, Faut pas croire et les messes. Et que, par ailleurs, nous produisons chaque jour – via le site www.cath.ch – une dizaine de nouvelles, de reportages ou d’analyses sur la vie de l’Eglise en Suisse, au Vatican et dans le monde.
Du côté des journalistes catholiques eux-mêmes, il y a un émiettement de l’information. Chacun reste dans son coin, dans son canton, dans son média. En fait, je crois que les pratiques de l’Eglise dans les médias ne sont pas encore optimales.
Quel message souhaitez-vous laisser à votre successeur?
La «boutique» fonctionne bien. Je souligne aussi l’aspect œcuménique de la collaboration avec Medias-Pro au sein de RTSreligion. Les problèmes financiers nous rendent parfois la vie difficile, mais le potentiel existe. Les équipes sont soudées et efficaces tant à cath.ch qu’à RTSreligion. Nous développons nos outils avec les réseaux sociaux et la vidéo pour cath.ch, par exemple. Nous devons suivre l’élan digital sans renier notre passé. Je pars donc confiant et serein, aussi grâce aux qualités humaines et professionnelles de mon successeur, Fabien Hunenberger.
Dans quels sentiments partez-vous à la retraite?
Mon parcours de vie a été aussi un parcours de foi. Mais croire en Dieu, c’est aussi croire en soi. Je me suis épanoui et j’ai le sentiment d’avoir été guidé. Par-delà le stress, les tensions et parfois les conflits, qui font partie de la vie, j’ai l’impression d’avoir construit quelque chose. En fait, je n’ai pas vu le temps passer. Il n’y a jamais eu deux jours pareils. (cath.ch/mp)