Avec 'Gaudete et Exsultate', le pape François veut faire résonner l’appel à la sainteté
La troisième exhortation apostolique du pape François, Gaudete et Exsultate, rendue publique le 9 avril 2018, se veut un appel à la sainteté dans le monde contemporain. Ecrite dans un langage simple, elle constitue un petit manuel de vie spirituelle destiné à tous et adapté au 21e siècle.
En un peu plus de 110 pages réparties en cinq chapitres, signée en date du 19 mars en la fête de saint Joseph, Gaudete et Exsultate tire son nom des Béatitudes, dans l’évangile selon saint Matthieu (Mt, 5, 12) – «Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés».
«Il ne faut pas s’attendre, ici, à un traité sur la sainteté», prévient cependant le pape dès l’introduction. Il s’agit selon lui de «faire résonner une fois de plus l’appel à la sainteté» auprès du peuple de Dieu : c’est la sainteté de la «porte d’à côté», la «classe moyenne» de la sainteté.
«Viser haut»
La particularité de cette exhortation est ainsi d’être rédigée à la première personne, et de tutoyer son interlocuteur, sur le ton de la conversation : «n’aie pas peur de la sainteté», interpelle ainsi le pape. Elle s’adresse aussi à tous les états de vie : consacrés, mariés, travailleurs, responsables.
«Ne pas se contenter d’une existence «médiocre, édulcorée, sans consistance»
En cela, le document s’inspire de saint François de Sales, cité dès le premier chapitre, qui au 17e siècle parlait de «perfection des exercices ordinaires de la vie». Une trentaine de ›saints’ sont d’ailleurs nommés dans le document – pas tous canonisés, comme les moines de Tibhirine, le bienheureux Charles de Foucauld ou le cardinal vietnamien François-Xavier Van Thuan.
A travers eux, ce que recommande avant tout le pontife, c’est de «viser haut», de ne pas se contenter d’une existence «médiocre, édulcorée, sans consistance».
Deux falsifications de la sainteté
Pour cela, Gaudete et Exsultate met en garde contre deux falsifications de la vérité catholique, «deux ennemis subtils» et actuels de la sainteté, car ils provoquent un «élitisme narcissique et autoritaire» (Evangelii Gaudium). Il s’agit d’abord du gnosticisme, qui désincarne le mystère en l’enfermant dans la connaissance subjective. L’autre tentation concerne le pélagianisme, qui oublie que la grâce du Seigneur est première, et non la volonté humaine.
Hérésies des premiers siècles du christianisme, ces deux tentations renaissantes avaient déjà fait l’objet, en mars dernier, d’une lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi adressée aux évêques du monde entier, et intitulée Placuit Deo.
«Savoir pleurer avec les autres»
Le troisième chapitre de l’exhortation est un commentaire des huit Béatitudes, pour «parvenir à être un bon chrétien» à la «lumière du Maître». Le pontife y propose notamment la «sainte indifférence» de saint Ignace de Loyola à l’égard de tout ce qui arrive, pour atteindre la «merveilleuse liberté intérieure».
Mais aussi de «savoir pleurer avec les autres», de garder le cœur pur de tout ce qui souille l’amour, ou encore d’accepter les persécutions – «qui ne sont pas une réalité du passé» – les calomnies et les mensonges. «C’est cela la sainteté !», s’exclame-t-il à chaque énoncé des Béatitudes.
Idéologies qui mutilent l’Evangile
A la fin de ce chapitre, le pape renvoie dos à dos deux erreurs «nuisibles», deux idéologies qui concernent tour à tour conservateurs et progressistes. D’une part ceux qui séparent les exigences de l’Evangile de leur relation «personnelle» avec le Seigneur, de la grâce. Et d’autre part ceux qui suspectent l’engagement social, le considérant comme superficiel, mondain ou même «communiste».
«La défense de l’innocent qui n’est pas encore né, écrit le successeur de Pierre, doit être sans équivoque, ferme et passionnée». «Mais est également sacrée la vie des pauvres qui sont déjà nés». A l’intention des catholiques qui considèrent que le problème des migrants est «secondaire» par rapport à la bioéthique, le pontife souligne aussi que ce n’est pas une «invention d’un pape ou un délire passager».
Le «style de vie» de Jésus aujourd’hui
Les quatrième et cinquième chapitres sont les plus personnels sous la plume du pontife. Face au contexte «d’anxiété nerveuse et violente», d’individualisme et de «fausse spiritualité» qui caractérise la culture actuelle, le pape recommande cinq vertus indispensables à ses yeux pour l’imitation du «style de vie» de Jésus.
Ce sont d’abord la patience, l’humilité et la douceur de cœur de celui qui est «solidement axé sur Dieu». Cela procure une «force intérieure», source de paix, qui permet de se libérer d’un «ego démesuré», et d’endurer contrariétés et agressivité, en particulier sur les réseaux sociaux.
«L’attention aux petits détails est ne marque de sainteté»
C’est ensuite la joie, le sens de l’humour, particulièrement présent chez un saint Vincent de Paul ou un saint Philippe Néri, aux 16e et 17e siècles. Le pape suggère également la ferveur apostolique et l’enthousiasme de la mission, plutôt que «la tentation de fuir». Ce zèle s’exprime en particulier à travers la compassion et la capacité à aller aux périphéries, là où «l’humanité est la plus blessée».
L’évêque de Rome évoque enfin le rôle de la vie communautaire – religieuse ou dans le mariage – à l’exemple de la «sainte communauté» formée par Jésus, Marie et Joseph, où se reflétait «la beauté de la communion trinitaire». Le pape note en particulier l’attention aux «petits détails» comme une marque de sainteté.
Pas de sainteté sans prière ni combat
«Je ne crois pas dans la sainteté sans prière», insiste encore le pontife. Ce qui suppose le silence, l’adoration, la contemplation des plaies du Christ, la prière d’intercession et la participation à l’eucharistie. Afin que le désir de Dieu du disciple, par cet «esprit de prière constante», se manifeste dans la vie quotidienne. «Y a-t-il des moments où tu te mets en sa présence ?», interroge même le successeur de Pierre.
«Ne pas être des marionnettes à la merci des tendances du moment»
Enfin, le dernier chapitre de Gaudete et Exsultate est consacré au combat spirituel, antidote à la tiédeur. «La vie chrétienne est un combat permanent», indique-t-il, «une lutte permanente contre le diable qui est prince du mal». A l’encontre de ceux qui en douteraient, il souligne au passage que le diable est «plus qu’un mythe»: un être personnel.
Dans cette lutte constante, le chrétien possède des «armes puissantes» : la prière, la messe, la confession, les œuvres de charité. Et également le discernement, qui évite d’être des «marionnettes à la merci des tendances du moment». Discernement, insiste-t-il, qui passe par la pratique de l’examen de conscience, l’obéissance à l’Evangile et au magistère.
Au final, une des conditions essentielles du discernement, et donc de la sainteté, réside dans «la logique du don et de la croix». Jusqu’à tout donner, précise le pape, à l’exemple de la Vierge Marie, «sainte parmi les saints». (cath.ch/imedia/ap/mp)
Béatitudes, persécutions, joie, silence, humilité… : Gaudete et Exsultate en 15 mots-clefs (extraits)
Troisième exhortation apostolique du pontificat de François, Gaudate et Exsultate, parue le 9 avril 2018, se veut un appel à la sainteté, simple et accessible sans pour autant être édulcoré ou superficiel. Il s’agit d’un document du pape au ton personnel, pour enlever toute «peur de la sainteté» et dont I.MEDIA a relevé 15 mots-clefs.
Béatitudes (n.50) : Rien n’est plus éclairant que de revenir aux paroles de Jésus et de recueillir sa manière de transmettre la vérité. Jésus a expliqué avec grande simplicité ce que veut dire être saint, et il l’a fait quand il nous a enseigné les béatitudes. Elles sont comme la carte d’identité du chrétien.
Marie (n.176) : La Vierge Marie couronne ces réflexions, car elle a vécu comme personne les béatitudes de Jésus. Elle est celle qui tressaillait de joie en la présence de Dieu, celle qui gardait tout dans son cœur et qui s’est laissée traverser par le glaive. Elle est la sainte parmi les saints, la plus bénie, celle qui nous montre le chemin de la sainteté et qui nous accompagne. (…) Parler avec elle nous console, nous libère et nous sanctifie.
Persécution (n.92 et 93) : La croix, en particulier les peines et les souffrances que nous supportons pour suivre le commandement de l’amour et le chemin de la justice, est une source de maturation et de sanctification.
Joie (n.122 et 126) : [La sainteté] n’implique pas un esprit inhibé, triste, aigri, mélancolique ou un profil bas amorphe. Le saint est capable de vivre joyeux et avec le sens de l’humour. Sans perdre le réalisme, il éclaire les autres avec un esprit positif et rempli d’espérance. (…) Ordinairement, la joie chrétienne est accompagnée du sens de l’humour. (…) La mauvaise humeur n’est pas un signe de sainteté.
Silence (n.149, 150 et 151) : La prière confiante est une réaction du cœur qui s’ouvre à Dieu face-à-face, où on fait taire tous les bruits pour écouter la voix suave du Seigneur qui résonne dans le silence. Dans le silence, il est possible de discerner, à la lumière de l’Esprit, les chemins de sainteté que le Seigneur nous propose. (…) Y a-t-il des moments où tu te mets en sa présence en silence, où tu restes avec lui sans hâte, et tu te laisses regarder par lui ?
Eucharistie (n.157) : La rencontre avec Jésus dans les Ecritures nous conduit à l’Eucharistie, où cette même Parole atteint son efficacité maximale, car elle est Présence réelle de celui qui est la Parole vivante. Là, l’unique Absolu reçoit la plus grande adoration que puisse lui rendre cette terre, car c’est le Christ qui s’offre.
Témoignages (n.138) : L’exemple de nombreux prêtres, religieuses, religieux et laïcs qui se consacrent à évangéliser et à servir avec grande délité, bien des fois en risquant leurs vies et sûrement au prix de leur confort, nous galvanise. Leur témoignage nous rappelle que l’Eglise n’a pas tant besoin de bureaucrates et de fonctionnaires, que de missionnaires passionnés, dévorés par l’enthousiasme de transmettre la vraie vie.
Humilité (n.118, 119 et 120) : L’humilité ne peut s’enraciner dans le cœur qu’à travers les humiliations. Sans elles, il n’y a ni humilité ni sainteté. Si tu n’es pas capable de supporter et de souffrir quelques humiliations, tu n’es pas humble et tu n’es pas sur le chemin de la sainteté. (…) L’humiliation te conduit à ressembler à Jésus, c’est une partie inéluctable de l’imitation de Jésus-Christ. (…) Je ne me réfère pas uniquement aux situations cruelles de martyre, mais aux humiliations quotidiennes. (…) C’est une grâce qu’il n ous faut demander.
Diable (n.158 et 159) : La vie chrétienne est un combat permanent. (…) Quand Jésus nous a enseigné le Notre Père, il a demandé que nous terminions en demandant au Père de nous délivrer du Mal. Le terme utilisé ici ne se réfère pas au mal abstrait et sa traduction plus précise est ›le Malin’. Il désigne un être personnel qui nous harcèle. (…) Ne pensons donc pas que c’est un mythe, une représentation, un symbole, une figure ou une idée.
Internet (n.115) : Les chrétiens aussi peuvent faire partie des réseaux de violence verbale sur Internet (…) on a coutume de banaliser la diffamation et la calomnie. Ainsi se produit un dangereux dualisme, car sur ces réseaux on dit des choses qui ne seraient pas tolérables dans la vie publique, et on cherche à compenser ses propres insatisfactions en faisant déferler avec furie les désirs de vengeance.
Idéologie (n.100 et 101) : Parfois les idéologies nous conduisent à deux erreurs nuisibles. D’une part, celle des chrétiens qui séparent ces exigences de l’Evangile de leur relation personnelle avec le Seigneur, (…) de la grâce. Ainsi, le christianisme devient une espèce d’ONG, privée de cette mystique lumineuse. (…) Est également préjudiciable et idéologique l’erreur de ceux qui vivent en suspectant l’engagement social des autres, le considérant comme quelque chose de superficiel.
Pauvres (n.96 et 97) : Dans les pauvres et les souffrants, se révèle le cœur même du Christ, ses sentiments et ses choix les plus profonds, auxquels tout saint essaie de se conformer. (…) Vu le caractère formel de ces requêtes de Jésus [de secourir les plus démunis], il est de mon devoir, en tant que son Vicaire, de supplier les chrétiens de les accepter et de les recevoir avec une ouverture d’esprit sincère, ›sine glossa’, autrement dit, s ans commentaire, sans élucubrations et sans des excuses qui les privent de leur force.
Migrants (n.102 et 103) : On entend fréquemment que, face au relativisme et aux défaillances du monde actuel, la situation des migrants, par exemple, serait un problème mineur. (…) [A un chrétien] ne sied que l’attitude de se mettre à la place de ce frère qui risque sa vie pour donner un avenir à ses enfants. (…) Pouvons-nous reconnaître là précisément ce que Jésus-Christ nous demande quand il nous dit que nous l’accueillons lui-même dans chaque étranger ? (…) Il ne s’agit pas d’une invention d’un pape ou d’un délire passager.
Austérité (n.108) : Le consumérisme hédoniste peut nous jouer un mauvais tour, parce qu’avec l’obsession de passer du bon temps, nous finissons par être excessivement axés sur nous-mêmes. (…) Il sera difficile pour nous de nous soucier de ceux qui se sentent mal et de consacrer des énergies à les aider, si nous ne cultivons pas une certaine austérité, si nous ne luttons pas contre cette fièvre que nous impose la société de consommation.
Audace missionnaire (n.129, 130 et 131) : [La sainteté] est audace, elle est une incitation à l’évangélisation qui laisse une marque dans ce monde. (…) [Le Seigneur] nous invite à consacrer notre vie à son service. (…) Nous sommes fragiles mais porteurs d’un trésor qui nous grandit et qui peut rendre meilleurs et plus heureux ceux qui le reçoivent. L’audace et le courage apostoliques sont des caractéristiques de la mission.
(cath.ch/imedia/mp)
Publiée aux éditions St-Augustin à St-Maurice
Pour la Suisse romande, l’exhortation apostolique du pape François sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel Gaudete et exsultate est publiée par les éditions Saint Augustin, à St Maurice, avec une préface de l’abbé François-Xavier Amherdt, professeur de théologie à l’Université de Fribourg. Dans ce texte, le pape François souligne que, comme les béatitudes, la sainteté se place à contre-courant de certaines valeurs et idéologies de notre époque. Elle implique vigilance et discernement permanents. Elle exige d’entrer dans le combat spirituel, celui de la croix. Elle n’est jamais acquise, elle dépend constamment du don de l’Esprit. Elle est indispensable au témoignage des catholiques dans le monde, relève François-Xavier Amhert. .
Pape François : Gaudete et exsultate, 104 pages. 2018, Éditions Saint-Augustin, 1890 Saint-Maurice. 5 francs.