Aurélie Netz publie sa deuxième recherche "Femme en quête de guérison" en 2023 | © Grégory Roth
Suisse

Aurélie Netz: «Ces femmes sont désormais mes héroïnes»

Entre résilience et souffrance, comment la spiritualité peut donner du sens lorsqu’on est atteint de maladie chronique? Une étude que l’auteure et anthropologue Aurélie Netz a effectuée grâce aux récits de neuf femmes qu’elle a rencontrées.

Dans son dernier ouvrage, paru en mai 2023, l’anthropologue vaudoise Aurélie Netz a recueilli le témoignage de neuf femmes atteintes de maladie chronique. Dénominateur commun: elles ont toutes un ancrage spirituel qui leur a permis de prendre soin d’elles et de tenter une transformation de leur situation. Basée à Lausanne, la trentenaire a rencontré ces femmes entre 2016 et 2022. Interview.

Quel rapport les femmes de votre étude entretiennent-elles avec la spiritualité?
Aurélie Netz: Plus de la moitié des femmes que j’ai interrogées étaient déjà très impliquées dans leur confession, groupe et communauté religieuses avant la maladie. Et elles y trouvent un vrai soutien. Je pense à Hélène, par exemple, qui, dans sa paroisse, se sent réconfortée par le rituel, la Sainte Cène, la prière et la lecture de la Bible. Dans le récit de ces femmes, il y a autant de manière de donner sens à la maladie, que de parcours que vie ou de trajectoires religieuses. Et d’autres n’étaient pas du tout dans ce questionnement avant leur maladie. Elles se sont alors ouvertes à la spiritualité, ou à Dieu, pour trouver du sens au non-sens de leur maladie.

«Pour moi, la mort n’est pas une fin, mais un changement d’état. Le but de cette vie, c’est d’expérimenter l’amour dans la dualité»

Laure

Vous parlez de ces femmes comme vos «héroïnes». Est-ce que notre société devrait davantage s’imprégner de leur récit?
Il y a un enjeu de visibilité et de «visibilisation» de ces personnes et de leur récit de l’intime, parce qu’on ne le raconte qu’à nos proches, avec une certaine pudeur, lorsqu’il s’agit de notre spiritualité. Et aussi parce que dans un contexte plus général, la maladie est connotée de manière assez négative, culturellement. Mais ces récits nous déplacent. Ils nous parlent de deux choses universellement importantes: du faire-face à la souffrance, et des ressources et résilience qui peuvent se mettre en place pour prendre soin de soi. C’est un chemin assez long de ces femmes pour arriver à une forme de guérison, qui n’est pas forcément physique, mais qui est une transformation et pouvoir d’agir, afin de changer leur vie.

Aurélie Netz, passionnée de lecture et de diversités ethnique et religieuse | © Grégory Roth

Comment en êtes-vous arrivé à ces récits, mêlant spiritualité et guérison?
Pendant mes études, je me suis beaucoup intéressée aux ritualités contemporaines. «Comment fait-on rituel dans notre société?» Et pendant ma recherche de thème de master, une amie qui participait à des Cercles de Femmes m’a proposée de la rejoindre. J’ai découvert un univers passionnant, dont certains éléments m’étaient connus par mon entourage – notamment les spiritualités alternatives –, mais la plupart étaient nouveaux pour moi. Ayant moi-même grandi dans une famille protestante, j’ai essayé de comprendre ce qui se jouait pendant ces rituels: ce que les femmes vivaient, ce que cela leur apportait, dans leur chemin de vie parfois très complexe, avec des vécus de violence.

«Ma spiritualité, c’est le partage avec les autres. Pour moi, l’Église ne se vit pas seulement entre quatre murs, ça se vit tous les jours […] La prière, c’est une connexion permanente.»

Hélène

Que sont ces Cercles de Femmes?
Ce sont des structures réservées aux femmes – tout comme il y a des Cercles d’hommes ou des Cercles Mixtes. On y vit des moments de parole et de partage, un temps rituel construit et rythmé. Des temps de partage avec des témoignages, alternés avec d’autres moments plus artistique, créatifs ou thérapeutique, avec différents éléments de spiritualités. En fonction des organisatrices, il peut y avoir des approches de spiritualité alternatives ou issue du christianisme. Les Tentes Rouges, par exemple, sont des groupes féminins typiquement chrétiens.  

Aurélie Netz, anthropologue et auteure lausannoise | © Grégory Roth

Vous avez employé une méthode ethnographique…
C’est une observation participante qui est au cœur de la recherche. Il y a, d’une part, un entretien qualitatif, pour comprendre comment les personnes donnent sens à leur univers. Et avec l’observation participante, je prends part pleinement à ces cercles. Je les vis et je réfléchis aussi à partir de ce que j’expérimente, ce que j’observe et ce que j’éprouve. Cela pose plein de questions épistémologiques! Vis-à-vis des Cercles, j’ai toujours signalé que j’entreprenais une étude, mais avec l’observation participante, du fait d’être intégrée dans des échanges intimes, cela impliquait que je ne prenne jamais de notes.

Est-ce dans ce cadre que les témoignages vous sont parvenus?
Ce sont d’abord des échanges informels dans le cadre du cercle qui m’ont a ensuite conduit à des entretiens, avec prise de note et enregistrements, sur plusieurs rencontres régulières. Il était très important pour moi de faire lire et relire mes analyses à toutes ces femmes, pour être sûre que j’avais bien compris leur chemin et que je n’étais pas parasitée par mes propres présupposés. Et j’accueillais volontiers leurs corrections ou leurs ajouts.

Vous diriez que ce livre est un travail d’équipe?
C’est une collaboration absolue. J’ai uniquement accès à leur récit. Non pas à leur expérience. Elles restent les expertes de leurs vies. Moi je ne suis que la plume et je transmets. J’essaye de contextualiser leurs expériences, pour faire le lien entre l’individuel et une réalité plus collective.

Comment s’est passée le processus de sélection des neuf portraits?
Cela touche un peu au hasard. J’ai fait un appel – dans les milieux que je fréquentais et sur les réseaux sociaux – de recherche de personnes atteintes de maladie chronique pour lesquelles la spiritualité avait joué un rôle. Et ce sont ces femmes qui sont venues vers moi. J’en connaissais certaines et d’autres pas du tout. Aucun homme n’a répondu à cet appel.  

«Chaque fois que je vais à une manifestation ou à un débat et que je partage mes valeurs, là, j’ai le sentiment que ça donne sens à mon existence…»

Aurore

Quel public votre ouvrage va-t-il intéresser?
D’abord les personnes qui, elles-mêmes, vivent une maladie chronique et pour qui la spiritualité est un sujet de préoccupation. Il y a aussi beaucoup de personnes qui entourent les malades : les familles, les proches, les proches-aidant-e-s. Et il y a toute la catégorie des soignants : infirmier-ère-s de soins palliatifs, psychologues, accompagnant-e-s spirituelles, et aumônier-ère-s qui sont des spécialistes du religieux dans ces situations de vie extrêmes. En ce sens, ce livre est aussi une exploration de la dimension spirituelle pour l’accompagnement sur le long terme, dans le cas des maladies chroniques. (cath.ch/gr)

Aurélie NETZ, Femmes en quête de guérison. Spiritualité et résilience dans la maladie chronique, collection Prisme, Éditions Saint-Augustin, 2023.

Aurélie Netz, un environnement multiculturel et multiconfessionnel

Née en 1991,Aurélie Netz a grandi à Lausanne, au sein d’une famille élargie « multiculturelle et multiconfessionnelle ». Interpelée très tôt par les questions de diversités ethnique et religieuse, elle a continué à les développer par ses rencontres et par ses études anthropologiques. Après avoir effectué un bachelor en sciences politiques, elle étudie en sciences des religions, et obtient un master en sciences sociales en 2018, avec une spécialisation en anthropologie du corps et de la santé, en études de genres, et en spiritualités et diversités religieuses contemporaines. En 2019, elle publie une première recherche ethnographique Les Cercles de Femmes. Ritualiser l’identité de genre dans les spiritualités alternatives. Mariée, Aurélie Netz est également aumônière auprès des mineurs placés en institution. GR

Aurélie Netz publie sa deuxième recherche «Femme en quête de guérison» en 2023 | © Grégory Roth
19 mai 2023 | 17:15
par Grégory Roth
Temps de lecture : env. 5  min.
anthropologie (9), femmes (170), Maladie (49), spiritualité (118)
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