Rome: La basilique Saint-Pierre révèle son histoire et ses lieux secrets

APIC reportage

Construite en 326, en dévotion au chef des apôtres

Antoine Soubrier, correspondant de l’agence APIC à Rome

Rome, 1er juillet 2001 (APIC) Le 29 juin, jour des saints Pierre et Paul, est une fête particulièrement importante au Vatican du fait de la présence du tombeau de saint Pierre. Vénéré dès les premiers siècles par les chrétiens du monde entier, le chef des apôtres a suscité une grande dévotion conduisant notamment à la construction d’une première basilique en 326, qui a été reconstruite ou remodelée au cours des siècles. Voyage dans l’histoire et les lieux cachés de ce véritable musée.

Depuis l’inauguration de la première basilique Saint-Pierre en 326 par Sylvestre Ier – appelée basilique constantinienne car demandée par l’empereur Constantin -, projets et restaurations se sont succédés durant le Moyen-Age jusqu’au XVIème siècle.

Onze siècles et demi de foi, d’art et d’histoire, durant lesquels les pèlerins n’avaient cessé d’affluer que pendant 73 ans – de 1305 à 1378 -, la papauté ayant été déplacée à Avignon en France, disparurent en quelques heures. En 1506, le pape Jules II ordonna en effet la démolition de l’immense complexe déjà fissuré, poli par les ans et les vents, aussi fragile qu’éphémère. Le premier architecte fut Donato Bramante qui n’eut pas le temps de mettre à terme son projet d’une basilique surplombée d’une énorme coupole dressée sur un tambour à galeries de colonnes. Le projet tout entier fut suspendu par sa mort en 1514, un an après Jules II. Ce n’est qu’en 1534 que Paul III Farnèse prend des initiatives et réveille à son tour les consciences. Il ordonna alors en 1536 à Antonio Cordoni – appelé aussi Antonio da Sangallo – de préparer un nouveau projet, consolidant les fondations réalisées par Bramante.

Les archives de la «Fabrique de Saint-Pierre»

Toute l’histoire de la basilique vaticane se retrouve dans les archives de la «Fabrique de Saint-Pierre» (voir encadré), «gardien» du lieu. Bien conservées à l’abri des flashs des touristes, ces archives sont situées dans les «greniers» de la basilique.

Dans l’ascenseur qui mène à la célèbre coupole de la basilique Saint-Pierre, l’arrêt au 2ème étage – qui correspond à la hauteur de 6 étages d’un immeuble ! – n’est pas habituel. Une porte verrouillée interdisant l’entrée au public s’ouvre alors sur un ensemble de couloirs, récemment restaurés, qui traversent la basilique de part et d’autre, reliant chacune des quatre petites coupoles octogonales qui entourent la principale. Nous sommes sur la «terrasse» couverte de la basilique, juste au-dessus de la chapelle «Grégorienne» – demandée par le pape Grégoire XIII -, la première à avoir été terminée lors de la construction de la basilique. C’est là que sont rassemblées toutes les archives de la basilique.

Ces grandes et hautes salles, éclairées uniquement par la lumière artificielle, auraient servi de bureau aux derniers architectes de la basilique – Michel-Ange et le Bernin -, au 16ème siècle, qui y avaient fait leur «quartier général». On y retrouve aujourd’hui, en particulier, deux maquettes miniatures, l’une de la coupole – de 5 mètres sur 8 environ – effectuée par Michel-Ange, l’autre de la basilique telle qu’elle a été voulue par Antonio Da San Gallo dit le jeune – auteur notamment du palais Farnèse qui abrite aujourd’hui l’ambassade de France auprès de l’Etat italien -, de 8 mètres sur 8. Ces maquettes sont les témoins des ambitions et des projets réalisés pour la construction de la plus grande basilique de la chrétienté.

Une maquette pour le prix d’une église

Le première maquette de la basilique, réalisée par Antonio da San Gallo de 1540 à 1546 est présente dans une des quatre coupoles octogonales de la basilique Saint-Pierre. Toute en bois et d’un poids de 6 tonnes, elle aurait coûté le prix de la construction d’une vraie église. Elle contient de nombreux détails également dans sa partie intérieure, dans laquelle on peut accéder. Même si l’aspect général reprend la forme actuelle, on remarque certaines différences notoires, dont la présence de deux clochers sur l’avant de la basilique qui aurait eu par ailleurs un plan en «croix grecque», avec quatre absides de taille égale.

L’autre maquette miniature réalisée en 1545, représentant la coupole «en coupe», n’est pas tout à fait identique à celle qui a été finalement construite. Plus «circulaire», elle avait été conçue par Michel-Ange, reprenant les concepts de la construction de la coupole du Panthéon et de celle de Santa Maria dei fiori à Florence en Italie. Réunissant ces deux structures, il a ainsi créé un concept de «double coupole», pour démultiplier la charge des quelque 14’000 tonnes de matériaux. Commencée sous le pape Jules II, la coupole n’était pas terminée sous Sixte V, qui, voulant qu’elle soit achevée sous son pontificat, a demandé à 800 ouvriers de travailler jour et nuit sans relâche pendant deux ans pour accélérer la fin de la construction, qui est finalement arrivée peu avant la mort de Michel-Ange en 1564. Pour marquer son passage, Sixte V a fait représenter ses armes sur chacun des pans de la coupole.

Le projet fou de Michel-Ange: un nef jusqu’au Tibre

Au moment de sa mort en 1546, Antonio da San Gallo n’avait eu le temps de réaliser qu’une petite partie de sa maquette, alors que quarante années étaient passées depuis le début des travaux. Lorsque Michel-Ange reçut à sa suite le titre d’architecte de la basilique, il s’empressa de démolir tout ce qui avait été commencé, trouvant le plan de son prédecesseur trop sombre – il n’y avait en effet quasiment aucune ouverture sur l’extérieur – et trop peu à son goût. Michel-Ange voulait reprendre l’esprit de Donato Bramante, le premier architecte de la nouvelle basilique. Il préférait, tout en gardant le même plan général, construire une nef qui aurait été jusqu’au Tibre, à plusieurs centaines de mètres du choeur de la basilique actuelle ! Il mourut avant de pouvoir réaliser ce projet fou – qui avait toutefois reçu l’accord du pape – alors qu’il n’avait pu construire que l’abside sud de la basilique, où se trouve l’autel de saint Jérôme. Alors que la construction traînait depuis près d’un siècle, la basilique fut enfin terminée sur le plan de l’abside construite par Michel-Ange, en 1614 sous Paul V, le dernier architecte ayant mis la main à la façade de l’actuelle basilique étant Maderno.

Finalement, la basilique actuelle, plus petite que tous les plans prévus, reprend des thèmes architecturaux des deux grands artistes et des papes initiateurs. «On retrouve à chaque fois le même concept de la centralité», explique Alfredo Maria Pergolizzi, chargé des relations avec la presse pour la Fabrique de Saint-Pierre. «La première chose qui marque le touriste comme le pèlerin qui entre dans la basilique, c’est la centralité de l’autel et de la coupole», ajoute-t-il faisant le lien avec la vocation de la basilique, «centre de la chrétienté».

Le lion au postérieur d’éléphant

Restaurée pour l’année du jubilé, la basilique Saint-Pierre n’en finit pas de surprendre et d’émerveiller le touriste et l’historien de passage. Comme cette statue de lion, au fond de la basilique, dont le postérieur représente une tête d’éléphant… Issue de la tradition populaire – bien que la représentation soit tout à fait réelle -, la légende dit que l’assistant d’Antonio Canova – l’auteur -, surnommé «Eléphant», avait demandé au sculpteur de signer par son surnom. Ne pouvant réaliser une telle demande qui aurait pu paraître ridicule, Canova décida de représenter une tête d’éléphant en prenant la queue du lion pour la trompe de l’animal !

Au cours des travaux de restaurations de la façade et de l’atrium de la basilique, les responsables de la Fabrique de Saint-Pierre ont également eu quelques surprises en constatant que la façade n’est pas tout à fait horizontale, mais que son niveau est plus bas à gauche de 42 cm.

Continuant de servir chaque jour pour les offices liturgiques célébrés par les membres de la curie romaine ou par les prêtres de passage, la basilique Saint-Pierre semble allier de manière exceptionnelle l’art et la foi. Le 5ème centenaire de la pose de la première pierre de la basilique – célébré en 2006 – sera l’occasion de mettre en valeur son histoire. (apic/imed/as/bb)

1 juillet 2001 | 00:00
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Barreaux pour voler une enfance

APIC – Reportage

Ces gosses qu’on emprisonne dans le monde

Un dossier gênant maintenu dans l’ombre

Par Pierre Rottet, de l’Agence APIC

A l’heure où le monde se penche sur le scandale de l’exploitation sexuelle

de plus de 2 millions d’enfants dans le monde. A une époque où l’on commence à peine à s’interroger sur le «rendement» de 73 millions de gosses «actifs économiquement» dans les cinq continents, un autre dossier demeure:

celui des enfants en prison, des gosses de l’ombre. Ils sont 10’000,

100’000 ou plus dans le monde? Impossible à savoir. Le phénomène, encore

trop tu, est pourtant réel, même s’il ne dérange pas trop les gouvernements. L’APIC a mené l’enquête sur un problème que dénonce aujourd’hui Terre des hommes. Avec un logan pour sa campagne 96: «Pas d’enfants en prison».

Ils ont 8 ans, 12 ans ou pas encore 16 pour beaucoup. Gosses et adolescents croupissent pourtant entre quatre murs, derrière des barreaux. Pour y

«purger» des peines de 4 ou de 12 mois, de 2 ou 4 ans. Davantage parfois,

quand ils ne sont pas «oubliés», parce que personne ne les a réclamés.

Leurs crimes? Le vol d’un paquet de cigarette, d’un morceau de pain. Le

piège de la violence et de la drogue déjà. Un crime, une agression… Un

infanticide, pratiqué par une fillette abusée. Enfance violée, enfance volée, ils sont des milliers dans le monde à vivre ce cauchemar. De l’Europe

à l’Afrique, de l’Amérique à l’Asie, la misère conduit des gosses en prison. L’APIC a recueilli des témoignages venant d’Afrique et de Russie notamment.

Droit de l’enfant et cynisme juridique

Combien sont-ils derrière les barreaux dans le monde à croupir dans des

prisons d’adultes, au milieu de ceux-ci ou par groupes d’adolescents de 5,

10 ou 20 par cellule? 10’000? 100’000? Plus? «Impossible à dire… Nous

n’avons aucun chiffre. La faute à une absence de définition… Qu’est-ce

qu’un enfant en prison? Est-ce un gosse condamné? Entre quatre murs? Dans

une prison pour adultes? Pour jeunes délinquants? En institution? Autant

d’interrogations liées aux droits de l’enfant, qui se heurtent souvent cyniquement à une question juridique», admet Nigel Cantwell, consultant pour

les droits de l’enfant auprès de l’UNICEF à Genève.

Pour la seule Russie, le Comité international pour la dignité de l’enfant (CIDE), à Lausanne, parle de plus de 21’000 mineurs et enfants emprisonnés. Au BICE (Bureau catholique international de l’enfance), à Genève,

on estime qu’entre 2’000 et 4’000 mineurs et gosses, dont l’âge varie entre

10 et 16 ans, sont actuellement sous les verrous dans les cinq pays où le

Bureau déploie un programme spécifique: Sénégal, Guinée, Mali, Zaïre et Côte d’Ivoire. Cette dernière «accueille» à elle seule près de 1’400 «prisonniers en herbe». Au Rwanda enfin, l’UNICEF se préoccupe des conditions de

détention de 1’000 à 2’000 enfants – selon les sources – de 7 à 15 ans, accusés d’être des «génocidaires».

Cette évaluation est loin d’être exhaustive, relève pour sa part André

Dunant, juge des mineurs à Genève de 1965 à 1996, actuellement consultant

pour l’Association internationale des magistrats de la jeunesse et de la

famille. «Si nous pouvions donner des chiffres plus ou moins exacts, cela

pourrait dire que nous contrôlons la situation. Or nous en sommes très

loin».

Violé trois fois par semaine

Mamadou n’a pas 16 ans. Livré très tôt à lui-même dans les rues de Dakar, au Sénégal, il s’est un jour vu confier la vente de trois postes de

radio d’occasion par un oncle, un commerçant du lieu. Des postes sans doute

volés, invendables ailleurs que sur le marché informel. Au bout de 10

jours, Mamadou en avait vendu deux… «J’ai utilisé une partie de l’argent

pour m’acheter à manger, un pantalon et des chaussures. Mon patron, mon oncle, m’a envoyé en prison». Il y restera plus de 10 mois. Mamadou y serait

peut-être aujourd’hui encore sans l’action du BICE.

En Russie, 30% des mineurs sous les verrous subissent des sévices sexuels. Garçons et filles confondus. Dans un rapport publié au printemps 1996,

le groupe de recherche «Sodeïstvie», à Moscou, relate la vie de ces gamines

dans la prison moscovite de Boutyrki. Et dénonce les condition qui «dépassent l’entendement». A neuf dans une cellule… mais avec six couchettes.

Sans parler de l’hygiène et des promiscuités.

Dans la prison d’Ichka, à quelque 60 kilomètres de Moscou, les détenus

ont entre 14 et 20 ans. «Certains on l’air de gosses sortis de l’orphelinat. «Un tiers de ces gamins ne devraient pas être là: ils sont débiles

mentaux ou tout simplement innocents». L’enfer pour 340 mineurs, et pour

Sergueï, 15 ans, condamné à six ans et demi.

C’est peut-être dans cette prison que seront conduits les apprentis

caïds du centre de détention provisoire pour mineurs d’Ikchansk, dans la

région de Moscou également. En attendant, des gosses comme Micha et Youri

continueront à être tabassés… A être violés trois fois par semaine et

plus. Tous deux ont beau supplier, se défendre.

Dans une cassette co-produite par le BICE et trois organisations internationales, trois «apprentis-durs», des Lettons de 14 et 15 ans, racontent

comment ils ont abouti dans la prison de Riga. En massacrant à coups de

couteaux un adolescent qu’ils voulaient enlever en échange d’une rançon. Le

système «D» de la loi de la rue. Pour des enfants miséreux jetés très tôt

hors de la maison. Depuis son indépendance, la Lettonie a vu le nombre de

ses enfants abandonnés dans les rues passer de 2% en 1990 à 12% en 1994. En

Estonie enfin, un jeune de 16 ans est en prison depuis près de deux ans

sans être jugé. «Les juges n’ont tout simplement pas eu le temps de s’occuper de lui», s’insurge André Dunant.

90 mineurs condamnés à mort aux Etats-Unis depuis les années 70

Ces faits, tristement réels, sont peu ou prou ceux vécus quotidiennement

et pour des années parfois par des milliers de jeunes, en Afrique, en Russie ou ailleurs dans le monde. En Amérique latine comme en Asie, en Europe

comme aux Etats-Unis, la réponse de l’Etat à la violence urbaine pénalise

des gosses victimes de leur misère, des jeunes délinquants devenus la cible

privilégiée de la justice, de la société et de l’appareil répressif.

«En Angleterre aussi, ainsi qu’aux Etats-Unis, notamment, des enfants en-dessous de 16 ans – purgent des peines de prison», déplore-t-on du côté

de l’UNICEF. Pour Nigel Cantwell, le Royaume-Uni a récemment fait un gros

pas… en arrière, en prévoyant des peines «dures» pour les enfants de 10

ans. «Si l’on s’en réfère à la loi dans le Royaume-Uni, on peut condamner à

vie des mômes de 10 ans». Reste que c’est beaucoup plus impressionnant dans

les textes que dans les faits, assure le juge Dunant. «Un gosse meurtrier

de 10 ou 11 ans aura «sa chambre» dans un home d’éducation, dont les portes

seront fermées à clé. Pendant des années».

Aux Etats-Unis, le cas de deux jeunes Américains, de 12 et 13 ans, condamnés à la prison par un tribunal de Chicago en début d’année pour avoir

jeté un enfant du haut du 13e étage d’un immeuble a défrayé la chronique.

Le garçonnet de 12 ans, aujourd’hui enfermé pour des années – au même titre

que son «comparse»-, est ainsi devenu l’un des plus jeunes détenus des

Etats-Unis. Dans plusieurs Etats de ce pays, la condamnation à mort n’est

pas seulement un sort réservé aux criminels adultes.

Les Etats-Unis partagent en effet avec l’Irak, l’Iran, le Nigéria, le

Pakistan, la Barbade et le Bangladesh, le macabre point commun d’avoir procédé au cours de ces dix dernières années, à l’exécution de personnes condamnées à mort pour homicide alors qu’elles étaient mineures au moment des

faits.

Depuis les années 70, plus de 90 mineurs ont été condamnés à mort aux

Etats-Unis, à en croire les chiffres publiés par Amnesty International en

1994 déjà. Certains ont vu depuis leur condamnation annulée en appel. Mais

d’autres attendent toujours la sentence. Dans les couloirs de la mort.

Doublement pénalisé

Escamoté ou plus simplement relégué par nombre d’instances mondiales ou

d’ONG, rayé des préoccupations du grand public, le problème des enfants en

prison ne semble guère émouvoir l’opinion publique. «On ne parle pas des

gosses emprisonnés, c’est vrai, reconnaît Nigel Cantwell, l’UNICEF s’implique depuis peu, mais au niveau national seulement». Son action internationale est pour l’heure peu développée. «Les enfants exploités sexuellement,

les enfants esclaves et même les gosses des rues de Rio, de Bogota ou de

Lima, de Manille ou de Bangkok, sont perçus comme des enfants-victimes. Ce

qui n’est pas le cas pour les gosses emprisonnés à la suite de délits».

Commis pour survivre, pour manger dans nombre de cas.

Pour le représentant de l’UNICEF, ces enfants sont doublement pénalisés… Souvent issus de milieux défavorisés, ils en sont réduits à commettre des larcins pour subsister. Lorsqu’ils se font prendre ensuite, ils

s’en iront croupir dans des prisons insalubres, car «la plupart des pays

n’ont pas les moyens de se payer des institutions ou des spécialistes dans

l’éducation de la réinsertion des enfants marginalisés».

15 ans… ils en paraissaient 70

Un avis que partage l’Allemand Horst Buchman, consultant du BICE pour

l’Afrique. 25 ans de travail sur le terrain, du Mali à la Côte d’Ivoire, de

la Guinée au Sénégal en passant par le Zaïre n’ont diminué en rien sa volonté de se battre aujourd’hui pour améliorer les conditions de détention

des enfants-prisonniers.

Et des prisons, Horst Buchman, 49 ans, en a visité plus d’une. Dont celle de Conakri, en Guinée. Une image qui le poursuit… «Ce que j’ai vu dépasse l’imagination. Je me suis rendu avec des Soeurs de la Charité à la

prison centrale, où elles apportent une fois par semaine de la nourriture.

En entrant, j’ai vu les prisonniers qui sortaient deux par deux, le moins

faible donnant appui à son compagnon pour se diriger vers les Soeurs».

A l’intérieur, témoigne aujourd’hui le collaborateur du BICE, les malades gisaient dans les couloirs… On aurait dit un camp de concentration

nazi. «Les joues creuses, les yeux fixes, des adolescents de 15 ans en paraissaient 70… Même tenir leur cuillère leur était pénible. Dans la prison de Bamako, parmi les 72 enfants emprisonnés, seuls trois avaient reçu

une visite durant le semestre écoulé». En Côte d’Ivoire, un garçon de 12

ans, rempli de culpabilité, lui avouait un jour avoir tué quelqu’un. Horst

Buchmann devait apprendre par la suite que ce quelqu’un était un jeune de

14 ans, mort à la suite d’une mauvaise chute lors de la bagarre.

Les oubliés des geôles

La justice? Les juges? Le silence méditatif de Horst Buchmann en dit

long sur le problème dans certains pays d’Afrique, en Côte d’Ivoire, en

Guinée ou au Zaïre, pour ne citer que ces régions. «La plupart du temps il

n’y a pas d’enquête. On se contente d’une plainte pour envoyer un gosse en

prison. La majorité des mineurs emprisonnés le sont à titre préventif, dans

l’attente d’un jugement. Si ce dernier arrive, car la plupart ne sont pas

jugés». 13 mois pour deux pneus usés volés à un employeur pour se rémunérer

d’un travail jamais payé. Et combien plus, souvent pour un simple poulet,

un bout de pain, des cigarettes. Quand les dossiers ne sont pas tout simplement perdus. «Des enfants sont littéralement oubliés dans les geôles».

L’un d’entre eux, condamné pour un délit mineur, avait déjà purgé 3 ans au

moment de l’intervention du BICE.

Le collaborateur du BICE pour l’Afrique se souviendra longtemps de ce

garçonnet enfermé dans un centre au Zaïre… «Il ne parlait pas. Ses grands

yeux immobiles regardaient dans le vide. Je n’ai jamais su pourquoi il

était là. Lui non plus… Il avait huit ans».

La corruption? «J’étais au Zaïre il y a quelques mois, témoigne encore

le délégué du BICE, et j’ai pu constater que les enfants en prison dans ce

pays étaient vraiment parmi les plus démunis parce qu’ils n’avaient pas pu

acheter leur liberté au juge. Tout le monde se libère si on possède une dizaine de dollars… On donne cela à la police, au juge… Quant aux gardiens, pauvres fonctionnaires parmi les pauvres dans l’univers carcéral,

ils se payent en prenant sur la part de nourriture – l’équivalent de 20

centimes – destinée aux mineurs incarcérés». Lorsque ça n’est pas pire.

Dans certains pays, il n’existe aucune séparation entre prisonniers

adultes et enfants. Viols et abus de tous genres sont monnaie courante.

«Des gosses vivent en situation d’esclavage au milieu d’adultes, cela dans

des cellules où, par manque de place, les prisonniers se couchent à tour de

rôle».

Selon l’UNICEF, 80% des enfants emprisonnés sont des récidivistes. «La

pire des choses est de faire entrer des gosses dans le système pénitentiaire. Dans cette espèce d’école du crime qu’est la prison». Reste qu’en dépit

des niveaux élevés de récidive montrant que les grilles ne sont pas une solution valable pour des mômes, la société elle-même, obsédée par le sentiment d’insécurité croissant, exige plus de prison. Et la prison, selon Michel Foucault, continue à être «un lieu d’enfermement plus ou moins strict,

une école impitoyable, un sinistre atelier». Une fabrique de désespérés.

(apic/pr)

ENCADRE

L’article 95 du code pénal suisse en question

Qu’en est-il en Europe, en Suisse? Entre 15 et 18 ans, un adolescent ne

peut faire qu’un an de prison. «La Suisse a limité à 12 mois maximum la

peine. Ce qui veut dire, explique André Dunant, «qu’un garçon de 17 ans,

utilisé par une organisation terroriste pourrait tuer 2, 5 ou 40 personnes

à l’aéroport de Kloten ou de Cointrin, et ne faire que 12 mois. Avant

d’être relaxé, article 95 du du code pénal suisse oblige. Un projet de révision du code est à l’étude depuis 13 ans. On y propose de monter à 6 ans

pour les cas gravissimes. La commission extra-parlementaire s’y oppose. Elle en propose quatre…»

Pour le reste, c’est-à-dire les placements en internat, la Suisse a

choisi les foyers éducatifs. Aucun n’est fermé à clé. «On peut s’en aller

comme on veut. Des jeunes qui fuguent 10 ou 12 fois, j’en ai connu dans ma

vie de juge. On ira les chercher 10 ou 12 fois. Mais on cherche à tout prix

à obtenir au moins l’adhésion partielle de l’intéressé et de ses parents à

la mesure préventive proposée».

En Europe occidentale, affirme encore André Dunant, la situation s’est

généralement améliorée, contrairement aux pays de l’Est. «En Roumanie et en

Albanie, par exemple, on emprisonne jusqu’à cinq ans des gosses pour des

vols répétés. La Roumanie a même durci sa position. Le pays n’a rien trouvé

de mieux que de porter ce maximum à 10 ans».

Autant le maintenir en prison…

En Côtes d’Ivoire, des juges condamnent à 5 ans de prison un voleur de

poulet. Et l’ancien juge de se souvenir d’un gars de 17 ans, condamné à 10

ans de prison une annnée aupapavant pour le recel de l’équivalent de 150

francs. «Je ne voulais pas le croire. Il était passé devant un juge connu

pour sa sévérité, pour faire des exemples». Un juge qui a de la liberté

conditionnelle une notion toute personnelle: «Si quelqu’un de la famille ne

vient pas le recueillir, alors je ne le libère pas. Il recommencera à voler

sitôt libre. Autant le maintenir tout de suite en prison». Le sang de l’ancien président de l’Association internationale des magistrats de la jeunesse et de la famille n’a fait qu’un tour.

Le manque de statistique sur la question? André Dunant le déplore aussi.

même si, pour lui, des chiffres n’apporteraient pas grand-chose. «Ils n’indiqueraient pas les centaines et les milliers d’autres jeunes qui se trouvent en quasi détention dans des maisons dites réformatoires. En Belgique,

par exemple, on prétend ne pas mettre les enfants en prison, alors qu’ils

sont en réalité privés de liberté à l’intérieur des institutions. Une question de vocabulaire, de nuance entre prison et institution». Des progrès

ont été réalisés dans les sanctions alternatives pour les petites infractions. En Europe occidentale, l’immense majorité des mineurs placés hors de

leur milieu naturel vivent dans de bons foyers et bénéficient d’un encadrement pyscho-éducatif. «Mais de nombreux pays dans le monde, faute de mieux,

recourent encore trop souvent à la privation de liberté. C’est regrettable». (apic/pr)

ENCADRE

Rapport de Terre des hommes: La partie émergée de l’iceberg

S’il est un domaine secret, occulté et ignoré, c’est bien celui de la répression et de la détention des mineurs. Ce constat de Terre des hommes

(TdH) rejoint les témoignages du BICE et du juge Dunant. L’organisation,

qui a fait des enfants privés de liberté son nouveau combat, reste perplexe

face au problème. «Malgré toutes les enquêtes et investigations, nous ne

connaissons que la partie émergée de l’iceberg».

Et pourtant: conditions inhumaines de détention, châtiments corporels,

abus sexuels, déchéance physique et psychologique, tentative de suicide,

détention préventive plus longue que la peine encourue, détentions arbitraires, endoctrinement, mise au secret… sont le lot des enfants derrière

les barreaux, confirme TdH.

Sur toutes les lattitudes, et au mépris des engagements pris par la plupart des Etats signataires de la Convention internationale relative aux

droits de l’enfant, des mineurs croupissent par centaines dans les geôles

malsaines, condamnés à vivre dans un univers dont ils ne ressortent jamais

indemnes, dit encore TdH.

Une enquête entreprise par l’organisation dans une trentaine de pays

étaye les tristes réalités du monde carcéral. De ce monde qui fait éloigner

les gosses d’une théorique éducation. De ce monde qui les plonge de manière

«implacable dans un stage de perfectionnement» sur le chemin du crime. Victime des multiples formes d’éclatement de la cellule familiale, l’enfant se

retrouve livré à lui-même dans ce territoire à hauts risques qu’est la rue.

Là, pour survivre, il se rend forcément coupable de menus larcins qui le

jetteront dans les mailles d’une justice qui ne le ménagera pas, parce que

bon nombre de gouvernement font l’économie d’une justice propre aux mineurs.

S’il est un domaine où l’on peut véritablement parler de l’enfance sans

défense, anonyme et silencieuse, c’est bien celui du sort réservé aux mineurs en conflit avec la loi. ThH dit s’employer à convaincre les gouvernements qu’ils doivent mettre en place les instruments juriques et judiciaires qui ouvrent d’autres voies et d’autres perspectives durables de réintégration des mineurs dans la société. Pas simple, surtout, comme l’affirme

l’organisation, lorsque la promotion active des droits universels de l’enfant se heurte à l’incompréhension, voire à la révolte de l’opinion publique. L’exemple du Rwanda est accamblant relève TdH. Lors d’un sondage après le génocide de 1994 -, à 80% les villageois ont répondu la mort, à la

question de la peine applicable aux mineurs accusés de complicité de génocide.

En conclusion de son rapport, TdH demande aux gouvernements de prendre

des mesures, sur le plan légal, au niveau de la procédure, des dispositions

administratives et sur les conditions de détention. (apic/pr)

4 décembre 1996 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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