Rencontre avec Mgr Pier Giacomo De Nicolo, nouveau nonce apostolique à Berne

APIC – Portrait

Un «nonce chantant», adepte de la «diplomatie du cœur»

Jacques Berset, agence APIC

Berne, 5 juillet 1999 (APIC) Un prince de l’Eglise drapé dans sa dignité hautaine, un diplomate froid et distant, le nouveau nonce apostolique en Suisse ? Que nenni! Il a déjà un surnom, «le nonce chantant»: sa voix de ténor en a conquis plus d’un depuis qu’il s’est mis à chanter des hymnes mariaux dans les églises du pays. Ainsi lors de l’ordination de Mgr Bernard Genoud à la cathédrale de Fribourg, le lundi de Pentecôte. L’archevêque Pier Giacomo De Nicolo, doyen du corps diplomatique accrédité à Berne, s’affirme d’emblée comme un adepte de la «diplomatie du cœur»..

Sous les lambris de la magnifique demeure de la Thunstrasse, le nouveau nonce en Suisse vous met tout de suite à l’aise. Il sait trouver le ton juste, celui du pasteur qui veut apprendre à connaître son troupeau. Des «brebis suisses» pas toujours en odeur de sainteté à Rome parce qu’elles voudraient n’en faire qu’à leur tête, culture démocratique oblige. Recevant à la nonciature les membres de l’Association suisse des journalistes catholiques (ASJC), Mgr De Nicolo rappelle que le nonce «est d’abord un prêtre, un évêque».

Pour parler de sa vocation, Mgr De Nicolo évoque sa famille. Huit enfants heureux dans la ville italienne de Cattolica, une mère pourtant disparue bien trop tôt: elle meurt à l’âge de 37 ans, quand Pier Giacomo, l’aîné, n’a que de 18 ans… L’enfance est baignée dans une atmosphère de foi profonde. «J’ai un frère évêque à Rimini, un autre frère prêtre qui travaille au Vatican, à la Maison Pontificale.. Ma mère, c’était vraiment une sainte! Une femme exemplaire, la guide spirituelle de la famille, à qui mon frère et moi devons notre vocation sacerdotale».

Q: Vous vous êtes fait remarquer en Suisse par vos qualités de chanteur, à Soleure, à Coire ou encore à Fribourg. Qu’est-ce que cela dit de vous ?

Mgr De Nicolo: J’ai toujours chanté. Enfant, dans ma paroisse, j’étais déjà un soliste très apprécié. J’ai même dit une fois à ma maman, alors que j’avais le projet d’être prêtre, qu’il vaudrait peut-être mieux que je fasse le ténor… Au séminaire, je chantais aussi comme soliste. Puis j’ai un peu abandonné le chant, une habitude que j’ai reprise en devenant nonce au Costa Rica en 1984. Ce don est aussi une prière, et c’était l’occasion de donner ainsi un témoignage de ma dévotion à la Vierge.

J’ai toujours connu à ce sujet une certaine lutte intérieure: pourquoi se montrer ainsi ? N’est-ce pas une façon de se faire de la publicité à bon marché… Mais les gens m’ont toujours encouragé: le chant est une invitation à la prière, c’est toute une atmosphère spirituelle. En Syrie, il s’est passé la même chose. J’ai traduit des cantiques en arabe, que j’ai ensuite chantés. Chaque fois que je chante, c’est comme si je lance un pont aux gens. Et les gens en redemandent.

Q: Est-ce dans ce même état d’esprit que vous venez en Suisse ?

Mgr D.N.: Je reviens en Suisse – où j’ai déjà séjourné de 1975 à 1977 – très discrètement, sur la pointe des pieds, d’abord pour écouter. Je reconnais que la situation y est très nuancée. Il faut être respectueux face à la grande tradition et à l’expérience de liberté et de démocratie que connaît la Suisse. C’est pourquoi j’avais décidé de ne pas chanter ici. Mais les raisons du cœur sont souvent plus fortes que celles de l’intelligence. Comme on ne peut dire non au cœur, j’ai recommencé à chanter, dans la cathédrale de Soleure, en présence de Mgr Koch…Devant tous les évêques suisses à la cathédrale St-Nicolas de Fribourg, lors de l’ordination de Mgr Genoud, j’ai chanté un hymne à Notre-Dame de Bourguillon, en lui demandant d’intercéder pour Bernard.

Q: Les catholiques suisses sont plutôt très rationnels, pas tellement habitués au langage du cœur. Votre arrivée annonce-t-elle un autre style de diplomatie ?

Mgr D. N.: Le langage du cœur, c’est mon langage principal. Entre parenthèses, je n’ai d’ailleurs jamais dit à Rome que je chantais! On est habitué à rationaliser, c’est notre époque qui veut cela, pas seulement en Suisse.

Certes, je n’ai pas fait de réflexion spéciale sur ma façon d’être nonce, mais je cherche à suivre cette piste, car s’il n’y a pas un cœur qui accueille, qui est prêt à s’ouvrir, à s’engager, beaucoup de choses peuvent se passer. A Fribourg, après l’ordination de Mgr Genoud, un conseiller d’Etat m’a dit: «Vous êtes sur la bonne piste!»

Q: Certains accusent le catholicisme suisse de s’être «protestantisé» en développant des structures synodales. L’Eglise romaine ne peut-elle pas considérer comme positif le fait que le catholicisme suisse se soit «inculturé» dans la société démocratique?

Mgr D. N.: Sans aborder les questions doctrinales, cette ouverture dans l’Eglise – que connaît la Suisse – est aussi un fruit du Concile Vatican II. Chaque chrétien, chaque fidèle, doit se sentir membre de l’Eglise, donc concerné, partager les responsabilités. C’est très positif: à chacun son rôle, la même dignité pour tous.

Que l’inculturation en Suisse ait favorisé cela est un bien. C’est un chemin, et quand on l’emprunte, on ne sait pas toujours où l’on aboutit. Mais en marchant, les choses se perfectionnent et s’améliorent et on finit par trouver le juste équilibre. Dans l’Eglise catholique, la hiérarchie a son rôle: être garante de l’unité et de la vérité, dans la charité, dans le respect des libertés. Mais n’oublions pas que ce rôle essentiel doit être exercé dans un esprit de service. Il faut quelques fois être courageux dans la vérité, mais généreux dans la charité. La vérité peut blesser des sensibilités. L’annonce de la vérité, c’est une force dans l’Eglise, mais surtout une responsabilité.

Le nonce n’est ni un gendarme ni un juge, mais un avocat

J’ai participé début juin pour la première fois à une assemblée plénière de la Conférence des évêques suisses. Leur parlant de l’annonce de la vérité dans l’amour, je leur ai dit que comme le semeur, le prédicateur doit prendre patience pour que la véérité ait le temps de germer, croître et porter du fruit. L’amour de la vérité, certes, mais aussi l’amour de tous ceux à qui elle est destinée, qui sont appelés à l’accueillir dans une adhésion de foi pleinement libre. Entre l’annonce de la vérité et son accueil, les délais sont parfois longs. Ces délais sont le temps de la patience, de la confiance dans la force de la vérité, le temps de la douceur et de l’humilité. Les évêques, et le nonce aussi, doivent être des témoins, des pasteurs.

J’ai dit aux évêques suisses: «Le nonce, envoyé du pape Jean Paul II dans votre cher pays, sera toujours à votre disposition fraternellement, pour écouter et partager vos joies, vos espoirs, difficultés et parfois aussi vos déceptions. Le nonce n’est ni un gendarme ni un juge, il est avant tout un prêtre et un évêque comme vous et parmi vous. Il a surtout la mission et le devoir d’être un avocat, dans les deux sens: avocat de Rome auprès de vous et votre avocat auprès des instances romaines.»

Q: Les Suisses n’ont pa toujours apprécié la diplomatie vaticane, qui leur est quelquefois apparue éloignée de notre réalité. L’affaire de Coire, notamment, a été très mal gérée par Rome, qui a laissé pourrir la situation pendant des années.

Mgr D. N.: Vous avez raison de dire qu’il est souhaitable que l’on se rende rapidement compte des choses. La réalité nous oblige à agir vite, à discerner les événements avec une certaine rapidité et souplesse. S’il y a eu des tensions entre les groupes, on dire que maintenant l’on est en train de reconstruire un équilibre à Coire. Nous devons tous soutenir cet effort et être des artisans de communion, pour contribuer à guérir les blessures. La pluralité est possible, mais tous doivent coopérer pour l’entente, dans le dialogue et le respect mutuel.

Q: La Suisse est en partie un pays de tradition réformée. D’où le débat notamment à Genève, sur la présence d’une nonciature en Suisse. Le Vatican est parfois perçu comme une puissance étrangère et le nonce comme une sorte d’agent à son service. La Constitution suisse, même toilettée, contient encore un article sur les évêchés!

Mgr D. N.: C’est un terrain délicat, qu’il faut aborder avec prudence et beaucoup de respect, dans une attitude de dialogue. J’ai vécu en Syrie une expérience très enrichissante et très intense sur le plan du dialogue œcuménique et sur le plan du dialogue interreligieux. Dans le domaine socio-humanitaire, les chrétiens développent, sans préoccupation de prosélytisme, des œuvres qui profitent aussi aux musulmans, notamment de nombreuses initiatives en faveur des handicapés.

Ici, c’est une tradition et une réalité: les catholiques n’ont pas l’exclusivité du témoignage chrétien. Il faut donc faire tous les efforts pour approfondir le dialogue, c’est une exigence de la foi. Sur le niveau humain aussi, une société ne prospère que dans la mesure où les différents groupes religieux dialoguent entre eux. Il est nécessaire de poursuivre ensemble la recherche de l’unité.

La présence d’une nonciature apostolique en Suisse remonte loin dans l’histoire, elle est même la plus ancienne nonciature au monde. Le premier siège fixe date du XVIème siècle, à l’époque de l’Etat pontifical, et il a été établi en Suisse. Avant, il n’y avait que des nonces itinérants. Cette première mission stable a reçu la personnalité internationale. Cette personnalité a d’emblée été reconnue non pas à l’Etat pontifical, mais au Saint-Siège, reconnu comme tel membre de la communauté internationale. Au moment de la Restauration, en 1815, le Congrès de Vienne a confirmé la personnalité juridique du Saint-Siège. C’est d’ailleurs à cette occasion que l’on a établi que le nonce apostolique est de droit doyen du corps diplomatique. Tout cela est certes de l’histoire ancienne. Mais nous devons quand même respecter les différences de sensibilité et les positions de certains de nos frères réformés. On ne peut pas tout simplement passer par dessus. (apic/be)

5 juillet 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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