Nadia Karmous, présidente de l’Association culturelle des femmes musulmanes de Suisse

Apic interview

Foulard et loi: ou quand la laïcité s’érige en religion d’Etat

Par Pierre Rottet, de l’Apic

La Chaux-de-Fonds, 20 janvier 2004 (Apic) Le foulard islamique, manifestation plus politique que religieuse? Le débat français sur les signes religieux «ostensibles» qu’une loi voudrait interdire fait des vagues. Sans doute plus que ne le prévoyait le gouvernement. Manifs en France et même dans les pays musulmans semblent crisper la classe politique de l’hexagone contre ce qui est perçu comme une mesure anti-musulmane. On est loin de la sérénité affichée en apparence.

Un constat: musulmans, chrétiens, et juifs sont opposés à cette loi, souvent qualifiée d’auto-but, et dont on craint qu’elle n’alimente l’extrémisme, ou ne pousse à cela nombre de jeunes des quartiers défavorisés des villes de France. L’Apic a rencontré à la Chaux-de-Fonds Nadia Karmous, musulmane, présidente de l’Association culturelle des femmes musulmanes de Suisse et directrice de l’Institut cultuel des musulmans établis dans ce pays.

La femme qui nous accueille au quatrième étage d’un immeuble situé au 109 de l’Avenue Léopold-Robert, porte avantageusement le foulard et l’habit, au même titre du reste que ses deux jeunes collaboratrices. 35 ans, mariée sans enfant, Nadia Karmous, se veut tout à la fois Française, Algérienne et Suissesse, revendiquant fièrement ses origines andalouses, dont elle a gardé la chaleur du regard. Biochimiste de formation, elle est arrivée en Suisse il y a 14 ans avec son mari, engagé comme professeur au Locle, après son doctorat passé en France, ce qui ne l’empêche pas, aujourd’hui, de travailler à plein temps comme bénévole pour l’Association et l’Institut qu’elle préside.

Le matériel posé sur les bureaux atteste des nombreuses activités déployées dans cet endroit, brin de pays musulman en pleine cité horlogère – ou ce qu’il en reste – : des dizaines de classeurs, un tableau représentant l’arbre généalogique de tous les prophètes. Et, dessus, rassurante, une sourate du Coran écrite en arabe: «Au nom de Dieu, clément et miséricordieux». Entretien.

Apic: Laïcité, signes religieux «ostensibles» défendus à l’école. Quel est votre regard sur le débat actuel en France?

Nadia Karmous: Je constate que la France se bat pour imposer ce que je nomme une «nouvelle religion», la laïcité, érigée comme telle et qui émerge lentement mais sûrement dans le monde politique français depuis des années déjà. Une manière de combattre toute idéologie autre que la sienne. C’est regrettable, dans la mesure où la laïcité devrait être un espace public à même de laisser de la place aux religions, aux personnes. On ne fait rien d’autre que de substituer la laïcité aux autres religions. En d’autres termes, le gouvernement dit: «J’ai le droit de t’interdire ce que j’estime ne pas être primordial ou important pour toi». D’où, sans doute, la levée de boucliers des grandes religions monothéistes, qui se rassemblent toutes pour contester cette loi, avec des arguments peu ou prou identiques afin de dénoncer cette nouvelle idéologie servie au nom de la laïcité.

Apic: Et au nom de l’égalité, assure-t-on.

Nadia Karmous: Encore un leurre! Qui sert à couvrir les vrais problèmes, les réelles inégalités sociales et ethniques…, y compris les injustices faites aux femmes. Ne serait-ce qu’en matière de salaire, où l’égalité entre homme et femme est loin d’exister. Plus contradictoire que cela.

Apic: .et de l’intégration aussi.

Nadia Karmous: L’intégration ne consiste pas à renier ce que nous sommes, mais d’être avec et au milieu des autres, de s’enrichir à leur contact, de s’accepter et respecter ses propres racines, sa culture. Comme musulmane en pays européen, l’islam m’a aidé à découvrir la richesse des cultures en Europe. Ce qui m’a permis de me nourrir spirituellement. C’est ça la diversité. Dieu nous a créés différents pour permettre cet enrichissement. L’intégration passe par la compréhension, le dialogue et la connaissance. C’est l’un des problèmes de la France d’aujourd’hui, que dévoile crûment le projet de loi en question. L’intervention du gouvernement et sa loi tendent à démontrer que la France ne fait pas confiance en son système éducatif. C’est grave.

Apic: De nombreux opposants à cette loi estiment qu’elle est essentiellement dirigée contre les musulmans .

Nadia Karmous: Ils ont raison, sachant que les musulmans pratiquent traditionnellement leur religion, malgré les nombreuses entraves. Pour ce faire, le politique a choisi de frapper dur au niveau de l’éducation, sachant que le premier verset du Coran est «lis», et non «adore», ou «respecte» ou encore «aime ton Dieu». Avec le prétexte du foulard, on vise le coeur du problème. La croix, signe également «ostensible» que la loi entend interdire dans les écoles, est bien sûr un signe pour les chrétiens, mais pas une obligation, contrairement à l’habit et au foulard chez les femmes musulmanes. Il n’y a pas si longtemps, se couvrir la tête faisait du reste encore partie de la tradition chez la femme catholique, notamment lorsqu’elle se rendait à l’église. Les religieuses l’ont conservé. Et je ne parle pas des juifs pratiquants, qui eux aussi se couvrent la tête. Le Coran est en nous. On le récite et on l’apprend. Ce sont des valeurs ancrées, une loi de Dieu. Cela, bien entendu, pour celles qui adhèrent et acceptent librement de porter le foulard.

Apic: Et celles qui ne l’acceptent pas, ont-elles seulement le choix? Et que faites-vous des gamines ou des lycéennes qui se heurtent aux difficultés dans leurs écoles? L’influence des parents et de l’entourage y est pour beaucoup .

Nadia Karmous: Il serait faux de nier que des pressions existent dans certains milieux. Et que l’entourage ne laisse pas le choix. (ndlr: il y a autour de 4 millions de musulmans en France, dont un million de pratiquants). Pourquoi doit-on parler de manipulation dès lors qu’il s’agit du foulard. Lorsque des gens manifestent pour l’une ou l’autre revendications, en toute liberté, pourquoi ne parle-t-on pas aussi de manipulation? Porter le foulard est un droit moral, un devoir religieux et non une contrainte. C’est dire qu’une jeune fille a le choix et la liberté de le porter.

Je connais du reste ici ou en France davantage de parents qui tentent d’empêcher leur fille de porter le foulard que d’autres qui l’imposent. Je ne compte pas non plus le nombre de femmes musulmanes pratiquantes qui ne portent ni l’habit ni le foulard. Elles assument simplement la pratique de leur religion différemment. C’est du domaine de la liberté de conscience. Si une jeune fille est forcée de porter le foulard par ses parents, éducateurs et politiques doivent savoir qu’il y a de fortes chances pour qu’elle s’en débarrasse plus tard, lorsqu’elle saura se défendre. A mes yeux, la décision française est une réaction de faibles. L’une des puissances du monde aurait-elle peur d’une fillette voilée? En vérité, la politique de Paris est dictée par la peur, par l’ignorance, et il n’y a pas pire remède que celui pris sous l’emprise de la peur.

Apic: Le foulard est souvent perçu comme une manifestation plus politique que religieuse.

Nadia Karmous: De quelle politique parlez-vous? Les empêcher de porter le foulard les poussent en revanche à se battre pour se faire respecter. Je crains qu’un diktat de ce genre ne pousse à une forme d’intolérance dangereuse, avec pour conséquence de pousser à l’intégrisme. Celui là même qu’il faut combattre. Force est de constater que les bébés ne naissent pas intégristes. Ce qu’ils deviennent ensuite, c’est ce que les politiciens en ont fait, en les poussant à devenir et à agir en intégristes. Nombre de mouvements extrémistes ne se font pas faute de les récupérer.

Depuis la nuit des temps, depuis que le monde existe, l’homme s’est battu pour faire respecter les croyances. Il a également fallu se battre pour obtenir plus, pour les droits et les libertés, y compris pour les femmes qui ont un jour choisi, mode oblige, le droit de moins s’habiller. Au point de jouir aujourd’hui de la possibilité de se dévêtir. Il n’y a pas de raison de revenir sur les acquis. Il n’y en a pas non plus d’imposer à la femme musulmane de se déshabiller, de lui interdire le port du foulard, au nom d’un modèle uniformisé occidental. La musulmane ne concurrence pas avec son corps mais avec son esprit, son intelligence et ses capacités.

Cela dit, c’est vrai, il est plus facile d’être musulmane en Suisse qu’en France, par les temps qui courent. Les gens portent sur nous un autre regard. Sans doute encore les réminiscences de l’histoire, de la colonie, de la domination, dont beaucoup de Français ne sont pas sortis. Le faible, le noir ou l’autre en paient la facture, à moins de montrer ses diplômes. Je me suis souvent «amusée» en constatant l’étonnement des gens, en apprenant que sous le foulard et l’habit se trouvait une biochimiste.

Apic: Vous voulez dire que le port du foulard est assimilé pour beaucoup à l’ignorance?

Nadia Karmous: Oui! Pour la France en tout cas, porter le foulard est synonyme d’aliénation, de manque de formation, de culture, d’éducation. On revient là au point essentiel de départ: l’incompréhension, donc la mauvaise connaissance de notre culture. Cet habit remonte à 5’000 ans. L’amalgame foulard/ignorance n’est pas admissible. C’est pourtant ce qui se fait.

Apic: Il est tout de même plus agréable d’être un homme qu’une femme chez les musulmans, semble-t-il. On reproche aussi à la femme musulmane d’être soumise..

Nadia Karmous: On est soumise à Dieu. Pour le reste, j’estime être très libre. Libre pour repousser toutes les espèces de manipulations, la consommation effrénée. Il est navrant de voir que si l’on veut faire une publicité pour le yaourt, pour une voiture ou un autre objet, il faille déshabiller une femme.

Le fait de se couvrir est aussi une manière de dire non à la manipulation des femmes et de leur corps. On ne fait pas ceci ou cela pour faire plaisir à un homme, mais en raison d’une inspiration, d’un modèle, c’est-à-dire un livre saint: le Coran, révélé par Dieu.

Apic: Port du foulard et écoles, qu’en est-il en Suisse?

Nadia Karmous: Ce n’est pas vraiment un problème, à part quelque cas ici ou là, dans les écoles, dont j’ai eu connaissance, ou dans certaines usines, où l’on ne permet parfois pas le port du foulard pour travailler.

Apic: Et que font les musulmanes face à cet interdit?

Nadia Karmous: Il y a plus de souplesse que vous ne le soupçonnez dans la religion musulmane. Si elles sont dans le besoin absolu de travailler, elles l’enlèvent, à contrecoeur. Une femme me confiait un jour: «Lorsque je commence mon boulot, après avoir enlevé le foulard, c’est un peu comme si on me violait, comme si je n’étais plus moi».

Apic: En Europe occidentale, des mosquées existent, des imams professent. En comparaison, la liberté religieuse n’existe pas en Arabie Saoudite, par exemple. Etes-vous prête à vous battre pour que de telles libertés puissent exister là aussi?

Nadia Karmous: Oui. Y compris pour que les chrétiens, notamment, puissent y construire leurs églises. J’ai d’ailleurs toujours défendu cette idée et militer pour ce respect. Lors de voyages en Arabie Saoudite, je ne me suis pas fait faute de le leur dire, au cours de plusieurs conférences données dans ce pays. Cela dit, en Europe non plus rien n’est facile et aussi simple qu’on pourrait le croire. PR

En quelques mots

Apic: Les TV françaises évoquent le cas de musulmanes qui refusent de se faire soigner par des médecins hommes.

Nadia Karmous: On a à nouveau répercuté l’aspect négatif de ce problème. Mon point de vue sur la question? Il faut laisser les gens libre de décider. Rien n’empêche la femme musulmane de se faire soigner par qui elle veut, homme ou femme. C’est un faux problème monté en épingle, en prenant les cas les plus extrêmes. Comme en Suisse, ce choix existe pourtant. On ne peut soigner le corps et rendre malade l’esprit. Mais lorsqu’il y a urgence et gravité, il n’y a pas de place pour le choix.

Apic: Votre position par rapport aux cours de gymnastiques.

Nadia Karmous: Je ne vois là aucun problème, pas davantage qu’il n’y en a au niveau de la mixité dans les écoles, dans les bureaux et les lieux de travail.

Apic: Ce qui n’est pas le cas pour les piscines?

Nadia Karmous: On ne partage pas la piscine avec les hommes, parce qu’il faut se dénuder. Pour bénéficier des bienfaits d’un bassin, notre association a loué une piscine le dimanche à la ville de Neuchâtel. Ce qui prouve que des solutions sont toujours possibles, pour qui veut les trouver.

Apic: Tarik Ramadan, qui est-il à vos yeux?

Nadia Karmous: A mon sens, il est un pont entre la culture musulmane et l’Occident. Attaché qu’il est aux valeurs de l’une et l’autre culture. C’est un bon interlocuteur

1.1.1.1 Apic: L’application de la charia.

Nadia Karmous: Si tout le monde était placé sur un pied d’égalité, au niveau de l’éducation, du savoir et du bien-être s’entend, on pourrait alors concevoir de l’appliquer, dans une société modèle. On est loin du compte, raison pour laquelle l’application de la charia est inacceptable en ce qui concerne les punitions.

Apic: Lapidation, coups de fouets et châtiments corporels?

Nadia Karmous: Dans un monde où règnent les inégalités et les injustices, seul Dieu punit. Les hommes ne peuvent se substituer à Lui. En appliquant la charia, le Nigeria, par exemple, enfreint les lois et les règles, et donne de l’islam une image contreproductive de notre religion. Le monde musulman, c’est vrai, est loin d’appliquer les préceptes du Coran. Ce qu’il applique en revanche, c’est ce que lui a laissé le colonialisme. Aujourd’hui encore en Egypte, nombre de lois en vigueur sont celles laissées par les Britanniques. Dans la littérature musulmane il y a beaucoup de conditions pour que de tels châtiments puissent être appliqués.

Apic: Pourtant en Iran.

Nadia Karmous: Ce qui se passe là illustre une application inappropriée du Coran.

Apic: Comme en Afghanistan sous les taliban – même si la situation ne semble guère meilleure aujourd’hui – où même les fillettes étaient empêchées d’aller à l’école?

Nadia Karmous: Il n’y avait malheureusement pas que la condition de la femme qui était déplorable dans ce pays. Qu’ont-ils fait de l’application du premier verset du Coran: «lis»? PR

Encadré

Le Centre du 109, Avenue Léopold-Robert, en bref

Selon le recensement fédéral, la Suisse compte environ 300’000 musulmans. L’Institut que Nadia Karmous préside se veut lieu d’accueil, de rencontres, de dialogue et d’ouverture. Un endroit pour tous, assure notre interlocutrice, où se réunissent hommes, femmes et enfants, musulmans, juifs, bouddhistes et chrétiens. Quelque 150 personnes en moyenne fréquentent chaque semaine ce centre. «Nous donnons ici des cours de langue arabe pour adultes qui s’intéressent à la langue». L’Institut a également mis sur pied des ateliers de calligraphie, des cours de français pour faciliter l’intégration des femmes musulmanes qui viennent d’arriver en Suisse, des cours de cuisine aussi bien orientale que suisse, ou de tout autre pays à la demande des membres. Trois étages sont réservés aux ateliers, le quatrième à l’administration. A côté, avec une bibliothèque, une vaste salle peut accueillir spectacles et fêtes. PR

Les illustrations de cet article sont à commander à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1700 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: ciric@cath.ch (apic/pr)

20 janvier 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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Ce qui fait l’Eglise du Mali, ce n’est pas le nombre, mais l’autorité morale, dit Mgr Diarra

APIC – Interview

Enjeux et défis pour une Eglise largement minoritaire

Propos recueilles par Jean-Claude Noyé, correspondant de l’APIC à Paris

Paris, Bamako, 7 septembre 1998 (APIC) Ce qui fait l’Eglise du Mali, ce n’est pas le nombre mais l’autorité morale. Fils d’un couple de catéchistes, Mgr Jean-Gabriel Diarra, évêque de San, au Mali, a succédé‹ en 1996, à Mgr Ciss‹ à la présidence de la Conférence épiscopale de ce pays. L’APIC l’a rencontré à l’occasion de l’Université d’été de la Coopération missionnaire, tenu récemment à Viviers, en France. Il était invité comme témoin et conférencier. Ses explications sur l’Eglise du Mali, ses enjeux et ses défis…

Mgr J.-G. D.: Même s’il est au bas de l’échelle des pays les plus pauvres de la planète, avec un revenu annuel par habitant (PIB) de 780 francs suisses, le Mali se considère comme un grand pays. Par sa superficie, de 1’240’000 km2, par son histoire multiséculaire qui a connu la naissance, le rayonnement et la gloire de grands empires successifs. Le Mali est fier aujourd’hui, à tort ou a raison, d’être un modèle de démocratie en Afrique depuis 1991. Le pluralisme politique y est total. On y dénombre plus de 20 titres de journaux privés et 60 radios libres dont une catholique, dans un pays à majorité musulmane. Ces «titres de gloire» ne mettent pourtant pas le Mali à l’abri d’une pauvreté croissante et de plus en plus généralisée. Pays du Sahel, il est confronté à la menace omniprésente de la sécheresse. Sans oublier que 80% de la population (21 millions dont un tiers vit à l’étranger, comme travailleurs émigrés) est analphabète.

Apic: Quelle est la taille et la place de l’Eglise ?

Mgr J.-G. D.: Les premiers missionnaires ont été des Pères blancs, arrivés en 1895. La population chrétienne est estimée à 2% de la population totale, dont 8’000 catholiques, répartis dans 6 diocèses. Elle compte 80 prêtres, une centaine de religieuses autochtones, et plus de 200 catéchistes. Elle bénéficie en outre de l’aide d’une centaine de prêtres et de religieux expatriés. Son image emblématique, le Baobab, signifie qu’elle a pris racine et se nourrit de la terre locale, qu’elle a pris sa stature et tient sa place au service des hommes et des femmes de ce pays. Elle est petite, certes, mais l’Eglise du Mali, c’est pas le nombre mais son autorité morale. A l’occasion de la célébration du centenaire de l’arrivée de l’Evangile, elle a fait l’option d’être une Eglise communion fraternelle au service de l’Evangile. Elle a pris en même temps l’engagement de poursuivre la mission: mission à la fois d’évangélisation, avec un effort d’inculturation et de développement, en portant le souci du dialogue avec les animistes et surtout les musulmans (respectivement 29 % et 78 % de la population).

Apic: Comment se présente ce dialogue islamo-chrétien ?

Mgr J.-G. D.: C’est avant tout ce qu’on appelle le dialogue de vie, de bon voisinage, et un engagement commun sur des questions sociales et de justice. Depuis les événements douloureux (ndlr: conflit avec les Touaregs) d’un passé récent, la société civile a besoin de la médiation des chefs religieux. De fait, nous sommes minoritaires mais les musulmans nous demandent d’être de leurs côtés.

Apic: Les responsables d’Eglise sont, dit-on, écoutés avec respect. Pourquoi ?

Mgr J.-G. D.: L’Eglise s’est imposée par sa compétence, sa sincérité‹ et le sérieux de sa démarche. Notamment dans le domaine de l’éducation. Chaque paroisse a son école primaire et secondaire. Nous avons, à Bamako, 2 lycées et une école professionnelle de renom. Le centre Djoliba, de Bamako, compte une des meilleures bibliothèques du pays et un lieu très actif d’animation autour de la promotion féminine. Il faut signaler aussi notre réseau de mouvements de jeunes: JOC, JAC et JEC, Jeunesse ouvrière, agricole et étudiante, catholique ou non. La nuance est importante car jeunes chrétiens et musulmans se retrouvent là au coude à coude. Et ce sont autant de foyers féconds du dialogue entre chrétiens et musulmans.

Apic: Vous êtes très sensible au thème du maintien de la paix…

Mgr J.-G. D.: Paix et justice: voilà sans doute les biens les plus précieux et les plus urgemment attendus par l’Afrique. Ce sont de grands défis pour l’Eglise dont la mission est de prêcher l’Evangile de la paix. C’est une partie intégrante et prioritaire de sa mission en Afrique, à côté de multiples missions humanitaires au chevet de ce continent: développer la perspective évangélique de la paix, la proposer aux croyants comme chemin de vie, et aux sociétés et pays africains comme levain. Le Mali est pour l’instant à l’abri des tensions ethniques, mais pour combien de temps? Il faut être vigilant, sachant que de nombreux conflits sont à nos portes, et oeuvrer constamment à la réconciliation. Il s’agit de contribuer à l’avènement de sociétés où les inévitables conflits se résolvent autrement que par la force, où le bonheur des uns ne fasse pas le malheur des autres…(apic/jcn/ab/pr)

7 septembre 1998 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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