Paris: L’abbé Patrice Gourrier appelle à un renouveau du ministère de prêtre
Apic-interview
Pour une Eglise toujours plus en phase avec son temps
Jean-Claude Noyé, correspondant de l’Apic à Paris
Paris, 14 décembre 2003 (Apic) Agé de 43 ans, Patrice Gourrier est prêtre dans la communauté de Montierneuf, à Poitiers. Dans son dernier livre «J’ai choisi d’être prêtre», il appelle à un renouveau du ministère sacerdotal et, par-delà, à une Eglise catholique toujours plus en phase avec son temps.
Patrice Gourier, prêtre depuis trois ans, est également responsable de l’aumônerie des étudiants et aumônier du monde juridique. Mais c’est surtout Talitha Koum (»Lève-toi !») qui l’a fait connaître. Talitha Koum est le nom donné à un journal mensuel ainsi qu’à une émission radiophonique, qu’il anime avec un ami infirmier psychiatrique. Talitha Koum, c’est encore le titre d’un de ses ouvrages. Journal, radio, livres ainsi que des sessions trimestrielles et un groupe corps et prière créés à son initiative: autant d’occasions pour ce prêtre de s’appuyer sur la sagesse des Pères de l’Eglise et du désert afin de proposer une méthode de croissance intérieure qui réhabilite le corps et les émotions, en les orientant vers le Christ.
Apic: Selon vous, l’Eglise devrait davantage inviter les jeunes prêtres à inventer de nouvelles formes de présence et d’action pastorale. Qu’est-ce à dire ?
PG: Le problème des prêtres aujourd’hui, comme chacun le sait, c’est d’être débordés de travail. Stressés, tendus, encore plus que leurs contemporains, comment pourraient-ils être un exemple appelant? En outre, les évêques sont généralement plus animés par le souci de nommer des prêtres là où il y a des postes vacants – pour boucher des «trous» – que de tenir compte de leurs charismes propres. Combien de curés ont accepté d’exercer pendant des années et des années des missions pour lesquelles ils n’étaient pas faits au nom de l’esprit de sacrifice! Cela n’est plus tenable. Je propose que l’on crée dans chaque diocèse l’équivalent d’un poste de directeur du personnel et que les prêtres aient à intervalles réguliers des entretiens d’évaluation afin que l’on tienne compte de leurs évolutions et désirs.
Le nombre des prêtres en dépression est préoccupant et plus élevé qu’on ne le dit. Alors que les prêtres devraient être heureux et pouvoir se réaliser dans l’exercice de leur sacerdoce. Sinon comment donner une image positive du christianisme? Pour me résumer, je propose de passer d’un ministère d’encadrement à un ministère d’engendrement.
Apic:Qu’entendez-vous par là?
PG: Et bien que les prêtres soient davantage des éveilleurs, des passeurs voire des accompagnateurs spirituels et un peu moins des gestionnaires. Ils ont et auront de plus en plus à accompagner les laïcs, à leur laisser des responsabilités croissantes et à créer des communautés chrétiennes vivantes. Le terme lui-même de communauté est à promouvoir. Je propose qu’on le substitue à celui de paroisse, comme nous l’avons fait dans mon secteur pastoral. Dans cette «communauté locale», les laïcs animent cinq commissions: finances, catéchèse, liturgie, solidarité et relations extérieures.
Apic: Vous évoquez le besoin de guidance spirituel de nos contemporains .
PG: Pour ma part, j’accompagne au plan spirituel quarante personnes et cela prend une partie importante de mon temps. Mais je crois que c’est une mission importante que les prêtres doivent pouvoir assumer. Comme prêtres, nous devons aider les autres à grandir dans leur vie humaine et spirituelle. Ce qui suppose que nous soyons nous-mêmes sur un chemin de croissance intérieure et que nous y soyons préparés.
Apic: Tel n’est pas le cas?
PG: Non, loin de là. La formation humaine dispensée dans les séminaires est excessivement réduite. Elle devrait à mon sens être équivalente, en temps, à la formation théologique. Accueillir toute la difficulté de vivre contemporaine suppose une ouverture d’esprit et une préparation adéquate. J’ai moi-même suivi une thérapie pendant deux ans pour mieux me connaître et je commence une formation en psychothérapie afin de mieux comprendre la demande croissante de soutien qui nous est faite. Pour accueillir les deuils, les dépressions, les divorces, nos bons sentiments ne suffisent pas.
Apic: Plus globalement, comment l’Eglise peut-elle se renouveler?
PG: C’est à un énorme chantier auquel il faut continuer à s’atteler pour qu’elle soit en phase avec le monde. Ce qui me frappe, c’est qu’elle ne se donne pas de vraies échéances. Les JMJ, c’est bien mais cela ne suffit pas! De même que certains Etats définissent de grandes causes nationales – lutte contre le cancer, contre l’insécurité routière, etc. – l’Eglise devrait choisir de grandes causes ecclésiales, des causes qui la mobilisent à l’échelon mondial. L’idéal serait, bien sûr, une Eglise qui, parce qu’elle aurait retrouvé la dynamique missionnaire des premiers siècles, serait vraiment capable d’aider nos contemporains à donner du sens et de la profondeur à leur vie. Au lieu de quoi, elle semble toute entière occupée à la gestion de la pénurie et de la crise.
Apic: A quoi pensez-vous?
PG: Je vois deux causes prioritaires. Un: l’économie. L’Eglise a une expertise et une contribution importante à donner pour que nos systèmes économiques soient enfin respectueux de la dignité humaine et que nous refondions notre système de valeurs. Deux: l’écologie. Blesser la nature, c’est blesser l’homme. Or, en matière de protection de l’environnement et de sauvegarde de la planète, on n’entend pas la voix de l’Eglise. C’est dommage.
Apic: La question de l’ordination sacerdotale des hommes mariés revient régulièrement sur le tapis. Qu’en dites-vous?
PG: L’obligation du célibat est une mesure disciplinaire qui remonte au 13° siècle et, de fait, il est souvent vécu comme une mutilation. Je propose de retourner à la tradition c’est-à-dire de permettre le choix: célibat ou mariage. L’ordination des hommes mariés ne règlera pas le problème du tarissement des vocations mais cela apportera un bol d’oxygène. De même, pour que nous respirions un air plus léger en Eglise, il faudrait multiplier les lieux de débats. Ceux-ci font terriblement défaut. Les médias catholiques représentent-ils eux-mêmes un espace de dialogue vrai? Je n’en suis pas toujours convaincu.
(1) «J’ai choisi d’être prêtre : un autre regard sur le monde» /Patrice Gourrier avec Jacques Rigaud. Flammarion/Desclée de Brouwer. 295 p. 20 euros
(apic/jcn/bb)
A 83 ans, la théologienne féministe Marga Bührig publie son autobiographie en français
APIC – Interview
«L’avenir de l’homme»: un titre provocateur ou peut-être réaliste
Genève, 4 décembre 1998 (APIC) «L’avenir de l’homme», c’est le titre un rien provocateur – ou réaliste – choisi par les Editions «Labor et Fides», à Genève, pour la traduction de l’autobiographie de Marga Bührig. Théologienne, féministe, l’auteur – il faudrait dire l’»autrice», à défaut d’auteure – aujourd’hui âgée de 83 ans, déroule sur quelque 250 pages le fil de sa vie. Le Service de presse protestant a refait avec elle un petit bout de chemin.
Q.: Vous êtes née à Berlin et vous aviez 10 ans lorsque vos parents se sont installés à Coire dans les Grisons. Par quelles circonstances êtes-vous venue et surtout êtes-vous restée en Suisse?
Marga Bührig: Mon père était revenu de la première guerre mondiale avec une grave maladie aux poumons. Je l’ai toujours connu malade. Ma mère, elle, venait d’une famille aristocratique polonaise. Elle avait une ascendance juive. Ils se sont mariés en 1913. Riches, il avaient tout l’avenir devant eux: mon père voulait être professeur d’économie à Berlin. Avec la guerre, toutes leurs espérances se sont brisées. A cause de la maladie de mon père, il a fallu trouver un climat qui lui soit favorable. Raison pour laquelle nous nous sommes établis à Coire. Mes parents avaient tout perdu, mais ils l’ont accepté avec une grandeur que j’ai toujours admirée. Nous espérions un jour rentrer en Allemagne. Avec le régime nazi, cela n’était plus possible. Mon quart de sang juif m’aurait empêché de faire des études. Aujourd’hui, je le dis avec une certaine amertume, c’est grâce à ma grand-mère polonaise, qui était riche, que je suis devenue suisse. Parce qu’on devait payer pour cela! Mes parents, eux, sont restés allemands. Je suis Suisse et j’aime la Suisse, mais je ne pourrai jamais dire que c’est ma patrie. Ma patrie est nulle part. J’ai une origine internationale. Une de mes grand-mères paternelles était même d’origine suisse, elle venait d’Auvernier, au bord du lac de Neuchâtel, mais elle était née en Russie.
Q.: Vous êtes très connue en Suisse alémanique, moins en Suisse romande. Votre réputation vient-elle de votre travail dans l’Eglise?
Marga Bührig: Dans l’Eglise, c’est dit trop facilement. J’ai commencé par faire des études de germanistique. J’ai un doctorat dans cette matière. Plus tard, j’ai entrepris des études de théologie, mais je n’ai jamais voulu être consacrée pasteur. Ma réputation vient essentiellement de mon travail à Boldern, le centre de rencontres près de Zurich où j’ai travaillé plus de 20 ans, dont 10 comme directrice. Boldern est un centre protestant, mais très en marge de l’Eglise de Zurich, en tout cas lorsque j’y étais. L’équipe autour de moi, et la précédente aussi, n’a jamais été aimée par l’Eglise officielle. Le centre a été fondé en 1948. Mon amie Else Kähler et moi y sommes arrivées en 1959.
Q.: Vous êtes connue pour cet engagement-là, mais aussi pour votre engagement féministe.
Marga Bührig: Ah! oui, bien sûr. Je ne peux pas séparer l’un de l’autre. Je dis que le féminisme est ma troisième conversion, après celle à la foi, et celle au monde. Lorsque j’ai eu la chance d’aller à Berkeley en 1981, avec mes deux amies Else Kähler et Elsi Arnold, nous espérions suivre des cours de théologie féministe à l’Université. Ils étaient bien inscrits au programme, mais n’étaient pas donnés. Nous sommes tout de même tombées dans une culture féministe. Nous avions toutes les possibilités: librairies, cafés féministes, etc. C’était une expérience extraordinaire. Aujourd’hui, comme toutes choses, le féminisme s’est transformé. Un élément nouveau est apparu c’est le souci de sauvegarder la création, de laisser derrière nous l’idée que l’homme, dans le sens de l’être humain, n’est pas la couronne de la création.
Q.: Quand on parle de théologie féministe, en simplifiant, on pense d’abord au langage inclusif: Dieu notre Père, et notre Mère. C’est un peu limitatif?
Marga Bührig: Je lutte pour le langage inclusif. Mais pas pour le Père et la Mère au ciel, j’ai toujours dit que je ne voudrais pas avoir des parents au ciel. Je suis adulte. Ce qui est important dans la théologie et dans le féminisme, c’est de retrouver notre histoire. Découvrir l’histoire cachée des femmes, c’est le travail de la théologie féministe et du féminisme en général.
Q.: Que pensez-vous de la décennie des Eglises solidaires des femmes?
Marga Bührig: Je trouve que c’était une très bonne idée. Elle n’a sans doute pas apporté ce que nous avions espéré: il n’y a pas eu beaucoup d’intérêt parmi les responsables d’Eglise. Ce sont les femmes qui se sont engagées, et c’est très positif. La meilleure idée du COE a été, à mi-parcours, de mettre en route des équipes qui ont visité les Eglises. Je crois qu’il y a là des résultats qui apparaîtront mieux après Harare (ndlr: 8e Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises, du 3 au 14 décembre). Une chose aussi est devenue visible: la violence, contre les femmes, spécialement la violence sexuelle. C’est un problème que les Eglises n’ont jamais voulu admettre, dans le souci de protéger la cellule familiale. Si la décennie n’a qu’un seul résultat positif: ce sera celui-là.
Q.: Votre vie a été très riche en engagements. N’avez-vous jamais été tentée par la politique?
Marga Bührig: Au sens classique du terme, non. Je crois que le travail que nous avons fait à Boldern était vraiment politique. Maintenant, je suis membre des «Panthères grises» (ndlr: Mouvement de défense des aînés), ça aussi c’est un engagement politique. Je ne suis pas membre d’un parti, mais nous militons pour les droits de ceux qui n’en ont pas beaucoup, même dans notre démocratie. Il ne s’agit pas seulement des personnes âgées, mais aussi des pauvres, des handicapés. Au cours des dix dernières années, j’ai également été pendant 7 ans l’une des co-présidentes du COE, ce qui était aussi une forme d’engagement politique. J’ai été élue en 1983 lors de l’assemblée de Vancouver, mon mandat a pris fin en 1991 avec celle de Canberra.
Q.: Une fondation porte votre nom. Qu’est-ce que cela vous fait?
Marga Bührig: Ce sont des amis qui ont eu cette idée. C’est une fondation pour aider et encourager des étudiantes, des chercheuses qui travaillent dans le domaine de la théologie féministe. La Fondation a été créée l’été passé. Pour le moment nous pensons donner un ou deux prix par année pour récompenser un travail de recherche. Nous savons bien que 2’000 ou 3’000 francs ne peuvent aider une femme à étudier, mais c’est un encouragement. Au départ, je ne voulais pas de cette fondation. Aujourd’hui, je me dis que, comme je n’ai pas d’enfants et pas d’obligation auprès de quiconque, une partie de mes biens pourrait donc aller à la fondation. Je ne suis pas riche, mais je ne suis pas pauvre non plus et je ne veux pas donner trop d’argent à l’Etat ou à des gens qui devront payer d’énormes impôts. Ce n’était pas la motivation au départ, mais maintenant c’est une idée qui commence à me plaire. (apic/spp/pr)