Le cardinal Robert Sarah plaide pour que les prêtre reviennent à la célébration de la messe vers l'Orient, c'est-à-dire dos à l'assemblée. | Claude Truong Ngoc/Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0
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Ancienne messe: Martin Klöckener met en garde contre la division

Le Vatican a adopté en début d’année 2020 deux mesures importantes concernant la forme extraordinaire du rite romaine. De nouvelles préfaces et de nouveaux saints ont été introduits dans la messe tridentine. Rome a en outre lancé une enquête auprès des évêques pour connaître l’usage de la messe d’avant le Concile Vatican II. Martin Klöckener, professeur de sciences liturgiques à l’Université de Fribourg, met en garde contre le risque de division.

Raphael Rauch, kath.ch / traduction adaptation Maurice Page

La messe en latin, dos au peuple, selon le rite tridentin garde ses adeptes. Depuis 2007, le pape Benoît XVI a autorisé de célébrer librement selon la «forme extraordinaire du rite romain», sans devoir obtenir l’aval de l’évêque local. La messe ‘de toujours’ n’avait pratiquement pas évoluée depuis 1962. Mais aujourd’hui, le missel s’enrichit de nouvelles préfaces et de nouveaux saints.

Ces mesures ont suscité l’opposition de quelque 200 théologiens qui ont adressé une pétition à Rome pour faire part de leur inquiétude. Martin Klöckener, professeur de sciences liturgiques à l’Université de Fribourg, est l’un des signataires.

Quelles sont les raisons de votre réaction? Il ne s’agit que de deux décrets.
Martin Klöckener: Pour moi, réformer l’ancienne messe ne fait pas sens. Les changements décrétés aujourd’hui se réfèrent à des modèles du passé, que le Concile Vatican II a considéré comme obsolètes pour de bonnes raisons.

On peut considérer que cette réforme ne touche que quelques nostalgiques. Quel est dès lors le problème?
En 2007, Benoît XVI avait décrété la réadmission de la forme extraordinaire du rite romain afin de contribuer à surmonter la division de l’Eglise avec les Lefebvristes. Aujourd’hui, 13 ans plus tard, nous savons que cette demande a complètement échoué et que la Fraternité saint Pie X (FSSPX) n’a pas bougé sur ce point. Il y a même eu un nouveau durcissement des fronts.

Vous ne voyez donc pas cette démarche comme un signal envers les membres de la FSSPX?
Les Lefevbristes sont des schismatiques, ils ne font pas partie de l’Eglise catholique. Par conséquent, cette démarche ne les concerne pas. Il s’agit probablement davantage de l’attachement à la liturgie pré-conciliaire au sein de certains cercles influents.

A vos yeux, ces cercles menaceraient l’unité de l’Église.
Je vois le danger d’une division pastorale. Certains milieux qui utilisent ce rite rejettent en fait le Concile Vatican II. Il y a des séminaires dans lesquels l’ancienne forme du rite est désormais également enseignée. Cela crée des difficultés et conduit à des divisions dans la formation des prêtres. Car chaque rite détermine un rapport avec l’identité des personnes concernées. Il s’agit de l’image de l’Église, et du prêtre qui se trouvent ainsi en tension.

Il semble peu probable que la pétition que vous avez cosignée fasse grande impression sur le Vatican.
Je n’en suis pas sûr. En attendant, il y a déjà eu une réaction d’un membre de la curie. Elle a été écrite en son nom propre, mais cela montre que la pétition est un sujet de discussion à la curie.

Face à ces débats, quel doit être le rôle des évêques?
J’espère que les évêques prendront davantage conscience de ces questions et ne se contenteront pas de s’habituer à une situation problématique. En fait, la compétence liturgique dans les diocèses appartient aux évêques. Benoît XVI avait porté atteinte à ce droit avec la réadmission du rite tridentin en 2007. Les évêques devraient retrouver ce droit et décider quelle version de la liturgie est admise ou non dans leur diocèse.

Il se peut aussi que le pape François argumente sur le plan pastoral et dise qu’on peut le faire tant que cela aide les gens.
La liturgie du Concile Vatican II offre un potentiel énorme et une grande richesse spirituelle pour de nombreuses préoccupations pastorales. J’aimerais que certaines d’entre elles soient mieux mises en œuvre dans la pratique liturgique pastorale. Mais de telles questions ne peuvent pas être résolues en créant de nouveaux rites spéciaux.

Le pape François serait parfois plus conservateur que ne le suggère son image de réformateur.
François a toujours clairement indiqué qu’il s’inscrivait dans la ligne du Concile Vatican II, y compris dans le domaine de la liturgie. Je vois plutôt ici à l’œuvre les cercles autour de l’ancienne commission pontificale «Ecclesia Dei». Le pape François l’a abolit et a transféré ses compétences à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Mais les intérêts de ces cercles n’ont bien sûr pas simplement disparu.

La Congrégation pour la Doctrine de la Foi a lancé conjointement une enquête auprès des évêques sur l’usage de la forme extraordinaire du rite romain. Comment jugez-vous cette démarche?
A ma connaissance, cette enquête avait déjà été envoyée avant la publication des deux nouveaux décrets. Il ne faut pas y voir une annonce indirecte de l’abolition de la forme extraordinaire du rite romain comme le craignent certains milieux ultraconservateurs. Pour l’instant, je n’en tirerais pas de conséquences trop importantes. (cath.ch/kath.ch/rr/mp)

«Cum sanctissima» et «Quo magis»
Outre le déroulement de la messe et les prières liturgiques, le calendrier avec les fêtes des saints (sanctoral) et la division de l’année liturgique (temporal) sont les éléments de base du missel, explique le professeur Klöckener. Le missel romain de 1962, qui sert pour le rite extraordinaire, garde évidemment l’ordre de l’année liturgique et le calendrier des saints pré-conciliaires. Ce qui signifie logiquement que les saints canonisés après 1960 n’y figurent pas. Le décret «Cum sanctissima» remédie à ce problème.
De nombreux nouveaux saints n’ont pas de pertinence particulière pour les adeptes de la forme extraordinaire, mais certains en ont une, par exemple le fondateur de l’Opus Dei, Josémaria Escriva de Balaguer, canonisé en 2002. «Maintenant, il y aura la possibilité de le célébrer liturgiquement dans l’ancienne messe», note Martin Klöckener.

Le second décret «Quo magis» introduit dans la liturgie de la messe sept nouvelles préfaces  qui introduisent la prière eucharistique (canon).» Cette mesure doit pallier un des points faibles du missel tridentin, a savoir son nombre très restreint de préfaces. RR/MP

Le cardinal Robert Sarah plaide pour que les prêtre reviennent à la célébration de la messe vers l'Orient, c'est-à-dire dos à l'assemblée. | Claude Truong Ngoc/Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0
8 mai 2020 | 14:05
par Rédaction
Temps de lecture : env. 4  min.
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