Alzheimer: «Ecoutez-les!»
Au-delà de la médicalisation et de l’hospitalisation parfois déshumanisantes des personnes touchées par des troubles cognitifs, Marie-Anne Sarrasin a concrétisé au foyer des Acacias, à Martigny, une approche qui met au centre l’écoute et la relation. Dans son dernier livre J’ai Alzheimer: Ecoute-moi, elle interpelle la prise en charge «traditionnelle» des personnes concernées par la maladie.
Dans le séjour des Acacias, les tables sont prêtes pour le loto. Les «hôtes», comme on les appelle ici, ont placé devant eux les cartons de jeu. Jacqueline* se réjouit d’en avoir un rose et un bleu. Certains sont affairés à rassembler leurs pastilles, d’autres entament des conversations à voix basse.
Ils attendent patiemment Madame D. qui arrive plus tard. A son arrivée, la dame d’une nonantaine d’années remarque la présence du journaliste de cath.ch, qui prend des notes dans un coin de la pièce. «Pourquoi ce monsieur est tout seul, demande l’arrivante, il a l’air bien malheureux». «Une préoccupation spontanée pour autrui typique de ces personnes, qui sont très empathiques», remarque Marie-Anne Sarrasin, l’ancienne directrice des lieux venue en visite.
Un silence de cathédrale se fait soudain dans l’assemblée alors que la «croupière» égrène les premiers numéros. Les hôtes, accompagnés, plongent dans leur pensée pour trouver sur leur carton le nombre indiqué.
Soulager les proches-aidants
Cette séance de jeu est l’une des activités habituelles du foyer pour personnes touchées par des troubles cognitifs de type Alzheimer. Plus tôt dans la matinée, certains ont coupé des légumes, d’autres ont préparé un gâteau. Des animations qui favorisent le sentiment de reconnaissance et de sécurité. Elles privilégient la convivialité, l’échange et la stimulation, tout en se plaçant dans un univers connu de ces personnes.
La démarche des Acacias n’a pas seulement pour but d’apporter des moments de joie et de sérénité aux personnes touchées par Alzheimer, elle s’efforce aussi de soulager des proches-aidants souvent guettés par le désarroi et l’épuisement.
Les familles amènent leur proche pour des périodes diverses durant la semaine. Des activités sont proposées tout au long de la journée, adaptées aux capacités et aux envies des personnes. Après quoi, elles rentrent chez elles pour la nuit.
Le soin du corps et de l’âme
Un accueil qui se veut différent de la prise en charge «classique», qui met en avant l’hospitalisation et la médicalisation, parfois de manière excessive. «Même si la médicalisation est inévitable, un accompagnement adapté, avec une prise de conscience du comportement fait beaucoup», note Marie-Anne Sarrasin.
Aux Acacias, le personnel met au centre les besoins fondamentaux de la personne. Pas juste ceux du corps physique, mais aussi du corps émotionnel et de l’âme: la compassion. Le but est qu’elle se sente en sécurité, aimée, reconnue et encore utile, note l’autrice. Les hôtes – qui sont ‘invités’ et non ‘placés’ – sont appelés à partager leur mémoire, leurs connaissances et leur savoir-faire. L’ancien vigneron est amené à parler de sa vigne, l’ancien masseur à masser les pieds des autres hôtes.
La clé de l’écoute
Marie-Anne Sarrasin a eu la conviction que quelque chose était à faire lorsqu’elle travaillait comme aide-soignante, de nuit, dans un EMS valaisan. «Un soir, un nouveau monsieur, dans son dossier, on pouvait lire qu’il était ‘agressif’ et déambulait. Je l’ai trouvé dans sa chambre angoissé, prostré, accroché aux rideaux. Je lui ai doucement caressé la main, je lui ai expliqué que j’étais là. Il a accepté de rejoindre son lit et de s’y coucher. J’ai remarqué que son retour au calme venait principalement du fait qu’il s’était senti écouté et entendu».
L’écoute comme clé vers un mieux-être des personnes touchées par des troubles cognitifs? Une idée qui ne cesse de croître en elle. Jusqu’à ce qu’elle se décide à la mettre en pratique. Après avoir quitté son travail à la fin des années 1990, elle s’efforce pendant plusieurs années d’accumuler des connaissances sur cette maladie encore mystérieuse.
Elle se lance ensuite, avec les modestes moyens issus de ses économies, dans l’établissement d’un centre d’accueil de jour.
La force de l’acacia
Un processus lent et compliqué. Elle ne se décourage pas et les circonstances ne tardent pas à lui sourire. Elle reçoit notamment l’aide de Léonard Gianadda. Le promoteur immobilier, philanthrope, artiste et mécène valaisan achète la maison nommée Les Acacias, au cœur de Martigny pour y faire démarrer le projet.
Un lieu prédestiné pour Marie-Anne, qui ne croit pas du tout au hasard. «Avant-même l’achat de la maison, je prévoyais de nommer le centre d’accueil ‘les Acacias’, surtout parce que j’aime ces fleurs. Ensuite, lors d’un voyage en Egypte, j’ai appris que les anciens Egyptiens utilisaient cet arbre pour tout ce qui est sacré, car c’est le seul qui pousse dans le désert». Des arbres magnifiques qui croissent en terrain «stérile»? Un symbole plus qu’approprié pour la démarche de l’ancienne aide-soignante.
Ne plus avoir peur d’Alzheimer
La séance de loto achevée, les hôtes des Acacias se congratulent et se lèvent pour vaquer à leurs prochaines occupations. Marie-Anne Sarrasin relève l’ambiance chaleureuse qui régnait durant la partie. C’est la règle aux Acacias.
Car si les personnes touchées par Alzheimer sont très souvent angoissées, elles arrivent encore à vivre dans la convivialité. L’autrice souligne la perception subtile, et différente, que développent ces personnes du monde qui les entoure, leur capacité à retrouver des émotions simples et leur gentillesse sincère et innocente. «Alzheimer fait peur à la plupart des gens. Mais au contact des personnes touchées, les ‘bien-portants’ sont souvent amenés à revoir leurs conceptions et à ne plus fuir systématiquement cette réalité».
Le théâtre pour dé-stigmatiser
Pour Marie-Anne, les hôtes des Acacias ont été ses «plus grands enseignants». Si elle n’est plus directrice du foyer depuis dix ans, elle continue, notamment au travers de formations et de ses livres, à promouvoir son approche.
Elle se réjouit aussi d’avoir laissé sa place à Catherine Poidevin-Girard, qui poursuit la mission dans la même ligne, avec aussi de nouvelles idées.
L’une d’elles est une pièce de théâtre prévue pour le printemps 2022, à Martigny. Les Acacias présenteront ainsi Le Père, de Florian Zellner, avec la participation, si les circonstances le permettent, de personnes accueillies dans la structure. Elle espère pouvoir ensuite amener le spectacle de façon itinérante dans les différents EMS de la région.
Une demande en croissance
L’objectif est aussi de mieux faire connaître la démarche des Acacias. Car même si la prise de conscience des besoins des personnes touchées par Alzheimer augmente dans la société, beaucoup de progrès dans l’accompagnement reste à faire.
Les structures du type des Acacias sont toujours mieux reconnues. La maison reçoit notamment depuis dix ans de l’argent public. Mais elle n’arrive pas à répondre aux besoins, face notamment à l’augmentation des cas. Le délai d’attente est ainsi actuellement de plus d’un an.
Tous porteurs de Vie
Au-delà de la nécessité d’un autre regard, social et médical sur Alzheimer, Marie-Anne Sarrasin appelle aussi à découvrir la réalité spirituelle derrière la maladie. «Cela nous fait comprendre, quels que soient le courant de pensée ou la religion, que nous sommes tous porteurs d’une vie, de la Vie. Même au stade ultime de la maladie, quand tout semble avoir disparu, on voit dans leurs yeux qu’ils aiment et se sentent aimés. Parce que l’amour, ce n’est pas le sentiment amoureux, c’est un état d’être, indestructible».
Et Marie-Anne Sarrasin de rappeler que les Egyptiens utilisaient le bois d’acacia aussi parce qu’il est imputrescible. (cath.ch/rz)
*prénom fictif
Cette interpellation de la prise en charge est au coeur de J’ai Alzheimer: Ecoute-moi, sorti dans la collection Prisme (Saint-Augustin), au printemps 2021, rédigé avec le journaliste et écrivain Alain Maillard.
Le livre, qui regroupe des témoignages de personnes touchées et des réflexions de l’autrice, appelle principalement à voir les personnes au-delà de la maladie.
Un «rêve» que Marie-Anne Sarrasin ne cesse de réaliser depuis plus de vingt ans, et dont le foyer des Acacias représente la principale réalisation. RZ
Prisme, une nouvelle collection pour éclairer «sous différents angles»
J’ai Alzheimer: Ecoute-moi, de Marie-Anne Sarrasin et Alain Maillard est le livre inaugural de la collection Prisme, lancée par les Editions St-Augustin. Spécialisées depuis 1934 dans la littérature spirituelle et chrétienne, les éditions basées à Saint-Maurice (VS) ont eu à cœur de clarifier leurs collections et marques, qui se sont amplement diversifiées, explique à cath.ch Pascal Ortelli, responsable de l’édition des livres. «Nos livres se retrouvaient jusqu’à présent presque systématiquement dans le rayon ‘religion-ésotérisme’ des librairies, à cause de la connotation religieuse associée à St-Augustin».
Avec la collection Prisme les éditions valaisannes n’apparaissent donc pas sur la couverture des ouvrages, tout en étant mentionnées à l’intérieur. Une façon de s’ouvrir à un plus large public.
Des textes toujours porteurs de sens
La nouvelle collection lancée au printemps 2020 regroupe des textes apportant un éclairage particulier sur des enjeux actuels autour de la personne, de la famille et de la société. Des thématiques déployées plutôt sous l’angle du «développement personnel», note Pascal Ortelli. La collection privilégiera les témoignages et enquêtes de terrain. Des textes plus forcément en rapport avec la religion, mais néanmoins toujours «à même d’apporter des repères et une expérience d’enrichissement et de sens». RZ