L'association "Aînées pour le climat" a porté plainte contre la Suisse à la Cour européenne des droits de l'homme | © ainees-climat.ch
Suisse

Aînée pour le climat: «J'espère que la Cour réprimandera la Suisse»

L’association des Aînées pour le climat a déposé une plainte contre la Suisse auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’instance statuera le 9 avril 2024. Pia Hollenstein, membre des Aînées, explique la démarche.

Barbara Ludwig, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

L’association des Aînées pour la protection du climat, ainsi que quatre femmes, ont déposé une plainte en 2016 auprès de la Confédération sur le motif que cette dernière ne les protégerait pas assez contre les vagues de chaleur. Après avoir été déboutées par le Département de l’environnement et le Tribunal fédéral, les plaignantes se sont tournées vers la CEDH.

La Saint-Galloise Pia Hollenstein (73 ans) est membre du comité directeur de l’association «Aînées pour le climat Suisse». De 1991 à 2006, elle a représenté les Verts au Conseil national.

Qu’est-ce qui vous a motivée à participer à cette initiative?
Pia Hollenstein: En 2016, j’étais déjà à la retraite et très heureuse de pouvoir m’engager très concrètement pour le climat. Pendant mon mandat au Conseil national, nous n’avions pas obtenu beaucoup sur ce qui aurait été déjà urgent de faire à l’époque. La demande de participation au comité directeur de l’association est arrivée au bon moment. C’est un engagement qui en vaut la peine. J’ai constaté qu’il avait sur moi un effet presque thérapeutique.

«La fonte impressionnante des glaciers me fait mal au coeur»

Que voulez-vous dire par là?
Travailler au sein du comité fait que je ne me sens pas impuissante face à l’action insuffisante de l’Etat et d’autres organisations en matière de protection du climat.

Vous avez été membre de la commission œcuménique Justice, Paix et Sauvegarde de la Création de 1992 à 2009. Votre engagement pour l’environnement et le climat a-t-il aussi des racines religieuses?
Je dirais que oui. J’ai grandi dans une famille catholique à la campagne. Mes parents étaient très religieux. Grâce à eux, j’ai grandi dans la communauté ecclésiale et je m’y sens toujours chez moi. Mes parents appréciaient beaucoup la nature et savaient qu’il fallait la protéger. Ils nous ont transmis ce rapport positif à la nature.

«Ce qui m’intéresse dans mon engagement pour le climat, c’est que les femmes âgées se sentent concernées»

Dans leur plainte climatique contre la Suisse, les Aînées argumentent sur la mortalité accrue des femmes causée par les vagues de chaleur. Comment vivez-vous le changement climatique au niveau personnel?
Je constate les conséquences du changement climatique parce que je vais souvent en montagne. Lorsque je repasse aux mêmes endroits après des années, je constate à quel point la fonte des glaciers a été importante. Cela me fait vraiment mal au coeur. Je ne me sens cependant pas affectée par le changement climatique sur le plan de la santé, ce qui est une chance pour moi.

Pia Hollenstein est membre du comité directeur des «Aînées pour le climat» | © Elke Hegeman

Vous ne souffrez donc pas des vagues de chaleur qui touchent désormais aussi la Suisse?
Très peu. J’ai vécu trois ans sous les tropiques et là-bas, j’ai très bien résisté à la chaleur. Je possède une bonne capacité d’adaptation en la matière. Bien sûr, j’ai aussi chaud pendant les canicules, mais cela n’affecte pas mon organisme.

Pour être claire, je n’ai jamais fait de la politique pour mon souci personnel. Ce qui m’intéresse dans mon engagement pour le climat, c’est que les femmes âgées se sentent concernées, et mon expérience propre n’a pas d’importance là dedans.

«L’accent est mis sur les objectifs que la Suisse s’est elle-même fixés, mais qu’elle n’a toujours pas atteints»

Les Aînées pour le climat reprochent à la Suisse de ne pas en faire assez pour lutter contre le réchauffement climatique et de violer ainsi les droits de l’homme. Quels sont les points qu’elle devrait améliorer?
Un accent particulier est mis sur les objectifs que la Confédération s’est fixés, mais qu’elle n’a toujours pas atteints. Par exemple en rapport à l’accord de Paris, que la Suisse a ratifié en 2017 et qui doit permettre de protéger le climat. Ou par rapport à la Constitution, qui stipule que la Suisse doit respecter le droit à la vie et protéger la santé. Pour atteindre ces objectifs, il y aurait mille possibilités. Mais ce n’est pas aux Aînées de présenter à la Suisse un paquet de mesures. Et nous n’attendons pas non plus de la CEDH qu’elle recommande à la Suisse des mesures pour atteindre les objectifs climatiques. Ce qui devrait être fait est suffisamment connu.

«Ce qui serait grave, ce serait que la Cour arrive à la conclusion que les droits de l’homme ne sont pas du tout violés»

La Cour examinera si la Suisse, avec sa politique climatique insuffisante, viole l’obligation de protéger les droits de l’homme inscrite dans la Constitution. C’est la nouveauté et la particularité de notre recours. C’est pourquoi une grande partie du monde s’y intéresse. L’arrêt est important pour tous les membres du Conseil de l’Europe, dont la Suisse fait partie.

Le jugement est-il contraignant pour la Suisse?
Oui. Les arrêts de la CEDH doivent être respectés et appliqués. Quand je siégeais au Conseil national, et que la CEDH réprimandait la Suisse, la Confédération réagissait toujours très rapidement – en expliquant que le respect des droits de l’homme était très important en tant qu’objectif national.

Certains objectent qu’il s’agit d’une demande politique, qui, en tant que telle, ne doit pas être imposée par la justice, mais par la politique.
Dans une démocratie, il y a deux piliers – l’un est la politique et l’autre le droit et ses possibilités que la démocratie a mis en place. Les deux sont importants. En principe, il revient à la politique de veiller à ce que la Constitution fédérale – par exemple le principe de précaution ou de durabilité – soit respectée. De même, il revient à la politique de mettre en œuvre les engagements convenus dans l’accord de Paris. Mais si la Suisse ne le fait pas, le droit peut alors prendre le relais, selon les principes démocratiques.

Quelles sont les chances que les Aînées obtiennent gain de cause?
C’est impossible à dire. Mais je suis confiante, car nos arguments sont tout simplement valables. Ce qui serait grave, ce serait que la Cour arrive à la conclusion que les droits de l’homme ne sont pas du tout violés. Cela légitimerait les Etats à être minimalistes pour protéger le climat. J’espère que la Cour réprimandera la Suisse et que celle-ci saisira l’arrêt de la Cour comme une chance de s’améliorer. (cath.ch/kath/bal/rz)

L'association «Aînées pour le climat» a porté plainte contre la Suisse à la Cour européenne des droits de l'homme | © ainees-climat.ch
7 avril 2024 | 16:57
par Rédaction
Temps de lecture : env. 4  min.
Partagez!