Afrique: deux prêtres tiennent Facebook en haleine
Introverti pour le premier, charismatique et parfois sarcastique pour le second, l’Ivoirien Paul Blanchard Aké et le Congolais Blaise Kanda sont très actifs sur Facebook. Avec des séances de prières quotidiennes pour l’un, des prêches enflammés pour l’autre, ces prêtres sont devenus au fil du temps d’irrésistibles «buzzeurs». Portraits croisés.
5h du matin, chaque jour à Abidjan où il est curé de paroisse, Paul Blanchard tient un réveil matinal «plutôt indispensable pour tenir la journée» selon Marguerite, un soutien de l’initiative que touche quotidiennement au moins une dizaine de milliers de personnes depuis 2019.
En trois ans, et profitant de l’opportunité que fut le confinement lié à la pandémie, OraPronobis est devenu le hashtag qui offre au quotidien prières et intercessions, doublant le nombre de ses followers. «Les gens me suivent de plusieurs pays africains», confie le prêtre de 43 ans qui est aussi architecte. Togo, Bénin, Cameroun, Gabon, Burkina Faso, mais leprêtre compte des followers aussi en Europe et aux Etats-Unis «où la diaspora n’a pas l’occasion de messes quotidiennes».
A Mbuji- Mayi (Centre de la RDC), c’est en déambulant sur la chaire de la paroisse universitaire Notre-Dame de l’Espérance que Blaise Kanda enflamme un auditoire éclectique, venu de tout le pays. Les sermons en direct sur internet, pleins d’humours et sans langue de bois sont parfois partagés jusqu’à 300’000 fois sur Facebook sans compter les relais dans des milliers de groupes WhatsApp. Il sait compter sur ses 150’000 abonnés, faisant de lui un vrai «buzzeur» qui s’en accommode bien.
Deux styles, des thèmes tous azimuts
Les deux prêtres sont de tempéraments bien différents. Pour ses 25 ans de vie sacerdotale, fêtés début septembre 2021, Blaise Kanda a eu besoin d’une célébration liturgique géante relayée par ses abonnés et au cours de laquelle de nombreux confrères sont venus applaudir celui qui, en Afrique centrale, est devenu une star. Le tout en direct sur Facebook.
Pendant ce temps, c’est tout en sobriété, depuis son presbytère de Yamoussoukro, la capitale ivoirienne, que Paul Blanchard Aké prie «pour et avec ses abonnés». Il ne s’agit ici pas d’une homélie, mais de prière, une demie heure environ. En direct, des intentions de prière sont postées en commentaires dont certaines sont reprises par le prêtre.
Bien loin des sujets d’actualités, richesse, mariage, vie de couple, infidélité en amour, football, sorcellerie…, autant de thèmes de prédilection pour Blaise Kanda. Tenant son micro de couleur jaune, le prêtre congolais prêche devant une salle comble, sur une chaire où est planté un drapeau de son pays. «Je sais choisir les mots pour attirer, concède-t-il, si je poste une vidéo titrée ›Dieu est amour’, peu de personnes la suivront», explique l’aumônier universitaire. «Si je mets ›Comment répondre coup par coup aux sorciers’, tout le monde voudra suivre», explique-t-il.
Préférant la prière à la lumière, l’abbé Aké évite le show. Pour Jeanne qui le suit depuis le début, «c’est plus le besoin de se confier à Dieu que d’écouter un prêche». Cette Ivoirienne vivant à Thonon-les-Bains, en France, soutient d’ailleurs financièrement son ancien curé, «quelques euros mensuels pour son internet», tient-elle à préciser.
Franc succès
Les deux prêtres sont très suivis sur tout le continent mais aussi dans la diaspora créant ainsi de nouvelles vocations au sein du clergé. «Depuis que j’ai commencé, certains confrères ont pris des initiatives similaires», constate Paul Blanchard. En RDC, plusieurs dizaines de projets du même genre ont vu le jour, à la suite de l’abbé Kanda, sans connaître le même succès.
«Blaise Kanda allie simplicité et naturel» selon Sœur Sidonie, une religieuse qui confie «suivre chaque soir, dans son lit, après les vêpres» son sermon du jour. Le succès de ces initiatives est dû avant tout à un large usage de Facebook en Afrique par une personne sur cinq (environ 200 millions d’âmes).
Il permet de suivre des séances en direct ainsi qu’en différé et la pratique de groupes WhatsApp très répandue sur le continent facilite les reprises. Les contenus aussi sont très appréciés, «je ne peux pas louper une seule intervention de l’abbé Kanda», insiste Thierry, 43 ans et cadre dans la finance à Kinshasa. En Tunisie où la paroisse catholique la plus proche de sa résidence est à plus de 300 Km, OraPronobis «me sert de messe chaque jour», sourit Maria Kouadio. La juriste de 33 ans a créé un groupe WhatsApp pour y reprendre les prières matinales de l’abbé Aké qu’une web radio, Grâce Espoir, lancée par un autre prêtre ivoirien passe en direct.
L’épiscopat prudent
Le Père Zindo, curé de paroisse à Kinshasa, «très admiratif de Kanda» en est même devenu un collaborateur et tente de faire la promotion de ses sorties. Si à Abidjan, beaucoup de confrères expriment admiration et soutien à l’abbé Paul Blanchard , les évêques sont plutôt discrets sur le sujet. «Mon évêque ne m’en a pas parlé formellement, reconnaît l’abbé Blanchard, mais je sais que cela ne lui pose pas de problème».
A Mbuji-Mayi en revanche, «certains prêches de Kanda paraissent limites», selon deux sources concordantes au sein du clergé. Compte tenu du large succès de l’abbé Kanda, Mgr Bernard-Emmanuel Kasanda Mulenga, évêque de son diocèse reste prudent. Et face aux 300 chaines de télévisions, dont les deux tiers sur YouTube, que détiennent des pasteurs d’églises de réveil au Congo, l’abbé Blaise Kanda use bien de sa notoriété pour jouer les contrepoids.
En attendant, Paul Blanchard Aké n’a aucune raison d’arrêter ses séances de prière matinales, les centaines de témoignages et l’augmentation constante de ses followers le rassure. (cath.ch/msc/bh)