Affaire Becciu: le silence assourdissant du Saint-Siège
Camille Dalmas/I.MEDIA
Depuis la démission spectaculaire – sur demande du pape François – du cardinal Angelo Becciu le 24 septembre 2020, pas un jour ne passe sans que les principaux journaux italiens ne viennent épaissir le feuilleton d’une nouvelle révélation. Une prodigalité qui contraste fortement avec le silence du Saint-Siège, pourtant le premier à avoir ouvert la boîte de Pandore en livrant à la presse, en quelques lignes lapidaires sans aucune justification, le haut prélat sarde.
Résultat immédiat: une conférence de presse un peu surréaliste organisée le 25 septembre par celui dont seuls sa démission et le silence du pape à son encontre constituent des pièces à charge indéniables aujourd’hui. Le cardinal Becciu a pu organiser sa défense contre des accusations que nul ne pouvait confirmer, sinon les enquêtes croisées – et parfois contradictoires – des journaux italiens.
Dans cette affaire, ils sont nombreux à s’exprimer: L’Espresso, d’abord, dont le dossier à charge contre Becciu, paru dans la foulée de sa démission, pourrait expliquer son renvoi tard dans la soirée du 24 septembre. Il Messaggero, La Repubblica ou Le Corriere della Sera, ensuite, qui semblaient eux aussi s’intéresser aux remous judiciaires perçus derrières les épais murs léonins depuis les révélations sur l’affaire de l’immeuble de Londres, il y a de cela un an. Les nouveaux éléments qui «tombent» chaque jour semblent provenir du très épais dossier de l’enquête menée par la justice du Saint-Siège.
La parole est à la défense
Cette dispersion a favorisé d’une certaine manière la communication du cardinal sarde, même si rares sont ceux à avoir pris sa défense. Le haut prélat, qui semblait très sûr de lui lors de sa conférence de presse, a pu en toute vraisemblance critiquer la manière dont il avait été traité, «pire qu’un pédophile», tant personne ne souhaitait vouloir élever la voix pour lui répondre.
Alors que le Saint-Siège persistait dans son traditionnel silence, seule une voix, inattendue, est venue s’exprimer. Le cardinal George Pell, ancien préfet du secrétariat pour l’économie, que nombre de commentateurs présentent comme un ennemi du cardinal Becciu, s’est rapidement fendu d’un communiqué, dans lequel il a félicité le pape d’avoir entamé «le ménage des étables».
Lui dont la disgrâce – il était accusé d’actes pédophiles – n’a été que très récemment levée par la justice australienne après de longs mois passés en prison, s’est publiquement réjoui de la chute du cardinal italien. Tous ceux qui sont aujourd’hui en poste ont a contrario respecté le plus strict silence. Le cardinal australien s’est empressé de rejoindre la Ville éternelle, même si le lien de causalité entre son retour à Rome et l’affaire en cours reste à prouver.
Six jours, et enfin quelques mots
Six jours: c’est le temps qu’il a finalement fallu attendre pour qu’un responsable de la Curie s’exprime enfin publiquement sur le sujet. Et encore, ce ne sont que quelques mots lancés en catimini à la sortie d’un colloque organisé par l’ambassade américaine près le Saint-Siège sur un tout autre sujet.
Les déclarations du secrétaire d’Etat, le cardinal Pietro Parolin, ne laissent cependant presque rien paraître. L’ancien supérieur direct du cardinal Becciu décrit l’affaire qui attise toute la presse de son pays comme un simple «moment un peu triste dans le cheminement de l’Eglise». Cependant, le ›numéro deux’ du pape François, a insisté sur plusieurs aspects significatifs de l’affaire. «Nous espérons que les choses pourront être clarifiées», a-t-il d’abord affirmé. C’est bien la discrétion et le secret qui entourent l’investigation menée par le promoteur de justice Gian Piero Milano qui semble justifier aujourd’hui le silence de la Curie.
Mais pas seulement. Le ›numéro deux’ du Vatican s’est ainsi dit «désolé pour toutes les personnes impliquées» dans l’affaire. L’investigation de la justice vaticane, dont nul ne connaît le réel avancement, semble donc perturber le cœur de l’administration du Saint-Siège et justifier la prudence de son exécutif. L’éviction de l’ancien substitut de la Secrétairerie d’Etat, qui a occupé une place que nombre de vaticanistes décrivent comme centrale, et qui pourrait même avoir constitué un «réseau», ou un «système» selon d’autres, est à même de déstabiliser les équilibres de la Curie.
Frénésie journalistique
Face à ce quasi-mutisme, la frénésie des enquêtes journalistiques est remarquable, mais n’échappe pas aussi au grotesque, notamment lorsque toute la presse relaie le renvoi de l’avocat de la famille Becciu après la publication de photos le montrant en slip de bain échancré à la plage. Néanmoins, les investigations dessinent, jour après jour, les détours complexes d’une enquête en pleine progression, où différents fils semblent aujourd’hui se rejoindre autour d’un nœud central: l’achat suspect par le Saint-Siège du fameux immeuble de Sloane Avenue à Londres, révélé à l’automne 2019. Une affaire dans laquelle semblent se mêler des milieux financiers très importants de la capitale britannique, des petits intermédiaires italiens crapuleux et surtout de nombreux prélats de la Secrétairerie d’Etat.
Le 30 septembre, une semaine après le renvoi de son ancien proche collaborateur, le pape François serait «bouleversé et isolé» par l’affaire Becciu, affirme le journal italien Il Fatto Quotidiano: en témoigne le fait que le cardinal Parolin, pourtant son ›numéro deux’, aurait appris la nouvelle de la démission du préfet de la Congrégation pour la cause des saints comme tout le monde, dans les médias.
Si ces révélations sont à prendre avec prudence, reste que le tremblement de terre qui a secoué le Vatican semble de fait avoir révélé d’inquiétantes lézardes dans le fonctionnement actuel de la Curie, et replace au cœur de toutes les attentions l’ambitieuse réforme de l’administration centrale de l’Eglise pour laquelle le pape argentin a été choisi par ses pairs, il y a de cela plus de sept ans. (cath.ch/imedia/cd/bh)
Le cardinal Angelo Becciu, l'un des plus hauts dignitaires de l'Eglise catholique, a démissionné de son poste et a renoncé à ses droits de cardinal, a annoncé le Vatican dans la soirée du 24 septembre 2020.