Adolescents coptes condamnés pour «outrage à l'islam»: HRW interpelle l'Egypte

L’organisation de défense des droits humains «Human Rights Watch» (HRW), basée à New York, a lancé un appel le 14 mars 2016 pour que les autorités égyptiennes annulent les peines de prison contre des adolescents coptes accusés du crime d’»outrage à l’islam». Quatre jeunes chrétiens, qui voulaient se moquer de Daech, le soi-disant «Etat islamique», avaient parodié, dans une vidéo, une scène de prière musulmane.

Trois adolescents coptes ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Minya, en Moyenne-Egypte, à cinq ans de prison en vertu de l’article 98 du code pénal égyptien qui incrimine les atteintes à la religion. Un quatrième accusé, âgé de 15 ans, a été placé dans un centre de détention pour mineurs, pour une durée indéterminée.

Une blague d’enfants n’est pas un crime

HRW a demandé au gouvernement égyptien de «protéger la liberté d’expression». «Ces enfants ne devraient pas être mis en prison pour s’être exprimés, même sous forme d’une plaisanterie immature», a déclaré Nadim Houry, directeur adjoint de l’organisation pour le Moyen-Orient. Il a estimé que se moquer de Daech ou de tout autre groupe religieux avec une blague d’enfants n’était pas un crime. Il a sommé les autorités égyptiennes de supprimer l’article du code pénal utilisé pour incriminer les personnes accusées de «blasphème», estimant que l’utilisation d’un tel article était l’expression de vues rétrogrades sur le blasphème.

Me Naguib Ghobrial, avocat des jeunes chrétiens coptes, affirme qu’ils voulaient en réalité parodier une décapitation telle qu’elle est pratiquée par le groupe «Etat islamique». L’avocat va faire appel de ce jugement. Selon le journal en ligne Al-Haram Hebdo,   http://hebdo.ahram.org.eg  la vidéo avait été filmée en janvier 2015 par un de leurs professeurs, qui a lui-même été condamné à trois ans de prison dans un procès séparé. On y voit l’un des adolescents s’agenouiller et mimer une prière musulmane, et les autres gesticuler, hilares, autour de lui. L’un d’eux fait ensuite mine, avec le pouce, de décapiter celui qui priait. Cette vidéo avait été réalisée après que des jihadistes de Daech eurent filmé en février 2015 la mise à mort par décapitation de 21 chrétiens coptes en Libye.

La plainte a été déposée par un officier de Béni-Mazar, un village du gouvernorat de Minya, après avoir vu la vidéo. Il a présenté une plainte basée sur l’article 98 du code pénal. Selon l’article en question, «toute personne qui dénigre l’une des religions monothéistes (islam, christianisme et judaïsme) ou l’unité nationale, encourt entre 6 mois et 5 années de prison». Me Ghobrial estime que ce genre de procès donne une mauvaise image de l’Egypte face au monde entier: «Toute la presse internationale a parlé de ce procès et dénoncé l’article 98. Comment des enfants qui ont à peine 15 ans peuvent être envoyés en prison ?».

L’article 98 est controversé

L’article 98 a été au centre d’un vif débat ces derniers mois, notamment après la condamnation à la prison du présentateur de télévision, Islam Al-Béheiri, en décembre dernier pour «atteinte à la religion», rappelle Al-Haram Hebdo. Al-Béheiri s’en était pris à certains écrits des 4 imams de l’islam et mis en doute certains hadiths du prophète Mahomet au cours de son programme de télévision sur la chaîne Al-Qahira Wal-Nas.

La polémique a encore enflé après que l’écrivaine Fatima Naoot eut été condamnée à trois ans de prison début février pour une phrase publiée sur Facebook, critiquant l’abattage des moutons lors de la fête musulmane du Grand Baïram. La députée copte Mona Mina a présenté au Parlement égyptien un projet de loi pour annuler cet article.

Ces dernières années, plusieurs procès pour atteinte à la religion ont eu lieu. Selon un rapport de l’Initiative égyptienne pour les droits civiques, les tribunaux ont condamné 81 citoyens pour insulte à la religion entre 2011 et 2015. Mohamad Nour Farahat, professeur de droit à l’Université de Zagazig, estime que l’article 98 du code pénal n’a pas sa place dans la société égyptienne, «car il permet de punir les gens pour de faux crimes».

Al-Azhar défend la criminalisation du blasphème

Mais l’opinion de l’Université musulmane d’Al-Azhar est différente. Ainsi, pour Abdel-Moeti Bayoumi, professeur de charia (droit islamique), cet article est «très important pour l’équilibre communautaire, car il protège toutes les religions et non pas seulement l’islam». Il affirme même que cet article a initialement été écrit «pour protéger les minorités».

Les condamnations pour outrage à la religion en Egypte sont relativement fréquentes, selon les organisations de défense des droits de l’Homme. Entre 2011 et 2013, 27 accusés sur 42 jugés ont ainsi été condamnés, selon un rapport de l’Initiative Egyptienne pour les Droits personnels.

Seuls les coptes sont condamnés, pas ceux qui insultent les chrétiens

Rami Kamel, militant copte, dénonce pourtant le fait que cet article ne soit utilisé qu’à l’encontre des coptes. «Il n’existe pas une seule condamnation pour insulte contre les coptes ou la religion chrétienne, malgré le fait que des personnalités salafistes telles que Yasser Borhami, ou islamistes, comme Sélim Al-Awa et Mohamad Emara, insultent régulièrement les chrétiens. Il affirme qu’à travers ce genre de procès, l’Etat égyptien essaie d’apaiser les musulmans parce que le régime a peur de l’influence des islamistes, car tout ce qui touche la religion musulmane est ultrasensible, surtout en Moyenne et en Haute-Egypte. (cath.ch-apic/alahram/com/be)

Egypte La minorité copte exposée au milieu d'une majorité musulmane | © Jacques Berset
14 mars 2016 | 13:36
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
Blasphème (61), Daech (159), HRW (2), Human Rights Watch (5), Islam (393)
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