Actualité: Le 30 juin 1988, malgré une ultime tentative du pape Jean Paul II, l’évêque rebelle Marcel Lefebvre consommait à Ecône le schisme avec Rome. Il ordonnait en effet ce jour là devant une foule estimée à 7’000 fidèles 4 évêques «fidèles à la tradi
APIC – Interview
Le Supérieur général de la Fraternité St-Pie X dresse le bilan de dix ans de schisme
Mgr Bernard Fellay: «Si c’était à refaire, je le referais!»
Jacques Berset, Agence APIC
Fribourg/Menzingen, 22 juin 1998 (APIC) Une décennie après le schisme d’Ecône, le 30 juin 1988, sept ans après la mort de son chef charismatique le 25 mars 1991 à l’hôpital de Martigny, le mouvement traditionaliste fondé par Mgr Marcel Lefebvre, loin de s’effondrer, s’est plutôt consolidé. Dressant le bilan de ces dix ans, Mgr Bernard Fellay, Supérieur général de la Fraternité sacerdotale St-Pie X, n’a pas d’état d’âme: «Si c’était à refaire, je le referais. Je me remets en question tous les jours, mais je pense avoir rendu service à l’Eglise catholique!»
Aujourd’hui, la Fraternité compte 353 prêtres et quelque 200 séminaristes, soit une progression d’un bon tiers par rapport à il y a dix ans. S’il y a eu quelques défections lors des sacres d’Ecône et des excommunications qui ont suivi, elles ont été largement compensées par l’arrivée de nouvelles forces pastorales et un nouvel afflux de fidèles. La Fraternité est désormais présente sur tous les continents. Elle dessert les pays de l’ex-URSS depuis la Pologne. Par sa présence à Hong Kong, elle a aussi un pied en Chine communiste.
«Avec les ordinations que nous aurons ces prochains jours dans nos séminaires d’Ecône, en Valais, de Zaitzkofen (Allemagne), de Winona, dans le Minnesota (Etat-Unis), puis vers Noël aux séminaires de La Reja (Argentine) et de Goulburn, en Nouvelle-Galles du Sud (Australie), nous allons atteindre le nombre de 372 prêtres». Pas de problèmes de vocations chez les traditionalistes. «La relève est assurée, d’autant plus que la moyenne d’âge des prêtres de la Fraternité est de 38 ans…», assure Mgr Fellay.
APIC: Selon les quelques données disponibles, la Fraternité aurait quelque 100’000 fidèles de par le monde…
Mgr Fellay: Je pense que ces chiffres sont sous-estimés. Au niveau mondial, si l’on ne considère que les fidèles qui fréquentent la messe tous les dimanches, ils sont entre 120’000 et 150’000. Quant aux sympathisants et aux pratiquants irréguliers, nous en touchons plusieurs centaines de milliers. En Suisse, les pratiquants réguliers sont aujourd’hui près de 6’000.
Nous vivons principalement des dons de ces fidèles, qui paient par ailleurs leurs impôts ecclésiastiques à l’Eglise officielle. Nous n’avons pas de ressources fixes. Le montant de nos revenus? Difficile àà chiffrer, mais le seul volume que l’on pourrait essayer de donner, c’est que nous sommes constamment en train de construire des églises ou des lieux de culte. Certainement plusieurs millions de dollars par an. Rien que l’église d’Ecône, que nous allons consacrer le 10 octobre, aura coûté plus de dix millions de francs suisses. Une église uniquement financée par des dons, essentiellement en provenance de la Suisse. Effectivement, nous bénéficions d’un soutien important.
APIC: N’avez-vous jamais incité vos fidèles et sympathisants à sortir de l’Eglise catholique «officielle» ?
Mgr Fellay: Non, jamais. Dans plus de 99% des cas, nos fidèles continuent de payer leurs impôts ecclésiastiques dans les paroisses où ils sont enregistrés. Ceux qui ont fait une déclaration de sortie d’Eglise sont très rares. De toute façon nous nous considérons comme appartenant toujours à l’Eglise catholique. Nous maintenons d’ailleurs des contacts avec Rome.
APIC: Le 2 juillet 1988, au lendemain des sacres d’Ecône qui ont entrîné le schisme, le Saint-Siège instaurait la Commission pontificale «Ecclesia Dei» dans le but de faciliter la pleine communion des adeptes de Mgr Lefebvre désireux de rester unis avec Rome… Avez-vous là des partenaires de dialogue ?
Mgr Fellay: Nous avons effectivement des contacts avec Rome et certains évêques. Ce sont des relations timides, certes, mais tout n’est pas coupé. N’ayant pas lieu directement entre la Fraternité en tant que telle et le Saint-Siège, elles sont inofficielles. Il s’agit de contacts «officieux» du Supérieur général ou de ses envoyés avec des autorités officielles. Nous cherchons en premier lieu à nous faire comprendre lors d’échanges non contraignants et informels.
Mais nous ne menons aucun dialogue avec «Ecclesia Dei», car nous estimons que cette entité a été fondée contre nous. Pour nous détruire en somme. Son but est de faire en sorte que les fidèles et les prêtres qui nous quittent soient réintégrés dans l’Eglise. Pour une part, on pourrait même parler de débauchage. On leur fait miroiter le fait qu’ils seront enfin en ordre avec l’Eglise officielle.
En général, à Rome, on ne dit pas que nous sommes «schismatiques». Seulement que les évêques sont excommuniés, que nous sommes en marge de l’Eglise. Le terme «schismatique» a été utilisé pour l’acte même du sacre des évêques, mais tout le monde à Rome ne partage pas cette analyse.
APIC: Voyez-vous dans ces dix ans un rapprochement entre la Fraternité et Rome ?
Mgr Fellay: Je vois ces derniers temps une certaine compréhension de la part de Rome. Cela va plus loin que la Commission «Ecclesia Dei». On se rend bien compte là-bas qu’une crise très grave secoue l’Eglise et que nous n’avons peut-être pas tort sur tous les points. Certes, les instances romaines ne diront jamais officiellement que les points de vue se rapprochent.
Nous faisons face à une crise générale de la foi, de l’enseignement, de la discipline ecclésiastique, de l’obéissance. Les ordres du pape ne sont plus suivis, c’est manifeste!
APIC: N’est-ce pas un peu paradoxal, voire piquant, que ce soit vous qui parliez de manque d’obéissance au pape, alors même qu’il avait tout entrepris auprès de Mgr Lefebvre pour qu’il ne rompe pas avec le siège de Pierre ? Vous existez par un acte de désobéissance au pape…
Mgr Fellay: Notre position est très logique. S’agissait-il d’un acte de désobéissance? Oui et non! Même si, selon les apparences, c’est un acte d’insubordination, nous l’avons posé au nom de l’obéissance à tout ce que l’Eglise a enseigné dans le passé. On nous a toujours enseigné que l’Eglise était infaillible et pas seulement aujourd’hui. Ce qu’elle a enseigné dans le passé doit être aussi vrai aujourd’hui. Nous constatons que pour l’instant l’Eglise n’est pas trop bien gouvernée. Cela fait partie de la crise.
APIC: Qu’est-ce qui vous distingue fondamentalement de l’Eglise romaine ?
Mgr Fellay: De l’Eglise romaine, rien. Si vous voulez parler de l’Eglise officielle, on doit alors parler de sa position par rapport au monde. On pourrait même dire que ce qui nous sépare, c’est la définition même de l’Eglise, dans le sens où l’on disait jusqu’à aujourd’hui que l’Eglise du Christ c’était l’Eglise catholique. Depuis le Concile, on a distingué Eglise du Christ et Eglise catholique, en disant que l’une subsistait dans l’autre. C’était un geste très fortement œcuménique mais qui porte ses conséquences: on touche là à l’identité de l’Eglise. L’ouverture œcuménique du Concile est très certainement l’un des points d’achoppement.
Là où nous nous sentons proche du pape, c’est sur les points de la morale. Mais nous voyons la dérive dans la relation de l’Eglise avec les autres religions et envers les Etats. Ce qui nous sépare fondamentalement, ce sont certaines opinions – condamnées encore peu avant le Concile, dans les années 50 – puis acceptées et ratifiées au Concile. Et la liturgie ? Le missel a quelque chose à voir parce qu’il est l’expression de la foi. La manière de dire la messe est davantage qu’un geste extérieur, plus qu’une question de latin. Là aussi c’est d’abord l’expression de la foi.
APIC: Dans le domaine de l’œcuménisme, le pape Jean Paul II a poursuivi le Concile…
Mgr Fellay: Certainement. Il a poursuivi la politique de relations avec les autres religions. Il est difficile de toujours saisir clairement la pensée du pape, mais en tout cas les moyens proposés actuellement sont désastreux. Aller à la synagogue ou prier à Assise avec les autres religions, offrir une église et même un tabernacle pour que les bouddhistes y mettent dessus leur statue de Bouddha, tout cela conduit directement à l’indifférentisme. Là, il n’y a pas de compromis possible.
APIC: Acceptez-vous le principe de la liberté religieuse et de la laïcité de l’Etat ?
Mgr Fellay: Cela dépend de ce que l’on entend par là. Le terme de liberté religieuse est très mal compris. On comprend souvent sous ce terme l’interdiction de forcer quelqu’un d’accepter une religion. Nous partageons tout à fait ce point de vue: on n’a pas le droit d’user de violence pour qu’une personne accepte une religion. La conception moderne de la liberté religieuse introduite au Concile, c’est en fait la neutralité de l’Etat posée en principe absolu. Nous partons du principe que tout ce qui est créé a été créé par un Créateur et lui est soumis. Par conséquent, un Etat quel qu’il soit, étant créature, a des devoirs à rendre au Créateur.
Dans le concret, il faut souvent appliquer la tolérance: si vous avez un Etat hindou, vous n’allez pas demander qu’il devienne un Etat chrétien du jour au lendemain. Mais il faut y tendre, comme nous le demande notre Seigneur, qui envoie ses apôtres dans toutes les nations pour prêcher son nom. Le but final n’est pas de faire un Etat chrétien dans un sens temporel mal compris, mais de sauver les âmes. Jusqu’à un certain point l’idée de l’Etat laïc me heurte. L’Eglise n’a plus la volonté même de conserver des Etats chrétiens.
APIC: Verrons-nous un jour la réconciliation entre Rome et la Fraternité St-Pie X ?
Mgr Fellay: Je pense que les relations que nous avons avec Rome pourront aboutir un jour à quelque chose de plus concret, mais il faut prendre son temps. Nous ne pouvons avancer de délai, mais je suis sûr que cela sera possible un jour. Cela se fera-t-il encore du vivant du pape Jean Paul II ? Parfois il peut y avoir des surprises, mais honnêtement je n’en sais rien!
6000 fidèles en Suisse
En Suisse, la Fraternité St-Pie X, compte 8 prieurés où réside un prêtre: Sierre, Enney/FR, Genève, Bâle, Rickenbach/SO, Wil/SG, Oberriet/SG et Menzingen/ZG. Il faut y ajouter d’autres lieux de culte à Brigue, Sion, Ecône, Monthey, Montreux, Chexbres/VD, Lausanne, Fribourg, Delémont, Oensingen/SO, Zurich, Uznach/SG, Lucerne, Arth-Goldau/SZ. (apic/be)