Actualité: Dom Helder Camara, l’ancien archevêque de Recife, au Brésil, est décédé dans la nuit de vendredi à samedi à l’âge de 90 ans. Surnommé «l’évêque rouge» pour son action courageuse et humanitaire sous la dictature, Dom Helder était connu partout d

Brésil: Dom Helder Camara meurt à l’âge 90 ans

Un prophète, serviteur de la justice entre les peuples

Recife, 29 août 1999 (APIC) Surnommé l’évêque rouge durant la dictature militaire brésilienne (1964-1985), l’ancien archevêque de Recife, Dom Helder Camara est décédé dans la nuit de vendredi à samedi à Recife à l’âge de 90 ans. Il avait été hospitalisé la semaine dernière pour une infection urinaire. Son état de santé semblait stable jeudi encore.

Comme il l’avait demandé, Dom Helder a été enterré samedi soir dans la cathédrale de Olinda, près de Recife, où reposent également Mgr José Lamartine, son prédécesseur, cours d’une cérémonie simple. La messe de funérailles a été présidée par Mgr Marcelo Pinto Cavalheira, évêque de Paraiba, l’un des successeurs de Mgr Helder comme leader de l’aile progressiste de l’Eglise brésilienne.

Des milliers de fidèles ont tenu à être présents lors des funérailles de cette personnalités du monde brésilien et de l’Eglise, La cérémonie funèbre a été précédée de la levée du corps du prélat dans la paroisse de Derby, un quartier de Recife. C’est là que sa dépouille a été veillée depuis son décès vendredi. Le cercueil a ensuite été acheminé en procession jusqu´à la cathédrale pour y être enterré. Sur le parcours long de dix kilomètres, des milliers de personnes ont rendu un dernier hommage à Dom Helder qui a consacré ses 68 ans de sacerdoce aux pauvres. Devant la cathédrale, les fidèles agitaient des mouchoirs blancs en guise d’adieu, alors que sonnaient les cloches de la cathédrale.

Mgr Helder Camara fut l’un des pionniers de la théologie de la libération et un défenseur acharné des droits de l’homme, spécialement depuis qu’il avait été nommé archevêque de Recife, la grande métropole du Nordeste brésilien. Il s’était un jour défini de la manière suivante: «Je déteste ceux qui restent passifs et soumis. Je suis un socialiste qui respecte la personne humaine, une option d’ailleurs qui nous vient de l’Evangile. Mon socialisme? C’est la justice!».

Durant les années 70, le défunt avait acquis une réputation internationale en dénonçant les abus du régime dictatorial. Cohérent dans son discours, avec ses positions, il a conservé le même mode de vie jusqu’au bout. Il habitait dans une demeure humble à la périphérie de la ville de Récife.

Nommé évêque auxiliaire à l’âge de 43 ans, son influence au sein de l’Eglise brésilienne sera grande. Il fonda, avec d’autres évêques, la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB), dont il était devenu le premier président en 1964.

Lorsqu’en 1964 un coup d’Etat renverse le président brésilien João Goulart, Dom Helder adopte une position humaniste et populaire. Il entame une lutte qui fera de lui une référence mondiale pour les évêques partageants sa vision pastorale et son point de vue à partir de la théologie de la libération.

Dom Helder sera remplacé en 1985 à la tête de l’archevêché de Recife par le très conservateur José Cardoso Sobrinho, qui s’attachera à mettre à mal les acquis de son prédécesseur, sa vision pour une Eglise plus engagée aux côtés des exclus et des pauvres.

Témoignages

Lors de son 90e anniversaire, le 7 février dernier, l’APIC avait recueilli le témoignage de quelques-uns de ses amis évêques et théologiens. Tous reconnaissent l’impact évangélique de cet évêque à la parole vibrante et au courage prophétique.

Ceux qui ont connu Dom Helder dans sa pleine activité pastorale voient en lui le défenseur des plus pauvres et des droits de l’homme. Celui qui a osé le dialogue avec les autres Eglises et les autres religions. Son action a ému les multitudes quand il posait des questions pertinentes et «subversives» aux dictatures militaires. Car il a mis constamment le doigt sur une question éternelle: pourquoi la richesse de quelques uns se fait-elle sur le dos des miséreux et des peuples du Sud? Tous admirent l’acteur éloquent pour tenter de mettre fin à la violence, au racisme, aux guerres et à l’injustice sociale.

«Il a modifié le visage de l’Eglise»

«Petit de taille, il paraissait pourtant un géant par son éloquence quand il parlait en public», raconte le dominicain Frei Betto, l’un des principaux théologiens de la libération qui a travaillé avec Dom Helder quand ce dernier était l’évêque responsable de l’Action catholique au Brésil. «Il avait toujours des idées claires et précises, articulant l’ardeur de sa foi avec son cri pour la justice. Ses projets audacieux, jaillis de sa vive intelligence, ont modifié le visage de l’Eglise. Grâce à lui, une partie significative de l’Eglise catholique est revenue à ses origines évangéliques dans un engagement concret pour la justice envers les marginaux et les exclus «.

Pour le théologien belge Joseph Comblin, un des principaux collaborateurs de Dom Helder Camara à Recife, il peut être comparé à saint Paul. Sa parole, ses gestes et sa personne enthousiasmaient tous les auditoires, catholiques ou non. C’est pour cela qu’il est devenu aussi «l’apôtre des païens».

Le pacte des catacombes

Selon l’historien et théologien Oscar Beozzo, membre de Commission des études sur l’histoire de l’Eglise en Amérique latine (CEHILA), Dom Helder fut le Brésilien qui a le plus influencé le Concile Vatican II, alors que paradoxalement, il n’est jamais intervenu publiquement dans la basilique Saint-Pierre. Il eut pourtant une influence active sur de nombreux évêques. Vêtu d’une simple soutane beige, avec une apparence fragile, mais une voix forte, il fit de «Domus Mariae», la résidence des évêques brésiliens à Rome, un des lieux les plus importants d’articulation entre une cinquantaines d’évêques et de théologiens qui partageaient sa vision pastorale. Les participants de ce groupe appelé «l’Eglise en faveur des pauvres» se réunissaient régulièrement entre les sessions conciliaires. A la fin du Concile, ils signèrent le «pacte des catacombes», qui demandait, entre autres, une fois rentrés dans leurs diocèses, de vivre pauvrement. Rentré à Recife, Dom Helder donna des terres appartenant à l’archidiocèse à des paysans victimes de l’arrogance de grands propriétaires terriens. Il refusa désormais de porter un anneau en or. Il sortit de son palais épiscopal pour aller habiter dans la sacristie d’une petite église. Il marchait à pied ou prenait le bus à travers sa ville, comme la majorité de ses diocésains.

C’est aussi grâce à son témoignage de dépouillement personnel qu’il a réussi à galvaniser le continent latino-américain, affirme encore le cardinal Aloisio Lorscheider. L’archevêque d’Aparecida témoigne: «Partout où il passait, il est devenait le porte-voix de la cause des pauvres, ici au Brésil, mais aussi dans le monde entier à cause des très nombreux voyages effectués dans d’autres pays. On pourrait dire qu’il était le ’microphone des pauvres’. De plus, il est un homme d’espérance. Jamais triste ou accablé, de tempérament jovial, il est l’une des figures les plus expressives de l’Eglise universelle».

«L’évêque rouge»

Dom Helder, durant la dictature militaire, instaurée lors du coup d’Etat de 1964, fut déclaré «l’évêque rouge» et qualifié «d’ennemi No 1» du régime. Car il osa dans ses voyages à l’extérieur dénoncer la torture pratiquées dans les prisons militaires. Dans une conférence à Paris en 1970, il déclara qu’il avait reçu souvent des menaces de mort et qu’il pourrait bien mourir de la même façon que le pasteur américain Martin Luther King. Il paya cher son audace. N’osant pas, à cause de sa réputation internationale, s’en prendre à l’intégrité physique de l’archevêque de Recife, les militaires se vengèrent en tuant et en torturant des prêtres et à des laïcs. Tous les journaux, les radios et les télévisions du Brésil reçurent l’ordre de ne jamais donner la parole à Dom Helder. Ceci jusqu’en 1977. Une campagne de diffamation est alors orchestrée dans la presse brésilienne. Il fut ainsi obligé de trouver d’autres formes pour dénoncer les prisons, la torture et les atrocités subies par les prisonniers politiques. «Je peux simplement espérer que le scandale de mes dénonciations dans la presse mondiale et l’intervention de l’Eglise puisse sauver quelques vies chez nous», répondait en privé Dom Helder quand le régime l’accusait de salir l’image du Brésil à l’étranger.

Le quotidien catholique français «La Croix» écrivait déjà , à l’occasion de ses 80 ans: «Quand la voix des sans-voix, l’avocat du tiers monde, prend la parole, l’ardeur de l’Evangile éclaire son visage et met en mouvement le moulinet de ses mains et son bras jeté en avant. L’index tendu prend le ciel à témoin. Est-ce un homme égaré dans notre monde injuste qui parle? Plutôt un homme juste dans un monde égaré». (apic/plp/ab/ba/pr)

29 août 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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