Abus sexuels: tous les pays n’avancent pas au même rythme
Lancée en France en 2018, la commission sur les abus sexuels dans l’Église a été précédée par d’autres initiatives, depuis les années 1990, à travers le monde. Etats-Unis, Irlande, Australie, Allemagne entres autres ont délivrés des rapports plus ou moins étendus.
Maurice Page
Les rapports les plus complets, en Irlande et en Australie, ont été à produits à l’initiative des gouvernements et se sont intéressés à de nombreuses institutions, dont l’Église, rappelle le quotidien La Croix. .
Pour la Ciase, le ›rapport John Jay’ publié en 2002 aux États Unisest un modèle d’indépendance et de pluridisciplinarité. Il s’est intéressé également aux aspects psychologiques et sociologiques. Ses résultats ont été concrets. Plus de 250 prêtres ont été condamnés à la suite de ses révélations.
La Conférence des évêques d’Allemagne a présenté le 25 septembre 2018 une étude sur les cas d’abus dans l’Eglise catholique au cours des dernières décennies. Ce rapport documente 3’677 cas d’enfants et d’adolescents victimes d’abus sexuels entre 1946 et 2014 pour 1’670 prêtres coupables.
Le rapport de 350 pages est le résultat d’une vaste enquête interdisciplinaire lancée en 2013. Des 38’156 dossiers évalués dans les 27 diocèses allemands, il ressort que 1’670 membres du clergé (4,4%) ont fait l’objet d’allégations d’abus sur des mineurs. 3’677 enfants et adolescents victimes d’abus sexuels entre 1946 et 2014 ont été recensés.
La Suisse et la Belgique ont pris assez tôt des mesures pour l’accueil et le soutien aux victimes, mais elles ne disposent pas pour l’heure d’enquête historique complète quant à l’ampleur du phénomène sur une longue période.
Dans plusieurs pays, les abus restent considérés comme marginaux
Si le phénomène n’est plus guère contesté en Occident, ailleurs dans le monde, cette reconnaissance n’est pas aussi avancée. De l’Italie à la République démocratique du Congo, les faits médiatisés restent souvent considérés comme marginaux. Selon le prêtre et psychothérapeute Stéphane Joulain, le sujet demeure tabou dans certains pays. Les victimes sont peu écoutées par une institution qui reste très puissante, explique-t-il dans La Croix.
Un an après le sommet des évêques au Vatican sur la protection des mineurs, en 2019, le Père Hans Zollner,directeur du Centre pour la protection de l’enfance de l’Université pontificale grégorienne, constatait en 2020 un «changement général assez visible» dans les efforts des conférences épiscopales pour s’assurer de la bonne mise en œuvre du message du pape François.
Impressionnés par les échanges avec des victimes d’abus, nombre de responsables ecclésiaux ont pris conscience de l’interpellation, notait le jésuite allemand. Les conférences épiscopales ont développé des efforts non seulement pour revoir leurs lignes directrices mais aussi pour s’assurer de la bonne mise en œuvre du message du pape: «écouter les victimes, rendre justice et s’engager dans la prévention des abus».
Les progrès sont lents
Malgré quelques progrès récents, on pense entres autres à la Pologne, l’évolution reste assez lente. On peut rappeler au passage qu’en France, après la condamnation judiciaire de Mgr Pican en 2001, pour non-dénonciation d’abus sexuels, il a fallu attendre le milieu des années 2010 pour que la prise de conscience se généralise dans l’épiscopat et 2018 pour qu’un enquête nationale soit lancée.
En Italie, malgré un certain nombre de scandales et de condamnations, il n’y a pas de mobilisation générale pour dénoncer les abus sexuels. Les cas restent souvent dissimulés et conclus par des arrangements extra-judiciaires. Il n’y a pas de volonté de les porter devant la justice.
En Afrique aussi, les lignes ont du mal à bouger. Dans de nombreux pays, comme en République démocratique du Congo, les actes d’abus sexuels sur mineurs restent considérés comme des cas isolés et non comme un problème systémique.
Dans nombre de pays, l’Église catholique reste très puissante. Elle occupe une place fondamentale non seulement dans l’existence des croyants, mais aussi dans la vie politique sociale et économique. A travers ses nombreuses institutions caritatives, éducatives ou sanitaires elle pallie les carences des Etats. On ne veut pas salir l’institution qui constitue l’instrument du salut de chacun, commente Le Père Joulain.
L’abus sexuel est ainsi une source d’une grande honte pour les victimes et leur famille. Révéler avoir été abusé peut entraîner une forme de mort sociale. Les victimes sont donc incitées à ne pas parler, ou même blâmées dans certains cas.
Un changement est en marche mais il dépend aussi des moyens mis en oeuvre pour affronter le problème. Les Eglises africaines ne peuvent pas faire autant que les conférences épiscopales occidentales. Elles ne disposent ni des ressources financières ni humaines et ont d’autres priorités, liées à la précarité ou à l’insécurité dans lesquelles vivent de nombreuses populations. (cath.ch/cx/arch/mp)
L'Église de France ébranlée par le rapport Sauvé
Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé, a été publié le 5 octobre 2021, après un peu moins de trois ans d’enquête. Les chiffres font état de 3'000 prêtres ou religieux abuseurs qui auraient fait plus de 300'000 victimes en 70 ans. Les évêques disent «leur honte» et leur détermination à mettre en œuvre les orientations et les décisions nécessaires «afin qu’un tel scandale ne puisse se reproduire».