Abus sexuels sur mineurs: ce que dit le droit actuel de l’Eglise
En 2020, le Vatican a publié un vademecum pour le traitement des abus sur mineurs. Révisé et complété en 2022, ce guide doit permettre de se repérer dans la «forêt dense des normes et des pratiques». cath.ch en propose un rapide survol.
Si la lecture du rapport sur l’histoire des abus sexuels en Suisse, présenté le 12 septembre 2023, fait état d’évêques négligents, ignorants ou démunis quant au traitement des cas d’abus sexuels commis par des prêtres, depuis quelques années le droit de l’Eglise a fortement évolué dans le domaine.
Le dicastère pour la doctrine de la foi (DDF) a ainsi publié le 16 juillet 2020 un vademecum ayant pour objectif «d’accompagner et guider pas à pas quiconque doit chercher la vérité» face à un cas d’abus. Ce document a fait l’objet d’une mise à jour en juin 2022 en fonction de l’évolution du droit pénal et des questions des praticiens.
Non normatif, le texte est conçu comme un manuel à la disposition des évêques, des supérieurs religieux, des tribunaux ecclésiastiques, des juristes et des responsables des centres d’écoute mis en place par les conférences épiscopales.
Long de 17 pages et de 164 articles, ce manuel s’appuie sur les textes principaux publiés ces dernières années par les papes: le Motu proprio Sacramentorum Sanctitatis Tutela (2001), le Motu proprio Vos estis lux mundi (2019) ainsi que le nouveau livre VI du code de droit canon (2021). Le vademecum est un instrument très utile pour s’introduire dans ce domaine complexe du droit.
La nouveauté du vademecum est que pour la première fois, la procédure est décrite de manière organisée, depuis la première information sur un éventuel délit jusqu’à la conclusion définitive de la cause, en unissant les normes existantes et la pratique du dicastère.
Qu’est-ce qu’un abus sur mineur?
Le texte précise d’abord la question de l’abus sexuels sur mineur commis par des clercs. Un tel délit inclut «les relations sexuelles consenties et non consenties, le contact physique avec arrière-pensée sexuelle, l’exhibitionnisme, la masturbation, la production de pornographie, l’incitation à la prostitution, les conversations et/ou avances à caractère sexuel, même sur les réseaux sociaux» (2) Si l’âge d’une personne mineure a pu varier dans le temps, le droit de l’Eglise considère depuis 2001 comme mineure toute personne n’ayant pas atteint l’âge de 18 ans. (3)
Les cas de dénonciations anonymes
Le vademecum évoque les cas de dénonciations anonymes concernant ces délits. Ce type de plainte «ne doit pas systématiquement faire considérer cette notification comme fausse», et ce bien qu’il convienne d’être prudent lors de l’examen de ce type de plainte, Il s’agit de procéder «à leur évaluation initiale pour voir s’il existe des éléments déterminants, objectifs et évidents», (11) Si la notification s’avère dénuée de vraisemblance, le responsable peut ne lui donner aucune suite, en veillant cependant à conserver la documentation accompagnée d’une note expliquant les raisons de cette décision.(16)
Enquête préliminaire
La charge de l’enquête préliminaire incombe à l’ordinaire (évêque ou supérieur religieux). Toute omission de cette obligation peut être une infraction punissable en vertu du droit canon (21). L’enquête préliminaire n’est pas un procès. Elle sert à la collecte des données utiles pour établir le fondement suffisant en droit et en fait pour considérer que l’accusation est vraisemblable (33).
Le vademecum indique aussi les mesures conservatoires qui peuvent être imposées à un clerc. Il ne s’agit pas de sanctions, mais d’actes administratifs imposables dès le début d’une enquête préliminaire, afin de protéger la bonne réputation des personnes concernées et l’intérêt public. (61) Le document rappelle aussi que procéder simplement au transfert d’un prêtre dans un autre office, une autre circonscription, ou une autre maison religieuse ne peut constituer une solution satisfaisante.
Dénonciation à la justice civile
Le document se penche en outre sur le rapport entre la justice ecclésiastique et les autorités civiles. A ce titre, il précise que «même en l’absence d’obligation juridique explicite, l’autorité ecclésiastique déposera une plainte auprès des autorités civiles compétentes chaque fois qu’elle l’estimera indispensable pour protéger tant la victime présumée que d’autres mineurs, du danger de nouveaux actes délictueux» (17).
La justice, nécessaire mais pas suffisante
S’agissant d’un procès pénal d’un prêtre accusé d’abus, l’intervention de la personne qui porte dénonciation (la victime NDLR) n’est pas obligatoire durant le procès, précise le vademecum. Selon le document, cette personne a, de fait, exercé son droit en contribuant à la formation de l’accusation et à la collecte des preuves. A partir de ce moment, l’accusation est portée par l’ordinaire ou son délégué (114). Après un long développement sur la tenue d’un procès pénal canonique contre un prêtre accusé d’abus, et le droit de recours, le vademecum relève que le décret pénal qui clos le procès en question reste un acte personnel de l’ordinaire ou de son délégué (123).
Comprenant bien que tous ne possèdent pas une connaissance articulée du droit canonique et de son langage formel, le vademecum demande, dans le décret pénal, de mettre en évidence le raisonnement suivi, plutôt que de chercher à soigner dans le détail la précision terminologique. On aura recours, éventuellement, à l’aide de personnes compétentes, précise le no 126.
Un prêtre peut demander de quitter le sacerdoce
Le document du dicastère pour la Doctrine de la foi relève enfin que lorsqu’il est accusé d’avoir commis des abus et qu’il reconnaît ces faits, le prêtre a le droit de demander à être dispensé de toutes les obligations connexes de l’état clérical, y compris le célibat, et, selon le cas, des vœux religieux, en adressant une demande au pape (157).
Le Vatican forme le souhait que le vademecum puisse aider les toutes les instances ecclésiales à mieux comprendre et respecter les exigences de la justice concernant les délit d’abus sexuels «qui représentent pour toute l’Eglise une blessure profonde et douloureuse demandant à être soignée». (cath.ch/imedia/mp)
Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.