Abus sexuels dans l'Eglise romande: la CECAR accompagne une dizaine de victimes
Depuis quelques semaines, une dizaine de dossiers ont été déposés auprès de la CECAR. Le vice-président de cette commission d’accompagnement, Pascal Corminboeuf, souligne le «travail remarquable» de Mgr Morerod dans l’instauration de cette instance indépendante. Mais il dénonce la difficulté de certains membres de l’Eglise à entrer dans un authentique travail de vérité.
«Nous recevons des dossiers tous les jours», explique Sylvie Perrinjaquet, ancienne conseillère nationale neuchâteloise et présidente de la CECAR. La commission assure le traitement des demandes relatives à des faits prescrits d’abus sexuels sur mineurs commis par des membres de l’Eglise. «L’affaire Pittet» pourrait bien encourager d’autres victimes à pousser la porte de la Commission Ecoute-Conciliation-Arbitrage-Réparation, constituée en juin 2016. Elle leur permet d’obtenir une reconnaissance puis d’envisager une réparation. Un point de départ important pour la prise de conscience de ces cas, parfois très anciens, qui ont marqué ces personnes à vie.
«Les comités rencontrent des personnes dans des EMS qui ont gardé leur secret pendant 50 ou 60 ans».
Depuis sa constitution, trois comités ont été mis en place. Constitués de juristes, de médecins, de médiateurs ou de sexologues, ils sont «un endroit où les victimes peuvent enfin se confier», explique Pascal Corminboeuf. Ces comités ont également pour but de vérifier la véracité des faits, étant entendu que la victime ne doit pas en apporter la preuve, mais en défendre la vraisemblance. Elle a surtout l’occasion de parler de sa situation actuelle. Le cas échéant, l’abuseur est également confronté à ces faits. Le comité et la victime peuvent également envisager une indemnisation financière: 500’000 francs ont été mis à disposition de la CECAR par la Conférence des évêques suisses (CES).
La procédure de traitement des requêtes est sur pied depuis quelques semaines. Une dizaine de dossiers ont été analysés par le comité. «Tous recevables», selon Pascal Corminboeuf. La commission s’apprête à diffuser une campagne de communication ciblée. Des flyers seront transmis dans les cabinets médicaux, auprès des pédopsychiatres et dans les paroisses de Suisse romande.
Le combat de Mgr Morerod
Sylvie Perrinjaquet insiste sur l’indépendance de cette commission, qui permet «au monde des victimes et à celui de l’Eglise de s’apprivoiser». Pour autant, «toutes ne souhaitent pas être confrontées à l’Eglise. Daniel Pittet témoigne de son lien à l’institution, mais ce n’est pas représentatif. Certaines ‘vomissent’ l’Eglise». D’où, selon Pascal Corminboeuf, «l’insuffisance des commissions diocésaines. Elles sont inutiles pour les victimes qui ne veulent plus entendre parler de l’Eglise».
L’ancien conseiller d’Etat fribourgeois souligne le «travail remarquable» de Mgr Morerod dans l’instauration de cette commission. L’évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) a pris part à la réflexion initiale. «Il a dû se battre à l’intérieur de la CES et dans les diocèses suisses pour défendre cette commission que certains ne jugeaient pas nécessaire».
La confrontation avec la vérité est nécessaire dans l’Eglise en Suisse romande. Elle doit s’accompagner d’un changement de mentalité: «Chacun veut se défendre. ‘Ce n’est pas nous’, dit-on. Voyez ce courrier des lecteurs dans La Liberté d’aujourd’hui: les capucins de Fribourg écrivent déplorer ‘l’impression donnée, comme si tous ces faits s’étaient déroulés durant quatre années derrière les murs de notre couvent’. C’est n’importe quoi!, tonne l’ancien conseiller d’Etat. L’Eglise ne ressortira grandie de cette histoire que si elle ne met pas de voile sur ce qui s’est passé».
«Avant, c’était bestial»
La prise de conscience passe par le témoignage des victimes. «Nous cherchons à mettre les personnes en confiance pour qu’elles puissent déposer leur fardeau. Les comités rencontrent des personnes dans des EMS qui ont gardé leur secret pendant 50 ou 60 ans. Il faut qu’elles se sentent accueillies et soutenues. Les qualités humaines des personnes qui reçoivent leurs témoignages sont essentielles. Il en a manqué, regrette Pascal Corminboeuf, avant de se taire quelques secondes. Avant, c’était bestial. Quand on était gamin, le seul péché, c’était le péché de chair. Il vous ouvrait les portes de l’enfer. Alors imaginez dans quel état pouvait être un gamin qu’on réveillait à 5 heures du matin pour se rendre dans la chambre du prêtre – le même prêtre qui, une heure plus tard, disait sa messe tranquillement».
Reste la «grande question» de la prévention. Que fait-on aujourd’hui pour éviter que ces actes ne se reproduisent? «Beaucoup d’outils sont mis en place, dès les premières années de formation des candidats au sacerdoce. Ils sont suivis psychologiquement. Les prêtres ne jouissent plus du statut social qu’ils partageaient à l’époque avec le syndic et l’instituteur». Cela suffira-t-il à enrayer le phénomène? Sans ambages, pour Pascal Corminboeuf, «à l’avenir, il y aura moins d’abus parce qu’il y aura moins de prêtres. Des prêtres de plus en plus surchargés par des tâches administratives.» (cath.ch/pp)
Voir aussi: le site de la CECAR