Abus sexuels: l'Église promet des mesures
La création d’une instance nationale d’accueil et d’écoute des victimes d’abus sexuels dans l’Église est la principale mesure promise par Mgr Joseph Bonnemain en réponse à la présentation de l’étude pilote, le 12 septembre 2023 à Zurich.
Ambiance pesante le 12 septembre dans l’aula de l’université de Zurich où toute la presse s’était déplacée pour entendre la présentation du rapport préliminaire sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise en Suisse. Etablie sous l’égide des historiennes Marietta Meier et Monika Dommann cette étude a dénombré 1002 cas d’abus entre les années 1950 et 2022.
«Nous ne devons pas seulement nous excuser pour les abus sexuels commis dans le cadre ecclésial, mais aussi réparer et prévenir et surtout ne plus jamais minimiser ou dissimuler», a souligné Mgr Joseph Bonnemain. Le responsable pour la question des abus au sein de la Conférence des évêques suisses (CES) a promis une série de mesures concrètes. La première est la mise en place d’une instance nationale d’annonce et d’accueil pour les victimes d’abus dont les contours restent cependant encore à dessiner. Jusqu’à présent en effet, les diocèses, monastères, congrégations et associations de victimes agissaient de manière dispersée.
La deuxième promesse de Mgr Bonnemain concerne une attention accrue est systématique sur le profil psychologique des toutes les personnes actives en Église. Il s’agit d’uniformiser les procédures en créant des standards nationaux dans le domaine. Dans ce sens, une professionnalisation du travail des ressources humaines est nécessaire pour garantir le respect des personnes. Ceci dans de toutes les instances de l’Église.
L’étude a démontré également que la gestion des archives joue un rôle essentiel dans le traitement des abus sexuels. Mgr Bonnemain recommande de ne plus détruire aucun document, y compris en s’affranchissant du droit canon qui le prévoit (art.489). Enfin, de manière plus générale, il importe que l’Église revoit son approche de la sexualité en s’écartant d’une fausse interprétation de la doctrine.
Mgr Joseph Bonnemain a également promis qu’il demanderait au pape l’ouverture des archives du Vatican.
Les générations futures ont le droit de vivre dans une Église libre de toute violence. L’étude actuelle n’est que le début d’un long processus, conclut l’évêque de Coire.
Un millier de cas et autant de victimes
«J’ai de la peine à retenir mon émotion. Aujourd’hui comme beaucoup de victimes j’ai envie de pleurer», a relevé Vreni Peterer. La représentante de l’association alémanique des victimes IG Miku a rappelé que derrière le millier de cas signalés, il y a autant de personnes qui ont souffert et qui souffrent encore des abus et des manquements des responsables. Leur souffrance s’étend aussi à leurs familles et leurs proches. Pour elle, la prochaine étape consiste à thématiser la question de l’abus spirituel qui, dans presque tous les cas, a précédé ou accompagné l’abus sexuels.
Un appel à témoignages
Jacques Nuoffer, président du groupe SAPEC en Suisse romande, a lui aussi salué cette étape qui en appelle d’autres. Il souhaite en priorité un appel à témoignages spécifique envers toutes les personnes qui ont vécu dans les institutions d’Église, foyers, écoles, pensionnats ou qui ont été membres des groupements de jeunesse.
A l’instar de la CIASE en France, il suggère de développer des études interdisciplinaires intégrant la sociologie, la psychologie, le droit et la théologie. Il s’agit entre autre de mesurer la prévalence des abus, puisque les chercheurs s’accordent pour dire que les cas connus ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. Le représentant romand a demandé aussi de rétablir un équilibre avec la partie latine de la Suisse, pour l’heure un peu laissée à l’écart. «Nos associations continueront leur travail de vigilance et d’alerte.»
Un nouveau contrat
Le séminaire d’histoire de l’Université de Zurich a annoncé la prolongation pour trois ans de son mandat. A partir de 2024, il s’agira d’approfondir les éléments soulevés dans l’étude préliminaire. Par exemple, la question des abus dans les communautés nouvelles, leur prévalence dans les missions linguistiques, la spécificité catholiques des abus, ou la co-responsabilité de l’État. Les historiens ont répété également leur désir d’avoir accès aux archives du Vatican.
Dédommagements aux victimes
Interrogée par cath.ch sur la possibilité de poursuites civiles en dommages et intérêts des victimes d’abus sexuels contre les paroisses ou les Églises cantonales en tant qu’employeurs de prêtres abuseurs, Renata Asal-Steger a indiqué que la question restait à étudier. La présidente de la Conférence centrale catholique romaine (RKZ) a néanmoins assuré que les corporations ecclésiastiques s’engageraient pour rendre justice aux victimes. (cath.ch/mp)
Trois questions à Mgr Felix Gmür, président de la CES
Mgr Bonnemain a annoncé la création d’une instance nationale d’accueil et de suivi des abus sexuels. Comment les évêques suisses envisagent-ils la chose?
Nous en avons déjà discuté à l’interne. Je milite pour une justice indépendante et professionnelle au plan suisse ou au niveau des régions linguistiques. Les diocèses et les évêques n’ont pas les ressources suffisantes pour s’occuper eux-mêmes de ces cas.
D’un point de vue canonique, comment les évêques peuvent-ils agir?
Je pense aussi à un tribunal ecclésiastique national, peut-être sur le modèle français, pour traiter de ces cas avec des capacités d’enquête et de jugement. J’en parlerai au pape François. Nous devons aussi nous faire conseiller par des spécialistes qui pourront nous dire quelles procédures sont plus adéquates.
L’étude de l’Université de Zurich cite nommément Mgr Kurt Koch qui, comme évêque de Bâle, n’aurait pas respecté les normes de la CES. Le diocèse de Bâle entend-il réagir?
Non, c’est à Mgr Koch de répondre lui-même. Je peux néanmoins vous indiquer que le prêtre dont il question dans cette affaire est depuis décédé. MP
Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.