Beaucoup se demandent si l'Eglise traite avec sérieux le dossier des abus sexuels (Photo:Pixabay.com)
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Abus sexuels: L'Eglise en France accusée d'inertie

De nombreuses voix pressent l’Eglise catholique en France d’entreprendre, à l’instar d’autres Eglises nationales, une vaste «opération vérité» sur les abus sexuels. Des observateurs dénoncent un manque de volonté de l’épiscopat de progresser décisivement dans ce domaine.

Que la presse française s’en prenne à l’Eglise n’est pas une surprise. Mais il est plus étonnant que de nombreuses critiques, parfois virulentes, soient venues, ces dernières semaines, des milieux catholiques eux-mêmes. Le quotidien La Croix titrait ainsi, le 13 septembre 2018: «Abus sexuels, état d’urgence dans l’Eglise». Le même journal publiait, le 19 septembre, un dossier complet à charge contre le cléricalisme. Même des médias catholiques considérés comme conservateurs ont fourbi les armes. Antoine-Marie Izoard, directeur de l’hebdomadaire Famille chrétienne, a ainsi lancé à la télévision: «Il faut maintenant faire le ménage. Je dis aux évêques: prenez vos responsabilités. Celui qui a couvert un jour un cas, c’est fini, il démissionne».

Lausanne, Genève et Fribourg en modèle?

La chaîne de télévision catholique KTO a consacré son émission du 21 septembre 2018 aux abus sexuels. Le média avait déplacé pour l’occasion son plateau à l’évêché de Fribourg, en Suisse. La délocalisation était justifiée par «l’expérience» du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg et de son évêque Mgr Charles Morerod en matière de lutte contre les abus sexuels. L’émission a mis en avant les diverses mesures mises en place en Suisse romande, telles que l’établissement de commissions spéciales, de programmes de prévention au niveau des séminaires ou encore de procédures d’indemnisation des victimes.

Enquêter au-delà de l’Eglise

Un appel du pied à l’Eglise en France à s’inspirer de ce genre de modèle? Le quotidien Le Monde a en tout cas placé, dans son édition du 26 septembre 2018, l’Eglise du pays dans un contexte comparatif avec des institutions étrangères confrontées à la même problématique. Se demandant pourquoi l’Eglise française «ne réagit pas» face à la pédophilie, le journal expose les mesures prises dans d’autres pays tels que l’Allemagne, l’Irlande ou l’Australie, notamment les enquêtes à grande échelle, pour stigmatiser «l’inaction française». Un appel relayé dans le quotidien par Mgr Eric de Moulins-Beaufort, nouvel archevêque de Reims, qui «aspire à ce qu’un jour nous puissions faire un vrai rapport complet, en se faisant aider par des personnes extérieures».

Si Le Monde se demande à quel point l’Eglise est «prête à un tel examen», il constate néanmoins que «la prise de conscience de l’importance du fléau progresse dans ses rangs [de l’Eglise, ndlr]». Pour le quotidien, l’Etat a aussi ses responsabilités à prendre dans la mise en place d’une telle démarche. En Australie et en Pennsylvanie, ce sont en effet des instances étatiques qui ont diligenté ces actions. Le journal cite ainsi François Devaux, président de l’association de victimes «La Parole libérée», selon lequel «cet état des lieux doit être fait non seulement dans l’Eglise, mais aussi dans l’ensemble de la société».

«Inceste anthropologique»?

Le Monde consacre également sa rubrique «Débats et analyses» aux abus sexuels dans le clergé. Plusieurs spécialistes de la question s’expriment de façon plutôt critique envers l’Eglise en France, et dans le monde. Le sociologue des religions Olivier Bobineau qualifie l’abus d’un enfant par un prêtre «d’inceste au sens anthropologique», appelant à passer d’une religion de «pères» à une religion de «frères».

Stéphane Joulain, prêtre et psychothérapeute, estime que «le risque est fort que la parole des victimes soit de nouveau renvoyée au néant». Il s’insurge que des responsables catholiques affirment que l’Eglise fait sont maximum «en dépit d’événements indiquant le contraire».

La théologienne Véronique Margron appelle à ce que toute la vérité soit faite sur «cet océan de noirceur», tout en martelant que «oui, l’Eglise est lourdement coupable». L’écrivaine catholique Anne Soupa se demande enfin si l’on a «vidé le panier des horreurs?».

Haro sur le cléricalisme

La plupart de ces observateurs pointent du doigt le cléricalisme et une approche insatisfaisante de la sexualité dans l’Eglise. «On aurait tant aimé qu’elle [l’Eglise] se déclare plutôt ‘servante’ de l’humanité ‘qu’experte’», écrit Véronique Margron. «Le cléricalisme dénoncé par le pape François dès le début de son pontificat est une des causes majeures de la crise actuelle», affirme Stéphane Joulain.

Les spécialistes préconisent donc une approche plus humble et plus compatissante de l’institution. Olivier Bobineau propose notamment la création d’un «ministère des victimes», en mesure de réaliser un accompagnement. Il appelle aussi à une formation des futurs prêtres à l’approche du corps et de la sexualité.

Anne Soupa s’en remet à des mesures plus radicales, telles que l’ouverture de la prêtrise aux femmes et la fin du célibat obligatoire.

Les intervenants restent toutefois perplexes face à la volonté de l’Eglise en France d’aller dans cette direction. Anne Soupa note que le récent message des évêques, en réaction à celui du pape François, évite le mot «cléricalisme» et passe sous silence le statut du prêtre. (cath.ch/ag/rz)

Beaucoup se demandent si l'Eglise traite avec sérieux le dossier des abus sexuels
27 septembre 2018 | 10:01
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
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