Abus sexuels: La CECAR interrompt ses travaux
En attendant «un changement de directives de la Conférence des évêques suisses, nous nous devons d’interrompre nos travaux», affirme la Commission Ecoute-Conciliation-Arbitrage-Réparation (CECAR) dans son premier rapport annuel, publié le 12 avril 2018. Le problème porte sur le contrôle de plausibilité exercé par la Commission d’indemnisation de la Conférence des évêques suisses (CES).
Le processus actuel qui permet à la CECAR – entité indépendante de l’Eglise, en fonction depuis le 1er janvier 2017 – d’indemniser les victimes d’abus sexuels dans le cadre ecclésial est en cause. Après avoir auditionné la victime d’abus prescrits, elle constitue un dossier transmis à la Commission d’indemnisation de la CES. Cette dernière exerce un «contrôle de plausibilité» avant de puiser dans le fonds d’indemnisation constitué par l’Eglise – doté à ce jour d’un million de francs.
Pour la présidente de la CECAR, Sylvie Perrinjaquet, ce contrôle empêche une véritable indépendance. La Commission d’indemnisation des évêques suisses a parfois «demandé des compléments d’information pas toujours judicieux», explique la CECAR dans son rapport annuel.
«Vous envoyez un dossier qui stipule que la victime a été abusée sur une période de 7 ou 8 ans dans une paroisse. On vous demande en retour quand est-ce que l’abus a eu lieu exactement. Ou combien de fois.» L’ancienne conseillère nationale neuchâteloise déplore cette «hiérarchisation du préjudice». «Quand vous écoutez la souffrance des victimes et mesurez l’impact de l’abus, comment osez-vous encore établir des degrés de préjudices?» Elle souligne le soin avec lesquels les 22 demandes d’indemnisation ont été établies en 2017. Et ne comprend pas pourquoi la commission «pinaille» sur des détails.
Egalité de traitement
«Sur l’ensemble des demandes transmises par la CECAR, seul un ou deux cas ont nécessité des précisions», assure Liliane Gross, avocate et présidente de la Commission d’indemnisation de la Conférence des évêques. En l’occurrence, «spécifier quel a été le type d’abus» en vue de déterminer l’indemnisation. Les directives qui encadrent la travail de la Commission d’indemnisation distinguent en effet deux types d’indemnisation. Un maximum de 10’000 francs est versé aux victimes atteintes dans leur intégrité sexuelle. Et 20’000 francs, dans «les cas particulièrement graves».
Elle défend l’utilité de ce contrôle comme le moyen permettant d’assurer «une égalité de traitement». Les demandes venant de la CECAR constituent le tiers des requêtes d’indemnisation transmises en 2017. La majorité proviennent des commissions d’experts diocésains, internes à l’Eglise. «Nous voulons que toutes les victimes, qu’elles viennent des Grisons ou du canton de Vaud, via la CECAR ou via un diocèse, soient traitées de la même manière. Lorsqu’une demande d’indemnisation provient de la CECAR, nous nous limitons à exercer un contrôle de plausibilité».
Le rôle de la Commission d’indemnisation «n’est pas de ré-auditionner les victimes, explique Giorgio Prestele, président de la Commission d’experts ‘Abus sexuels dans le contexte ecclésial’ de la CES. Mais de simplement vérifier qu’il y ait un minimum de plausibilité: qu’un abus a bien été commis et dans le cadre ecclésial». Le juriste zurichois regrette l’attitude de la CECAR. Il y voit un «chantage» qui «dessert les victimes».
La situation appelle des clarifications. Pour Sylvie Perrinjaquet, la requête est précise: «il faut que la Commission d’indemnisation se contente d’exécuter les demandes d’indemnisation que nous leur transmettons et cesse d’exercer ce contrôle de plausibilité». D’autant que, selon le règlement de la Commission indépendante, ce rôle est accompli à l’interne, par le Conseil de la CECAR. «Seule la Conférence des évêques suisses peut changer la situation», assure-t-elle. (cath.ch/com/pp)
22 dossiers reçus en 2017
Durant sa première année de fonctionnement, la CECAR a reçu 22 personnes. Un seul cas ne relevait pas de ses compétences car l’abus n’a pas été commis dans le cadre ecclésial. 50 heures d’entretien ont été nécessaires pour auditionner les 9 femmes et 12 hommes qui ont déposé une requête. 5 dossiers ont obtenu une indemnisation pour un total de 85’000 francs. 17 sont encore en cours de traitement.
Voir aussi: Lorsque le berger est un loup. Les abus sexuels dans l’Eglise en Suisse [dossier]