Abus sexuels au Chili: retour sur 'l'affaire Karadima'

Du 15 au 17 mai 2018, le pape François se réunira à huis clos avec les évêques chiliens. But de la rencontre : combattre sans relâche les abus sexuels, mais aussi comprendre les «mécanismes» et responsabilités du scandale qui secoue actuellement l’Eglise chilienne. S’il ne constitue pas le seul dossier incriminé, le cas du Père Fernando Karadima et sa gestion sont au cœur du scandale actuel.

Années 1970-1980: Le Père Fernando Karadima est curé d’une paroisse d’un quartier huppé de Santiago. Une communauté gravite autour de ce prêtre très charismatique, et plusieurs jeunes hommes entrent au séminaire. Parmi eux, quatre sont désormais évêques : Mgr Juan Barros, Mgr Andrés Arteaga, Mgr Tomsilav Koljatic et Mgr Horacio Valenzuela. Dans les années 1980, une première dénonciation d’abus sexuels commis par le Père Karadima aurait été envoyée à l’archevêché de Santiago.

2003: José Murillo, un des jeunes de la paroisse, écrit une lettre de dénonciation contre le Père Karadima et la remet à un des vicaires épiscopaux de Santiago. Celui-ci a transmis ce témoignage au cardinal Francisco Javier Errázuriz qui ne l’a alors «malheureusement pas jugé crédible», selon ses propres mots.

2004 : La femme d’une seconde victime, James Hamilton, vient témoigner contre le Père Karadima. Le cardinal Errázuriz nomme un promoteur de justice pour enquêter sur ce cas, le Père Eliseo Escudero.

2005: Une seconde lettre de José Murillo est transmise à Mgr Ricardo Ezzati, alors auxiliaire de Santiago. La victime est reçue par le prélat, qui lui demande de témoigner devant le Père Escudero.

2006: Le Père Escudero entend les deux autres victimes, James Hamilton et Juan Carlos Cruz. Puis il remet son rapport au cardinal Errázuriz, en recommandant l’ouverture d’un procès canonique. En septembre, le cardinal retire au Père Karadima toute charge pastorale, mais sans faire allusion aux cas d’abus.

2009: Le cardinal Errázuriz nomme un second promoteur de justice et transmet le dossier au Saint-Siège.

2010: En avril, James Hamilton se rend compte qu’aucune sanction autre que le retrait de toute charge pastorale n’a encore été prise à l’encontre du Père Karadima. Avec José Murillo et Juan Carlos Cruz, il organise une conférence de presse aux Etats-Unis, rendant publique l’affaire.

2011: Le Père Karadima est définitivement condamné par le Saint-Siège à une vie de prière et de pénitence. Il sera définitivement renvoyé de l’état clérical en 2018.

En revanche, l’enquête ouverte en parallèle par la justice chilienne est classée : le juge reconnait la réalité des faits mais ceux-ci sont prescrits

2013: Les victimes de Karadima intentent une action civile contre le diocèse de Santiago, demandant 450 millions de pesos de dommages et intérêts. Quatre ans plus tard, elles sont déboutées, le juge estimant qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments prouvant la volonté de les faire taire, ni la dissimulation de la part de l’archevêché.

2014: Le cardinal Ezzati, désormais archevêque de Santiago, demande à son prédécesseur le cardinal Errázuriz d’empêcher la nomination de Juan Carlos Cruz comme membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs (CPPM). Cela serait «trop grave pour l’Eglise au Chili» car cela signifierait «donner du crédit à une construction que M. Cruz a astucieusement mis en place (…) au-delà des éléments objectifs, douloureux et honteux (…) qui répondent à la véracité des faits». «Nous savons quelles sont les intentions de M. Cruz vous concernant ainsi que l’Eglise de Santiago», estimait-t-il déjà en 2013. Ces échanges par courrier éléctronique ont été révélés en 2015 par le site d’information chilien El Mostrador.

2015: En janvier Mgr Juan Barros, alors évêque aux armées, est nommé évêque du diocèse d’Osorno. Cette nomination suscite une vive opposition au sein du diocèse. Mgr Barros est en effet accusé d’avoir été témoin dans sa jeunesse des abus du Père Karadima mais de les avoir tus. Après étude, la Congrégation pour les évêques considère fin mars qu’il n’y a pas d’obstacle à cette nomination.

Au début du mois de mars, Juan Cruz a remis une lettre au cardinal O’Malley, président de la CPPM, détaillant les accusations contre Mgr Barros et à remettre au pape François. Selon des membres de la CPPM, le courrier a ensuite été transmis au Souverain pontife.

Janvier 2018 : En voyage au Chili, l’évêque de Rome prend la défense de Mgr Barros et affirme n’avoir aucune «preuve» contre lui. Face au tollé, il revient quelques jours plus tard sur ces propos – demandant pardon pour leur dureté – et se dit le «cœur ouvert» à tout témoignage. «Couvrir un abus est un abus», affirme-t-il clairement. A son retour à Rome, le pape envoie Mgr Charles Scicluna – qui s’était déjà occupé du cas du fondateur des Légionnaires du Christ – au Chili pour écouter ces témoignages.

Avril 2018 : Dans un courrier aux évêques chiliens, le pape François dit sa douleur et sa honte après avoir lu le rapport de Mgr Scicluna. Tout en demandant pardon aux victimes, il souligne de «graves erreurs» commises par un manque d’information vraie et équilibrée. Il convoque les prélats chiliens à Rome, pour une réunion qui aura donc lieu du 15 au 17 mai.

A la fin du mois, le successeur de Pierre reçoit longuement les trois victimes du Père Karadima à la maison Sainte-Marthe pour «leur demander pardon, partager leur douleur et sa honte» et écouter leurs suggestions. Les trois hommes se déclarent émus par l’écoute du pape, mais demandent des actions concrètes. (cath.ch/imedia/mp)

Mgr Juan Barros Madrid, évêque d'Osorno, au sud du Chili, est fragilisé par l'affaire Karadima | © www.infobae.com
14 mai 2018 | 14:28
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
Abus sexuels (1289), Chili (171), Karadima (20)
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