Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle, est l'objet de plusieurs accusations d'infraction du droit canonique | © Maurice Page
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Abus: nouvelles accusations d’inaction contre Mgr Gmür

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L’hebdomadaire alémanique Sonntagsblick affirme le 17 septembre 2023 que Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle, n’aurait pas respecté les procédures canoniques dans un cas d’abus sexuel sur mineur lui ayant été rapporté. Il s’agit de la seconde accusation du même ordre en moins d’un mois.

Les affaires se succèdent depuis quelques semaines concernant les abus sexuels dans l’Eglise en Suisse. La dernière en date est une nouvelle fois révélée par la presse alémanique: le Sonntagsblick, dans son édition du 17 septembre, relate un cas touchant le diocèse de Bâle et concernant deux prêtres encore en activité.

Le magazine relate une accusation d’abus sexuels émanant du prêtre T. P. contre le prêtre F. S.. Les deux ecclésiastiques sont d’origine allemande. L’abus aurait été commis en 1982 à Bamberg, au centre-est de l’Allemagne, alors que T. P. avait 17 ans et F. S. 29. Ce dernier était déjà prêtre à ce moment-là, alors que le premier était un jeune fidèle en recherche d’accompagnement spirituel. Des actes sexuels se seraient ainsi déroulés dans le cadre d’une démarche de confession recherchée par T. P. auprès de F. S.. La réalité des actes sexuels est corroborée par une lettre entre les deux protagonistes, que le Sonntagsblick s’est procurée.

Simple devoir de pénitence pour le prêtre accusé

En 1992, F. S. est transféré de l’archidiocèse de Bamberg à celui de Bâle. En 2010, T. P., qui estime avoir été en situation de dépendance face à F. S. se résout à porter plainte auprès de la justice allemande. Mais le cas étant prescrit, les poursuites ne sont pas engagées.

T. P., qui entre temps est devenu également prêtre, formule une plainte à l’archevêché de Bamberg, qui le renvoie vers le diocèse de Bâle, où officie F. S.. Selon le Sonntagsblick, Mgr Felix Gmür, nommé alors depuis peu à la tête du diocèse de Bâle, «fait savoir qu’il ne lancera pas de procédure canonique, du fait de la prescription, et qu’il ne demandera pas non plus à Rome l’annulation du délai de prescription.» L’évêque envoie en 2011 une lettre au prêtre requérant, dans laquelle il décrit comme «irritant» le fait que T. P. «n’ait pas fait son signalement [d’abus, ndlr] avant ou pendant sa formation de prêtre».

T. P. s’adresse alors directement à Rome. Là aussi, rien ne se passe jusqu’en 2015. T. P. apprend à ce moment-là que «l’évêque de Bâle a attiré l’attention de la Congrégation [pour la doctrine de la foi-CDF, ndlr] sur le fait que l’accusé s’est repenti. La Congrégation a chargé l’évêque de lui imposer une démarche de pénitence appropriée pour témoigner de cette repentance.» F. S. est donc censé expier sa faute par le biais d’une confession. Une réaction inacceptable pour T. P.: «Le prêtre [F. S., ndlr] ne s’est pas excusé auprès de moi jusqu’à présent, je n’ai reçu aucune compensation de sa part», assure-t-il au Sonntagsblick. «L’évêque Felix Gmür savait qu’il avait une marge de manœuvre. Mais le coupable restait protégé», affirme également T. P..

«Manque de sensibilité»

Le journal note que depuis 2001 les évêques ont le devoir de signaler à Rome tout cas d’abus sexuel, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une personne mineure. «En 2011, Mgr Gmür n’a rien fait du tout. Aujourd’hui encore, il n’assume aucune responsabilité. F. S. est toujours prêtre dans le diocèse de Bâle», remarque T. P.. Interpellé, Mgr Gmür rejette les critiques de T. P. d’avoir violé le droit de l’Église. Il admet cependant que sa lettre de 2011 «manquait de sensibilité».

Cette omission de signalement à Rome est également au cœur des critiques qui ont émergé contre l’évêque de Bâle concernant le cas (rendu public le 17 août 2023 par le journal alémanique Beobachter) d’une femme affirmant avoir subi des abus d’un prêtre dans les années 1990. Il a été reproché à Mgr Gmür, informé du cas en 2019, d’avoir enfreint le droit canonique en n’envoyant que très tardivement le dossier à Rome.

F. S., jusqu’à présent un «rebelle acclamé»

A noter que le prêtre F. S. est une personnalité plutôt connue en Suisse alémanique. Le Sonntagsblick assure qu’il est «jusqu’à présent considéré comme un héros: un rebelle acclamé qui s’insurge publiquement contre Mgr Kurt Koch (ancien évêque de Bâle et aujourd’hui cardinal à Rome, ndlr) et le Vatican. F. S., aurait ainsi l’habitude de «s’en prendre à la hiérarchie catholique». Le média public alémanique SRF lui a même consacré un documentaire en 2005.

Ces nouvelles accusations surviennent dans un climat passablement tendu, où les affaires se multiplient concernant des dissimulations d’abus sexuels, voire des abus, commis par des membres de haut rang de l’Eglise catholique en Suisse. Elles résultent en partie des résultats du projet pilote lancé par l’Eglise en Suisse (publiés le 12 septembre 2023). D’autres affaires ont été révélées par les médias, notamment les accusations ayant donné lieu à une enquête préliminaire de Rome contre plusieurs membres de la Conférence des évêques suisses (CES). (cath.ch/sonntagsblick/arch/rz)

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Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle, est l'objet de plusieurs accusations d'infraction du droit canonique | © Maurice Page
17 septembre 2023 | 11:19
par Raphaël Zbinden

Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.

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