Niger: La petite Eglise catholique craint la montée en puissance d'un islamisme rampant
A Zinder, la communauté catholique vit dans la peur
Fribourg, 21 mars 2013 (Apic) L’hostilité rampante contre la petite minorité chrétienne du Niger – un pays multiethnique très pauvre de près de 16 millions d’habitants, enclavé au cœur de l’Afrique Occidentale – est récente. «C’est le fait de groupes islamistes qui se sont développés ces dernières années, pas de la majorité musulmane traditionnelle, à l’islam plutôt tolérant», confie à l’Apic Roberto Simona.
Responsable pour la Suisse romande et italienne de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en détresse» (AED), le Tessinois d’origine a visité du 21 février au 1er mars dernier les communautés chrétiennes au sud du Niger, dans une zone proche de la frontière septentrionale du Nigeria, où sévit la secte islamiste Boko Haram.
Les miasmes du «Printemps arabe», la menace d’AQMI et de Boko Haram
Les miasmes du «Printemps arabe», la pénétration des influences salafistes et wahhabites venues de la Péninsule arabique, la guerre contre les mouvements islamistes menée par la France au nord du Mali, notamment contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), et la présence de Boko Haram au Nigeria tout proche, représentent une grave menace pour la stabilité du Niger, souligne Roberto Simona.
Les premières communautés catholiques dans ce pays peuplé à 98% de musulmans ont été créées par des fidèles venant des pays limitrophes: Bénin, Burkina Faso, Nigeria, Togo. Au cours des années, ces immigrants se sont établis dans le pays et ont fondé des familles. Mais ces chrétiens, bien qu’installés parfois depuis plusieurs générations, sont encore souvent considérés comme des étrangers, membres d’une religion étrangère à la culture locale. Quelque 22’000 catholiques vivent au Niger, essentiellement à Niamey, dont l’archevêque, Mgr Michel Cartatéguy, est un Français. Le diocèse de Maradi (un millier de catholiques), est dirigé par Mgr Ambroise Ouédraogo, est originaire du Burkina Faso.
Le Niger est confronté à une grande pauvreté et la malnutrition endémique est l’une des réalités les plus prégnantes de ce pays sahélien: près de 40 % des Nigériens sont exposés à l’insécurité alimentaire, relève le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Dans les régions frontalières, peuplées de Haoussa, proches culturellement des habitants du nord du Nigeria voisin, note Roberto Simona, les chrétiens s’inquiètent de la montée en puissance de la secte Boko-Haram. Ce groupe terroriste s’est fait connaître depuis plus de deux ans en raison des attentats visant les chrétiens et leurs lieux de culte au Nigeria. Des adeptes de leurs méthodes violentes sont actifs de ce côté-ci de la frontière, qui est très perméable. Le 14 septembre dernier, des fanatiques musulmans ont incendié l’église catholique de Zinder, sous le prétexte du lancement sur internet du film «L’innocence des musulmans», un pamphlet anti-islamique produit aux Etats-Unis.
Des manifestants fanatisés saccagent les lieux de culte chrétiens
C’est aux cris «d’Allah Akbar» que les manifestants ont défoncé la porte de l’église, qu’ils ont complètement saccagée. Les livres liturgiques ont été brûlés, les objets cultuels de valeur emportés ou détériorés, le tabernacle profané, la statue de la Vierge brisée… Les protestants également ont vu leur temple mis à sac.
Averties par Mgr Michel Cartatéguy, l’archevêque de Niamey, les plus hautes autorités politiques et militaires sont intervenues rapidement pour que les forces de sécurité et de défense protègent les personnes et les biens. Une cinquantaine d’islamistes déchaînés ont été arrêtés. Le Conseil Islamique du Niger, la plus haute institution religieuse du pays, a condamné fermement cette attaque contre l’église de la paroisse Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. L’imam de Zinder a qualifié les auteurs de ces désordres, manipulés par des prêches fondamentalistes, «d’infidèles» qui n’ont pas le droit de se réclamer de l’islam. Depuis, le Ministre de l’Intérieur a fait sécuriser toutes les églises du pays et l’archevêché de Niamey est désormais gardé par une trentaine de policiers en armes.
Visites dans les villages sous escorte militaire
Escorté par des militaires, tant la situation est tendue dans les villages de la région de Maradi, Roberto Simona a visité des projets de l’Eglise au Niger financés par l’AED. A l’initiative de Sœur Marie-Catherine Persévérance, une religieuse sénégalaise qui a fondé en 2006 la «Fraternité des Servantes du Christ», des consoeurs militent contre l’analphabétisme, qui est le lot de la majorité dans les villages, mais viennent aussi en aide aux fillettes mariées à des hommes plus vieux et qui se sont enfuies en ville.
«J’ai été frappé par le fait que là, 70% des filles sont forcées de se marier à l’âge de 11 ans…Les familles, qui ont de nombreux enfants, se débarrassent ainsi d’une bouche à nourrir!» Certaines s’enfuient de leur nouvelle famille et sont contraintes de quitter leur village et de se réfugier en ville. Elles se prostituent pour survivre. «Un groupe de religieuses héroïques, soutenues par l’AED, crée des projets pour les soutenir. Dans cette société polygame, elles mettent en garde les femmes contre les risques d’un mariage précoce», relève Roberto Simona.
Dans la région de Maradi, les sœurs ont mis en place un système de microcrédit, à la demande des femmes des villages, qui sont toutes musulmanes. 120 villages bénéficient déjà d’un tel programme. Les religieuses de la Fraternité des Servantes du Christ – qui ont initié la construction de leur couvent à Tibiri, à une trentaine de km de Maradi, avec l’aide financière de l’AED – ont également construit des écoles et des dispensaires dans ces régions déshéritées. Si elles n’ont aucune intention de convertir la population musulmane et n’interviennent qu’avec l’accord des chefs de village, elles tiennent cependant un discours très clair: «Nous sommes là au nom de Jésus». Cela n’empêche pas les chefs de village de leur offrir un terrain pour construire une école, comme dans le village de Wanderma à 60 km de Maradi, tant les besoins sont grands …et l’Etat absent.
Les villages, où les gens vivent dans des conditions de vie plus que précaires, n’ont pas accès à l’électricité: «Il n’y a ni radio ni télévision, et les villageois ne savent rien de la guerre au Mali ou des exactions de Boko Haram dans le pays voisin tout proche… Leur seul horizon, c’est de lutter pour survivre, trouver à manger, combattre les conséquences de la sécheresse».
A Maradi, et dans d’autres chefs-lieux, les communautés chrétiennes vivent dans la peur. «C’est une situation nouvelle, témoigne un prêtre qui a été victime d’une agression. Il y a un an, on vivait ici encore dans la tolérance réciproque. Il arrive ainsi que, pendant la messe, l’église soit attaquée à coups de pierre ou que la célébration soit interrompue à cause de fanatiques qui, à l’aide de haut-parleurs, lisent le Coran sur la place de l’église. C’est une haine contre les chrétiens qui ne s’explique pas. Lors d’une rencontre exceptionnelle avec un converti, ce dernier m’a affirmé qu’il avait haï parce qu’on lui avait dit de haïr !»
Les plus pauvres ne peuvent souvent compter que sur la générosité des chrétiens
Les chrétiens continuent, malgré tout, à s’engager sans discrimination dans les œuvres caritatives. Les plus pauvres ne peuvent souvent compter que sur la générosité des chrétiens.
«Des musulmans se disent impressionnés par cette gratuité, comme le sultan de Tibiri, dans la région de Maradi, que nous avons rencontré. C’est un homme de grande ouverture et d’un grand soutien pour les religieuses. Il lutte avec elles contre l’ignorance. L’islam radical est une menace aussi pour lui et sa communauté».
Encadré
Le Niger, le plus vaste pays de l’Afrique Occidentale (sa superficie est de 1’267’000 km2), a été classé en 2012 dans le rapport annuel du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) comme le pays le moins développé au monde. Son indice de développement humain est de seulement 0,304. La société nigérienne est composé de 9 ethnies: Haoussa (56%), Djerma/Sonrhai (22%), Touareg (8,5%), Peulh (8,5%), Kanouri-Manga (4%), Toubou (0,5%), Arabe (0,3%), Gourmantché/Mossi (0,2%). Les principales langues parlées sont le Haoussa et le Djerma/Sonrhai. Le français est la langue officielle, tandis que le Haoussa est la langue la plus utilisée. Elle est parlée par environ 80% de la population. Le territoire du Niger est situé entre l’Algérie, le Bénin, le Burkina Faso, le Tchad, la Libye, le Mali et le Nigeria. (apic/be)