A Einsiedeln, le cardinal Kurt Koch dénonce la persécution des chrétiens
Parlant d’un véritable «œcuménisme du sang», dimanche 22 mai 2016 à Einsiedeln, le cardinal Kurt Koch a affirmé qu’à l’heure actuelle dans le monde, 80% de toutes les personnes persécutées pour leur foi sont martyrisées en tant que chrétiens, sans que leurs bourreaux ne s’arrêtent aux distinctions confessionnelles.
Invité par l’œuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED) au traditionnel pèlerinage annuel des amis et bienfaiteurs de sa section suisse, le président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens a plaidé pour un accueil réfléchi des réfugiés qui frappent à la porte de la Suisse.
«Le sang des martyrs est la semence de nouveaux chrétiens»
Lors de la messe qu’il a présidée dans l’abbatiale baroque dédiée à Notre-Dame des Ermites, remplie de fidèles jusqu’aux derniers rangs, le cardinal Koch a rappelé les paroles de Tertullien, figure emblématique de la communauté chrétienne de Carthage au 2-3e siècle, selon lequel le sang des martyrs est la semence de nouveaux chrétiens.
L’ancien évêque de Bâle a souligné qu’aujourd’hui les chrétiens sont davantage persécutés dans le monde qu’ils ne l’ont été dans l’Empire romain durant les premiers siècles du christianisme. Et de citer notamment le Moyen-Orient, où sévissent les djihadistes islamiques, et l’Afrique, en particulier le Nigeria, ensanglanté par les terroristes de Boko Haram.
Les évêques locaux demandent aux chrétiens de ne pas émigrer
Depuis l’éclatement de la guerre en Syrie, plus de 2’000 membres de la minorité chrétienne ont été tués, et des dizaines de milliers ont fui les combats pour se réfugier à l’étranger; plus d’une centaine d’églises ont été endommagées ou totalement détruites, selon les chiffres fournis par AED.
Lors du débat de l’après-midi au centre culturel et de congrès «ZWEI RABEN» d’Einsiedeln, en présence de plus de 400 auditeurs attentifs, le cardinal Koch a relevé qu’alors que les chrétiens fuient par dizaines de milliers l’enfer de la guerre au Moyen-Orient, les évêques locaux leur demandent de ne pas quitter cette terre où ils ont toujours vécu. Et de fait, s’ils en ont la possibilité, beaucoup d’entre eux désirent rester sur place, souhaitant continuer de vivre ensemble avec les musulmans. Mais le prélat d’origine lucernoise demande aussi de chercher les causes des troubles qui agitent cette région du monde. Et de suggérer que cela a certainement aussi à voir avec «la finance et le pétrole…».
Inquiétude face aux courants salafistes et wahhabites
Présidente du Forum pour un islam progressiste, présente sur le podium, Saïda Keller-Messalhi s’est dite très inquiète pour l’avenir du monde musulman, traversé depuis les années 1970 par des courants islamistes, salafistes et wahhabites, financés par des pays comme le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Emirats, et plus récemment par la Turquie. Dans les pays d’ex-Yougoslavie, un islam longtemps modéré est concurrencé depuis quelques années par une idéologie islamiste qui a pris pied. Conséquence: des jeunes radicalisés partent faire le djihad en Syrie, après un lavage de cerveau mené par des imams dangereux!
«Le problème, en Europe, n’est pas la force de l’islam, mais bien plutôt la faiblesse grandissante de la foi chrétienne… La religion est devenue chez nous une affaire privée, c’est pourquoi nous avons peur de l’islam!», lâche à son tour le cardinal Kurt Koch. «Il est évident que la Suisse ne peut pas recevoir tous les réfugiés, mais où est la limite, et qui en décide?», a-t-il poursuivi. Le cardinal demande ensuite pourquoi des pays très riches comme l’Arabie Saoudite ne font rien pour accueillir les victimes des conflits.
«Ce n’est pas seulement à l’Europe de répondre à cette urgence humanitaire!»
«Ce sont les pays qui ont beaucoup moins de moyens qui déploient des efforts énormes pour les héberger… Ce n’est pas non plus à l’Europe seule de répondre à cette urgence humanitaire!» Si on ne doit pas imiter nécessairement l’Allemagne, du moins on ne peut pas fermer les frontières en érigeant des murs…
Saïda Keller-Messalhi a déploré que certains groupes musulmans s’inspirent de textes du VIème siècle pour en déduire qu’il faut éliminer les non musulmans. «Il n’y a pas dans l’islam un pape qui dit ce qui est juste. Chacun peut prendre ce qu’il veut dans le Coran, et Al-Qaïda, Boko Haram ou Daech y trouvent leur propre façon de justifier la violence, mais il y a des millions de musulmans qui pensent différemment».
Un climat de peur chez ceux qui critiquent le Coran
La militante musulmane relève le climat de peur qui existe chez ceux qui critiquent certains passages problématiques du Coran. Pas question de l’interpréter différemment: ceux qui s’y osent sont menacés de mort. Etant donné que c’est la parole de Dieu, personne ne devrait y toucher, bien que ce soit un texte né au VIème siècle dans un contexte de guerre.
Face aux nouvelles alarmantes – on parle de 40’000 réfugiés chrétiens qui seraient harcelés et menacés par d’autres réfugiés musulmans dans les centres d’hébergement en Allemagne – Roberto Simona estime que séparer les réfugiés selon leur confession n’est pas la solution. «Il y a un travail d’éducation à faire, c’est un long processus, afin de faire passer les valeurs qui sont en vigueur dans nos démocraties». A l’évocation des conflits sanglants entre sunnites et chiites, le cardinal Koch rappelle que dans le passé la violence régnait aussi entre catholiques et protestants.
Benoît XVI à Ratisbonne était «prophétique»
Le cardinal mentionne dans ce contexte le discours sur les rapports entre la raison et la foi du pape Benoît XVI en 2006 à Ratisbonne, où il fût longtemps professeur de théologie. Il avait condamné la violence exercée au nom de la religion, et évoqué l’islam, ce qui avait produit des réactions très négatives, également dans les milieux catholiques. Et pourtant, c’était une réflexion «prophétique».
«On doit effectivement poser la question de la violence, car il y a des passages du Coran qui la justifient. On doit avoir un dialogue à ce sujet avec les musulmans…» Saïda Keller-Messahli ne peut qu’approuver, elle qui affirme que la violence ne s’exerce pas seulement contre les non musulmans dans les pays islamiques. «Elle est systématique: cela commence avec l’éducation des enfants, dans des sociétés patriarcales où la femme est dominée. Les structures de violence parcourent l’ensemble de la vie de ces sociétés, mais le débat sur ce problème y est très difficile». (cath.ch-apic/be)