600 ans du Concile de Constance : l'Eglise évite l'éclatement
Le 22 avril 1418, le pape Martin V clôt le Concile de Constance qui, après quatre ans de travaux, a mis fin à l’un des plus graves crises de l’Eglise catholique: le Grand Schisme d’Occident. Un siècle avant la Réforme de Luther, l’assemblée de Constance a longuement débattu d’une question de fond: qui du pape ou du concile détient l’autorité suprême dans l’Eglise? Proclamée Cité du concile, Constance a marqué cet anniversaire par de nombreuses manifestations.
En 1414 trois papes se disputent l’autorité sur l’Eglise catholique: Alexandre V, Benoît XIII et Grégoire XII, chacun régnant sur une partie de la chrétienté latine. Cette division qui menace la survie même de l’Eglise devient insupportable. L’empereur d’Allemagne, Sigismond, veut y mettre fin. Il décide de convoquer pour cela un concile œcuménique et choisit la ville d’empire de Constance. Pendant quatre ans, de 1414 à 1418, la cité des rives du Bodan connaîtra une effervescence extraordinaire. La ville qui ne comptait guère plus de 5’000 habitants accueille soudain jusqu’à 60’000 personnes.
300 prélats et 600 théologiens
Une grande partie du cœur médiéval de Constance a traversé les générations. Plusieurs haut-lieux du Concile sont ainsi encore visibles. Par exemple, la cathédrale, où les pères conciliaires se réunissaient, ou le bâtiment du Concile, en fait un vaste entrepôt du bord du lac, dans lequel se tint l’élection du pape.
Outre les quelque 300 évêques, cardinaux, abbés monastiques et prélats, pas moins de 600 théologiens venus de toute l’Europe, du Portugal à la Norvège, vont débattre des moyens de restaurer l’Eglise catholique proche d’un éclatement fatal. En plus des questions théologiques et disciplinaires, les conflits politiques ne manqueront pas de s’inviter dans les débats. Des décisions de grande portée, qui marquent l’Europe aujourd’hui encore, furent prises sur les bords du lac de Constance. La ville se transforme en un carrefour de connaissances et en un creuset de cultures.
Trois papes pour un seul siège
Evénement majeur de l’histoire de l’Eglise, le Concile de Constance est particulier à plus d’un titre. Formellement, s’il est convoqué par l’antipape Jean XXIII, qui a succédé à Alexandre V, c’est bien l’empereur Sigismond qui en est l’instigateur avec un triple objectif: mettre fin au schisme, réformer l’Eglise et défendre la foi.
Le discrédit sur la papauté, avec trois papes qui se disputent le pouvoir suprême, va accréditer l’idée que l’autorité dans l’Eglise appartient au concile et non pas au souverain pontife. Jean XXIII, le seul des trois papes qui participe au concile, compte d’abord pouvoir s’y imposer comme pontife légitime grâce au soutien des Italiens. Mais l’empereur Sigismond ne l’entend pas de cette oreille. Il a compris que seul le retrait des trois papes régnant peut permettre l’élection d’un nouveau pontife reconnu par tous.
Les débats et les votes ne se feront donc pas par tête, mais par nation: Italie, France Allemagne, Angleterre puis Espagne. Les résolutions adoptées dans ces cercles sont ensuite soumises à des sessions générales. Après de longues négociations, Jean XXIII accepte d’abdiquer à la condition que les deux autres antipapes en fassent de même. Sous pression, il finit même par s’enfuir de Constance en 1415 pour se retirer à Schaffhouse.
Un moment déstabilisé par le départ du pape, le Concile se ressaisit et proclame le décret Haec Santa qui fait du concile l’instance suprême de l’Eglise universelle tenant son autorité directement de Jésus-Christ. Deux ans plus tard en 1417, le Concile, par le décret Frequens, impose au pape de le réunir tous les dix ans. Une exigence qui tombera assez vite dans l’oubli, une fois le calme rétabli.
Si le deuxième antipape Grégoire XII accepte assez facilement de démissionner, il n’en est pas de même pour Benoît XIII, pape en Avignon. Déposé en 1417, il s’obstine et s’exile à Aragon, en Espagne, où il aura encore deux successeurs avant que le schisme ne soit résorbé.
Le terrain est alors libre pour l’élection d’un nouveau pape. Le conclave élit le 11 novembre 1417, le cardinal romain Otto Colonna qui prend le nom de Martin V. En rétablissant l’autorité papale, cette élection marque la fin du Grand Schisme d’Occident. Durant ses 14 ans de règne, Martin V s’efforce d’être le pape de la réconciliation et de la miséricorde. Il se consacre à redonner à Rome son rang au plan économique, artistique et culturel.
Les heures violentes
Le Concile de Constance connaît aussi des heures violentes. Le 6 juillet 1415, il condamne Jan Hus comme hérétique et le livre au bras séculier pour être aussitôt brûlé vif. Ce prêtre tchèque, formé à l’université de Prague, entretient dans un premier temps de bonnes relations avec l’archevêque de la ville, qui lui demande de l’assister dans la réforme du clergé. Il prêche le retour à une Eglise apostolique, spirituelle et pauvre.
En 1408, il prend la défense du théologien anglais Wycliffe, alors que le pape Grégoire XII a interdit la diffusion de ses thèses jugées hérétiques. Sa dénonciation du trafic des indulgences, utilisées notamment par le pape Jean XXIII pour financer la guerre contre le roi de Naples, lui vaut aussi la réprobation. Frappé d’excommunication en 1412 par le pape Grégoire XII, Jan Hus voit sa cause reprise par le concile de Constance en 1414. Il s’y rend pour se défendre muni d’un sauf-conduit. Le concile exige qu’il renie les points de ses écrits jugés hérétiques. Il refuse et finira donc sur le bûcher. Son disciple Jérôme de Prague connaît le même sort, moins d’un an plus tard.
L’histoire se répète
Au printemps 1418 au moment où le Concile se dissout, les trois objectifs de Sigismond ne sont que partiellement atteints. Le Grand Schisme est résorbé et l’unité de l’Eglise latine est globalement rétablie, même s’il y aura encore quelques antipapes jusque dans les années 1460.
Mais les réformes de l’Eglise ne sont qu’esquissées et la conduite des papes de la Renaissance sera une des causes de la Réforme protestante un siècle plus tard.
La défense de la foi se sera faite au prix de l’exécution de Jan Hus et de Jérôme de Prague et des persécutions et des guerres qui suivront. Quant au fameux débat sur l’autorité du pape ou du concile, il ne sera réglé qu’en 1870 avec le dogme de l’infaillibilité pontificale adopté par le concile Vatican I. Un dogme que les théologiens du XXe siècle, comme Hans Küng, ne manqueront pas de remettre en cause. (cath.ch/mp)
Le Grand Schisme d’Occident et la Suisse
Lors du Grand Schisme d’Occident, le territoire de la Suisse actuelle fut particulièrement touché de par sa situation entre les blocs et son morcellement politique. Dans la plupart des diocèses, il y eut parallèlement deux évêques, indique le Dictionnaire historique de la Suisse (DHS).
Le diocèse de Côme, qui englobait une bonne part du Tessin, reconnut toujours le pape de Rome, Genève celui d’Avignon. Les évêques de Bâle, de Constance et de Sion se rallièrent d’abord au pape d’Avignon, puis à celui de Rome. Le changement découle de la mort à la bataille de Sempach (1386) du duc Léopold III de Habsbourg, qui avait été un fervent défenseur de la papauté d’Avignon dans ses Etats. Après la mort de Léopold, il y eut un candidat d’obédience romaine – Johann Münch von Landskron – à l’épiscopat de Lausanne (1389/1390-1410), mais il ne put s’imposer face aux évêques d’obédience avignonnaise Guy de Prangins (1375-1394) et Guillaume de Menthonay (1394-1406). En 1392, seule Berne se soumit à l’obédience romaine et reconnut Johann Münch von Landskron.
Visite du pape en Suisse
Cette situation explique probablement le fait qu’après la fin du Concile de Constance, le nouveau pape Martin V, sur son chemin vers Rome, fit de nombreuses étapes, à Schaffhouse, Baden, Lenzbourg, Zofingue, Soleure et Berne où il séjourna du 16 mai au 3 juin 1418. Après des visites à Fribourg et Lausanne, les cardinaux et les prélats de l’antipape Benoît XIII lui firent leur soumission, le 26 juin à Genève. Martin V fit son entrée à Rome le 28 septembre 1420, près de trois ans après son élection.
L’occupation de l’Argovie
Pour les cantons confédérés, le Concile de Constance eut aussi une conséquence politique très directe avec l’invasion de l’Argovie. Les tensions entre l’empereur Sigismond et le duc d’Autriche Frédéric IV de Habsbourg s’aggravèrent lors du concile, lorsque Frédéric aida le pape Jean XXIII à prendre la fuite et quitta lui-même la ville en 1415. Sigismond mit le duc au ban de l’Empire et requit les puissances voisines d’occuper ses terres.
Berne alla rapidement au but. Ses troupes prirent en deux semaines Aarbourg, Aarau, Zofingue, Lenzbourg, Brugg et les châteaux forts de nombreux ministériaux des Habsbourg dans les vallées de l’Aar et de ses affluents. Les Lucernois prirent Sursee et les bailliages de Meienberg et de Richensee. Les Zurichois occupèrent Dietikon et le bailliage d’Affoltern. Un armistice fit passer Bremgarten et le reste du Freiamt aux Confédérés; la région de Villmergen s’était déjà ralliée aux Lucernois. Baden offrit plus de résistance. La ville se rendit enfin le 3 mai 1415 et sa forteresse du Stein le 18 mai, après intervention de l’artillerie bernoise. Le bailliage de Baden passa donc aussi aux Confédérés. En quelques semaines la Confédération helvétique vit ainsi son territoire nettement élargi.