Rencontre entre le cardinal Zuppi et le président ukrainien à Kiev, le 6 juin 2023 | © Vatican medias
Suisse

Guerre en Ukraine, «le Saint-Siège ne peut pas jouer de rôle décisif»

Dépêché en Ukraine par le pape François, le cardinal Zuppi a rencontré le président Zelensky le 6 juin 2023. Comment l’activité diplomatique du Vatican est-elle perçue dans le pays? «Sans attente réelle», explique le Père Jaroslaw Krawiec, prieur général des dominicains d’Ukraine, de passage en Suisse à l’invitation de cath.ch.

Propos traduits par Zdzislaw Szmanda op

Le cardinal Zuppi, membre de la communauté catholique Sant’Egidio, a été envoyé à Kiev le 5 juin 2023, pour une mission de paix du Saint-Siège. Il a déjà plusieurs missions de médiation à son crédit. Peut-il faire une différence, selon les Ukrainiens?
Jaroslaw Kraviec op: Je partage l’avis de beaucoup de commentateurs que le pape François, et plus largement le Saint-Siège, ne peut pas jouer de rôle décisif dans ce conflit. En revanche, d’autres efforts fournis par le Vatican sont probants, même si on en parle peu dans l’espace public, comme sa contribution à l’échange de prisonniers de guerre. Ce qui est aussi très appréciable et apprécié en Ukraine, c’est l’aide humanitaire apportée par le Vatican à la population, via le cardinal Krajewski notamment. Et le fait que le pape François ne cesse d’évoquer le pays et de rappeler les souffrances de ses habitants.

Jaroslaw Kraviec, prieur général des dominicains d’Ukraine | © Bernard Hallet

La position du pape sur la guerre Ukraine-Russie a été fortement décriée au départ par les Ukrainiens. Est-ce à dire qu’elle est mieux comprise aujourd’hui?
Son attitude reste plutôt critiquée en Ukraine. Sa façon de mettre sur le même plan toutes les victimes de la guerre, sans désigner vraiment les agresseurs, a blessé les gens. En même temps, les services d’informations du pays diffusent peu de nouvelles concernant le pape ou le Vatican. J’ai été étonné de voir comment la visite du président Volodymyr Zelensky lui-même au Vatican, le 13 mai 2023, a été peu relayée!

«L’autorité religieuse du pape n’est pas établie dans le pays, comme elle l’est par exemple en Pologne.»

L’une des raisons de ce manque d’intérêt est que l’Ukraine n’est pas un pays catholique (5% de la population sont catholiques, dont 4% grecs-catholiques et 1% de catholiques romains). À ce titre, l’autorité religieuse du pape n’est pas établie dans le pays, comme elle l’est par exemple en Pologne.

Est-il possible de parler de recherche de paix, voire de rappeler l’exigence évangélique de non-violence, aux paroissiens et concitoyens ukrainiens en ce contexte de guerre défensive?
Il est difficile d’inciter au pardon une personne qui vient de perdre un proche à cause de la guerre ou qui a vu sa maison être détruite. D’autant plus que la guerre se poursuit. Il y un temps pour chaque activité. L’expérience historique entre la Russie et l’Ukraine fait dire de plus aux gens que la paix, même lorsqu’elle sera établie, ne sera pas une paix durable.

Rencontre entre les dominicains d’Ukraine et de l’archevêque Sviatoslav Shevchuk | © Jaroslaw Kraviec

Je me souviens d’un entretien avec l’archevêque Sviatoslav Shevchuk, chef de l’Église grecque-catholique d’Ukraine, au cours duquel il a mentionné certaines étapes indispensables à la réussite d’un processus de réconciliation. Cela passe bien sûr par un arrêt des conflits, mais cela demande aussi de dire clairement qui sont les victimes et qui sont les agresseurs. Ce processus de réconciliation avec les Russes sera long et difficile. De même avec la Biélorussie. Celle-ci n’est pas un agresseur direct, mais elle permet son prolongement en servant de base arrière.

Avez-vous connaissance de projets œcuméniques en Ukraine ou de collaboration des Églises en réponse à la guerre?
Je n’en connais pas au niveau national. Pour une large partie des orthodoxes, l’œcuménisme n’est pas une chose évidente. Il est vu comme un risque de délitement de l’identité nationale. La guerre a contribué à renforcer cette approche identitaire et l’unité autour de la nation.

Les catholiques romains sont-ils considérés comme des Ukrainiens à part entière ou comme des «étrangers»?
Cela dépend de la région, de la façon dont les communautés catholiques elles-mêmes se définissent. Beaucoup de catholiques romains de l’Ukraine de l’Ouest ont des racines polonaises et s’identifient comme tels. C’est encore plus évident chez les Hongrois de Transcarpatie, qui parlent et prient en Hongrois et ne connaissent pas la liturgie ukrainienne. C’est là en partie un héritage du temps du communisme, où l’existence de quelques paroisses catholiques à l’Ouest du territoire était tolérée en leur qualité de paroisses étrangères.

Le cardinal Krajewski distribue de l’aide alimentaire, lors de son voyage à Lviv en 2022 | © Mariusz Krawiec

Reste que pour les Ukrainiens, être Ukrainien, c’est être orthodoxe ou grec-catholique. C’est difficile pour les catholiques romains 100% ukrainiens de ne pas être reconnus dans leur identité. Ces stéréotypes, toutefois, ont tendance à perdre de leur importance avec les jeunes générations, plus ouvertes. De nombreux grecs-catholiques, par exemple, participent aux actions d’entraide organisées par les catholiques romains.

Il y a donc tout de même une forme d’œcuménisme sur le terrain?
Oui, il y a des collaborations à plusieurs niveaux. Deux de nos frères dominicains, par exemple, enseignent dans le séminaire grec-catholique et, inversement, un grec-catholique dans notre institut théologique. Nous pourrions certes faire mieux du côté catholique, mais nous sommes peu nombreux et préservons nos forces pour nos propres projets prioritairement.

La décision prise le 23 mai 2023 par le Conseil des évêques de l’Église orthodoxe d’Ukraine d’adopter, comme le font déjà les Grecs et le Patriarcat de Constantinople, le calendrier liturgique grégorien, est particulièrement intéressante. De se détacher donc du calendrier julien de l’Église orthodoxe russe, et ce dès le 1er septembre de cette année. Cela concerne la date de Noël, mais pas encore celle de Pâques. Cela permettra à tous les chrétiens du pays de fêter Noël en même temps le 25 décembre 2023. C’est aussi une manière de dire à la Russie: «Nous regardons vers l’Ouest, vers l’Union européenne, plutôt que vers l’Est.» (cath.ch/lb)

Rencontre entre le cardinal Zuppi et le président ukrainien à Kiev, le 6 juin 2023 | © Vatican medias
8 juin 2023 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 4  min.
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