Annecy: Face à la crise, les défis du renouvellement de la presse écrite

17èmes Journées d’Etudes François de Sales

Annecy, 26 janvier 2013 (Apic) La crise que doit affronter la presse écrite – et la presse catholique en particulier – lui impose une «ardente obligation» de renouvellement de ses contenus, de ses compétences tant rédactionnelles que commerciales, et de ses publics, souvent d’âge mûr. C’est l’appel qu’a lancé le journaliste René Poujol, en ouverture des Journées d’Etudes François de Sales tenues les 24 et 25 janvier 2013 à Annecy. Cette 17e édition s’est ouverte le jour même de la fête de François de Sales, «saint patron des journalistes».

Quelque 200 journalistes, chercheurs, éditeurs, patrons de presse ou commerciaux, à l’invitation de la Fédération Française de la Presse Catholique (FFPC), ont cherché durant ces deux jours des réponses à ces défis, à l’heure où la concurrence du numérique fait craindre pour l’avenir de l’écrit.

La crise de la presse, «un risque grave pour la démocratie»

En effet, selon le «Baromètre 2013 de confiance dans les médias» réalisé par l’institut de sondage TNS Sofres pour le quotidien français «La Croix», si l’intérêt des Français pour l’information ne se dément pas, ces derniers utilisent de plus en plus internet pour s’informer, même en profondeur. Cependant, une majorité d’entre eux pensent que la sévère crise économique et financière que traverse actuellement la presse écrite représente «un risque grave pour la démocratie».

Malgré cette situation difficile, René Poujol, coordonnateur du programme de ces Journées d’Etudes, se dit persuadé qu’un lectorat potentiel plus large existe, «qu’il nous appartient de rejoindre, de convaincre et de fidéliser». Il s’agit en effet de tout mettre en œuvre pour pérenniser les titres de la presse catholique dans le contexte d’une société sécularisée. A l’heure du multimédia, les organisateurs avaient également offert une tribune aux responsables des quatre grands médias audiovisuels chrétiens en France: Le Jour du Seigneur, la télévision catholique KTO, RCF et Radio Notre-Dame.

«Les Français broient du noir»

Dans sa conférence sur les «tendances lourdes» de la société française, Brice Teinturier a décrit un contexte marqué par une tendance au pessimisme bien plus marquée que dans des pays pourtant davantage touchés par la crise. Directeur général délégué de l’institut de sondage Ipsos, il a dressé un tableau plutôt sombre de la France contemporaine: peur de l’avenir, du déclassement social, des nouvelles pauvretés, ascenseur social en panne, ressentiment contre les autorités, qui ont perdu leur légitimité faute de résultats face à une crise structurelle, crise des élites, méfiance à l’égard des autres, crispation identitaire, peur de l’étranger, populisme, xénophobie…

«Les Français broient du noir et le pays est de plus en plus fracturé depuis la dernière élection présidentielle», relève-t-il. Ce pessimisme n’est plus seulement le fait des classes populaires, mais a atteint les couches supérieures de la société.

Pourtant, insiste-t-il, la France reste l’un des pays les plus riches et les plus développés du monde, les ménages français ont un très important patrimoine et une forte épargne ! Si Brice Teinturier estime que les médias donnent trop souvent l’image d’une société «fatiguée d’elle-même», voire dépressive, il voit cependant émerger dans l’ensemble de la population de nouveaux développements plus positifs. Il remarque notamment un esprit de «résilience», une capacité de se relever, des stratégies pour se maintenir à flot, la recherche de bonnes affaires et le troc, les solutions familiales qui se développent, même s’il ne s’agit pas là, à proprement parler, de solidarités sociales.

Il note également une plus grande attention aux valeurs religieuses, même si l’Eglise apparaît souvent coupée des réalités sociales. De plus, les individus veulent de plus en plus s’affranchir des institutions et prennent leurs distances avec les corps constitués. Brice Teinturier estime que la presse catholique a un rôle à jouer dans une telle situation, bien qu’il soit plus difficile aujourd’hui de faire passer des valeurs.

Jouer sur la différence pour garder son public

Bernard Petitjean, directeur associé de l’agence d’études et de conseils Seprem, croit lui aussi que la presse catholique a encore la possibilité de trouver sa place sur le marché, pourvu qu’elle mette l’accent sur ce qui la différencie des autres médias. Elle doit créer de la valeur ajoutée, affirmer son identité, «ne pas proposer de l’eau tiède !». Pour garder ses parts de marché, elle doit jouer sur la différence et ne pas tenter de faire comme les autres avec moins de moyens.

Témoignage Chrétien (TC) – un journal né en 1941 dans la clandestinité alors que la France était occupée par les nazis – ne se considère plus comme un média réservé exclusivement aux «cathos de gauche», note Jérôme Anciberro, son rédacteur en chef. «Nous voulons sortir du flux continu de l’information, assure-t-il. Le public reçoit une masse d’informations, mais il ne sait souvent pas en donner le sens. Contrairement à ce que l’on nous dit – faire court ! – nos lecteurs ont besoin de formats longs. Chez nous, il n’y a pratiquement pas de brèves, mais de longues enquêtes, de longs reportages. Et s’il y a un besoin urgent, l’internet est toujours là».

Les articles longs, c’est aussi la formule de Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry, qui publient la revue trimestrielle XXI. A la frontière du livre et du magazine, c’est une revue «post-internet» consacrée au reportage, «pour sortir du présent perpétuel».

«Il y a toujours des journaux qui vivent de leurs lecteurs»

Revue sans marketing et sans publicité, fondée il y a cinq ans, la revue XXI tire aujourd’hui à plus de 50’000 exemplaires. «Il y a toujours des journaux qui vivent de leurs lecteurs», assure Laurent Beccaria. Le modèle est bénéficiaire depuis la première année et la revue réalise actuellement un chiffre d’affaires annuel de 6 millions d’euros.

S’il ne veut pas opposer la publication sur le papier à celle sur l’écran, Laurent Beccaria estime que le numérique n’est pas «la» solution. Il met en garde contre le «miroir aux alouettes» du numérique, contre cette «pensée magique» qui veut faire croire que le tout internet, s’il ne rapporte pas maintenant, sera bien un jour rentable. Et de citer l’exemple du journal britannique «The Guardian», qui s’est lancé dans le tout numérique.

«Il perd 100’000 livres sterling par semaine avec son site et licencie régulièrement. Il ne doit sa survie qu’aux bénéfices d’autres titres qui compensent ses pertes !». (L’ensemble des débats de ces deux journées sera prochainement disponible sur le site de la FFPC. www.presse-catholique.org). JB

Encadré

Construire un réseau pour succéder à la défunte UCIP

A l’ouverture des travaux, Bernard Bienvenu, président de la FFPC, a salué le fait que ces Journées – qui s’adressent pour l’essentiel à un public français – «s’internationalisent un peu», avec la présence cette année de gens de presse venus de Suisse romande, du Québec, d’Italie, de Croatie et même d’Afrique du Sud. La dissolution vécue dans la douleur de l’Union catholique internationale de la presse (UCIP) leur fait ressentir la nécessité impérieuse de retrouver des lieux de rencontres au plan international. Des discussions ont été entreprises pour voir dans quelle mesure les anciens membres de l’UCIP pourraient se rassembler dans le cadre de SIGNIS, l’association catholique mondiale pour la communication, dans le but de reconstituer une plateforme d’échanges, tout d’abord au plan européen, sans exclure des participants d’autres continents. JB

Les 17èmes Journées François de Sales, proposées aux professionnels et aux observateurs des médias, étaient organisées par la Fédération Française de la Presse Catholique (FFPC), en partenariat avec l’Union des Etablissements d’Enseignement Supérieur Catholique (Udesca) et le diocèse d’Annecy. (apic/be)
27 janvier 2013 | 00:35
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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