«Enfance dans le Monde», un festival de films pour les droits de l'enfant

Reportée à la suite des attentats de novembre 2015, la 5ème édition du Festival de documentaires «Enfances dans le Monde», organisé par le Bureau International Catholique de l’Enfance (BICE), a eu lieu les 28 et 29 janvier à Paris. Des neufs films projetés, cinq sont en compétition pour le Prix des Jeunes, qui sera remis lundi en présence de la Défenseure des Enfants, Geneviève Avenard.

L’ONG catholique qui œuvre dans 25 pays en faveur des droits de l’enfant organise habituellement le festival «Enfances dans le monde» au moment de la Journée Mondiale des Droits de l’Enfant. Mais en novembre dernier, l’événement a été annulé car «les sorties scolaires étaient interdites après les attaques terroristes de Paris», explique la programmatrice Pascale Kramer. C’est donc une 5ème édition resserrée qui se tient jusqu’à vendredi soir, «mais c’est déjà bien», estime Sandrine Tiffreau, directrice de communication et de levée de fonds du BICE à Paris, en ouverture des projections destinées au grand public et aux groupes scolaires.

 

Film "This is my land", de la réalisatrice franco israélienne Tamara Erbe. (Photo: DR) Film «This is my land», de la réalisatrice franco israélienne Tamara Erbe. (Photo: DR)

 

Ce jeudi 28 janvier 2016, a été projeté le film «This is my land» (C’est ma terre), de la franco-israélienne Tamara Erbe en avant-première française. Tourné en 2013 dans six écoles d’Israël et de Palestine, ce documentaire montre comment est enseignée l’histoire du conflit qui oppose les deux pays depuis des décennies. «Sans parti pris, Tamara est allée voir des deux côtés comment on grandit dans ce contexte, comment nos croyances et nos convictions viennent en partie de l’histoire que l’on nous enseigne», explique Sandrine Tiffreau, au public adolescent juste avant la séance.

La difficulté d’avancer ensemble

Grâce à la présence discrète de la caméra de la jeune israélienne, le documentaire nous invite à nous asseoir parmi les élèves, face aux professeurs ou chez ces derniers. On y découvre que les programmes éducatifs officiels ignorent en grande partie l’autre, que les enseignants – même au sein d’une école mixte qui réunit des citoyens d’Israël juifs et arabes – peinent à cacher leur ressentiment au moment d’interpréter l’histoire récente. «Les adultes ne laissent pas le choix aux enfants», réagit Osmane, lycéenne de 16 ans, au sortir de la séance. «Je ne me rendais pas compte que mon amie palestinienne pouvait vivre tout ça», réalise pour sa part Charlotte, 17 ans.

«Avec ce film, je voudrais que les gens se demandent si on éduque nos enfants à se poser des questions, à être curieux, ou bien si on leur enseigne des histoires réécrites, manipulées selon un point de vue», a expliqué à cath.ch la réalisatrice Tamara Erbe, installée à Paris.

Tamara Erbe, réalisatrice franco-israélienne. (Photo: DR) Tamara Erbe, réalisatrice franco-israélienne. (Photo: DR)

L’objectif du festival est de sensibiliser les jeunes aux réalités et aux défis auxquels font face les enfants dans le monde. «Il s’agit de donner l’alerte sur des situations que l’on ne connaît pas et d’inciter les enfants à se mobiliser pour défendre leurs droits», indique Sarah Perrin, chargée au sein du BICE des relations avec les scolaires. Près d’un millier d’élèves, principalement de l’enseignement privé catholique mais pas seulement, assisteront aux projections durant ces deux jours. «L’aspect des droits de l’enfant est très important mais c’est aussi un festival de bons films», défend Pascale Kramer, écrivaine suisse qui sélectionne les documentaires depuis les débuts du festival en 2010.

«Nous ne prenons pas de documentaires à thèse ou accusateurs, mais ceux qui donnent la parole aux enfants. L’éthique du réalisateur – c’est-à-dire le fait qu’il n’oriente pas et laisse parler l’enfant librement et dans la confiance – est un élément clé pour nous», ajoute-t-elle.

«Là-bas, il n’y a pas de justice»

L’après-midi, dans la grande salle du cinéma, l’ambiance est quelque peu dissipée. Mais les 200 collégiens et lycéens franciliens qui décerneront le «Prix des Jeunes» au documentaire qu’ils auront préféré, baissent presque instantanément la voix lorsque retentissent les première paroles de Karin.

En pleine forêt guatémaltèque, la jeune femme se tient debout, hagarde, face à l’endroit où le corps de sa cousine de 17 ans, Kelly Diaz, a été retrouvé en 2011, après que celle-ci a été violée, torturée et assassinée par ses ravisseurs. «La Prenda» (La Monnaie d’échange), documentaire du journaliste et réalisateur franco-suisse Jean-Cosme Delaloye, retrace l’histoire de Kelly, Astrid et Micaela, trois femmes victimes des enlèvements crapuleux et de la violence brutale qui frappent le Guatemala, un des pays les plus pauvres d’Amérique latine. Il suit surtout leurs proches dans leur douleur et leur combat contre l’impunité.

 

Film documentaire "La Prenda" du réalisateur franco-suisse Jean-Cosme Delaloye. (Photo: Tip'images production) Film documentaire «La Prenda» du réalisateur franco-suisse Jean-Cosme Delaloye. (Photo: Tip’images production)

 

«C’était dur», «c’était triste», soufflent, à l’issue de la projection quelques voix, alors que la lumière n’est pas encore rallumée. Dehors, Arno, 15 ans, résume pour ses copains de 1ère année de CAP menuiserie ou électricité qui terminent leur cigarette: «c’est choquant. Ici, il y a une justice, là-bas il n’y en a pas. Et ils ne peuvent rien contre des gens qui ont de l’argent», s’indigne t-il. «Leur justice est plutôt du côté des délinquants, des criminels, que de celui des victimes on dirait», ajoute Ladji, son camarade d’un lycée privé catholique parisien.

Donner la parole aux enfants

Ladji, Arno et Quentin sont jurés dans un festival de cinéma pour la premièpre fois. «C’est bien qu’on demande l’avis des enfants et pas celui des adultes», relève Arno. Cinq films sont en compétition: «The backward class» de Madeleine Grant (Canada), «Toto et ses sœurs» d’Alexander Nanau (Roumanie), «Every last child» de Tom Roberts (USA), «La Prenda» de Jean-Cosme Delaloye (USA/Suisse) et «Mama, I’m gonna kill you» d’Elena Pogrebizhskaia (Russie).

«Le fait qu’on demande leur avis à des jeunes, et que celui-ci compte, est important», estime Delphine Hervé, professeur de français et d’histoire-géographie en lycée professionnel. «On les amène ici aussi pour qu’ils apprennent à construire un jugement argumenté», ajoute l’enseignante qui reconnaît qu’il s’agit d’une classe «difficile».

Devant l’engouement scolaire des trois dernières éditions, le festival du BICE projette de s’étendre à un autre cinéma parisien et pourquoi pas à d’autres villes françaises ou du monde.

 


 

Trois questions à Jean-Cosme Delaloye, réalisateur du film «La monnaie d’échange» (La Prenda»)

«J’ai voulu rendre visible à l’étranger cette réalité des enlèvements, très souvent impunis en Amérique centrale», explique Jean-Cosme Delaloye, le réalisateur du film documentaire «La monnaie d’échange» (La Prenda). Le franco-suisse revient sur les difficultés des victimes d’enlèvement à obtenir justice dans un pays rongé par la corruption.

Les paroles et l’émotion d’Astrid, qui a été libérée après avoir été kidnappée et violée, et celles des proches de Kelly et Micaela, victimes elles-aussi d’enlèvements, sont comme un coup au cœur. Mais elles décrivent une réalité pour de nombreuses adolescentes au Guatemala

Oui. Si Astrid et les proches de Micaela et Kelly n’avaient pas accepté de parler – et cela ne va pas de soi, le film n’existerait pas. Je travaille depuis des années pour les médias grand public et le Guatemala n’entre pas dans les cycles d’information majeurs. J’ai donc voulu rendre visible à l’étranger cette réalité des enlèvements, très souvent impunis en Amérique centrale. Les images et les histoires de «La Prenda» sont tellement fortes qu’on ne peut pas détourner le regard.

Après son enlèvement, Astrid décide de partir aux États-Unis même si cela signifie de prendre le dangereux chemin de la migration illégale. Pourquoi?

Jean-Cosmes Delaloye, le réalisateur franco-suisse de "La monnaie d'échange". (Photo: Sandrine Pasche) Jean-Cosmes Delaloye, le réalisateur franco-suisse de «La monnaie d’échange». (Photo: Sandrine Pasche)

Même après sa libération, elle continue d’être menacée par ses ravisseurs et ses parents vivent déjà là-bas. Il y a trois issues pour les kidnappings de femmes au Guatemala. Si ce n’est pas la mort, c’est la fuite obligée car les pressions ne s’arrêtent pas là. La troisième option est la longue et difficile bataille pour obtenir justice mais, dans un pays rongé par la corruption et où les tribunaux manquent cruellement de moyens, il faut beaucoup de courage et des ressources que souvent les familles pauvres n’ont pas. Même après avoir été victime, il y a encore un prix à payer. Dans le cas de Kelly, enlevée et assassinée à 17 ans, les proches n’ont toujours pas obtenu de condamnation fixe et Karin, sa cousine, s’expose au danger en rendant publique sa bataille contre l’impunité.

A l’été 2014, des milliers de migrants illégaux mineurs, pour beaucoup originaires d’Amérique centrale, sont arrivés aux États-Unis. On se souvient de centaines d’entre eux hébergés dans des gymnases dans les états du sud comme le Texas. «La Prenda» nous parle aussi de ce phénomène?

Les images de tous ces enfants massés à la frontière ont ébranlé les États-Unis. Tous ces migrants n’ont pas été victimes de violence mais c’est souvent le cas. Mon documentaire est donc une des clés pour comprendre ce flux d’immigration venu d’Amérique centrale.

Le documentaire «La Monnaie d’échange», sera diffusé au printemps à la télévision publique suisse (RTS, coproductrice) et devrait ensuite sortir en salles.  Astrid, une des héroïnes du documentaire, sera présente lors de la projection du film le 11 mars prochain dans le cadre du Festival des Droits Humains à Genève. (cath.ch-apic/lg/bh)

 

Paris le 28 janvier 2015. Un groupe de lycéens parisiens à la sortie d'une projection du Festival Enfances dans le monde du BICE.
29 janvier 2016 | 14:44
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 6  min.
BICE (5), Enfants (119), Festial. Films (3), film (50), Paris (92)
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