Le pape accepte la démission de Mgr Erwin Kräutler: Un demi-siècle au service de l’Amazonie
Le pape François a accepté mercredi 23 décembre la demande de renoncement pour raison d’âge de Mgr Erwin Kräutler, évêque de la prélature territoriale de Xingu. L’évêque d’origine autrichienne, qui vivait à Altamira, dans l’Etat du Para, au cœur de l’Amazonie brésilienne, a reçu à maintes reprises des menaces de mort pour avoir pris la défense des populations autochtones.
Dans la foulée, le pape a nommé son successeur, le Frère franciscain brésilien Joao Muniz Alves, natif du diocèse de Sao Luis do Maranhão et âgé de 54 ans. Dom Erwin Kräutler avait été nommé en 1981 à la tête de cette prélature marquée par la violence et la construction du très controversé barrage du Belo Monte.
Mgr Erwin Kräutler est né en 1939, à Koblach, au Vorarlberg (Autriche), au sein d’une famille catholique pratiquante. Très jeune, il «sait» qu’il deviendra missionnaire. «J’ai senti naître cette vocation en dévorant les lettres de mon oncle, Eurico Kräutler», qui fut lui-même missionnaire et évêque de la prélature territoriale de Xingu, se souvient-il. Il y racontait le formidable travail à accomplir pour évangéliser les Indiens d’Amazonie.»
En novembre 1965, après le séminaire, le jeune membre de la société de vie apostolique des Missionnaires du Précieux-Sang embarque donc à Hambourg pour une traversée de trois semaines, destination Sao Luis, dans le nord du Brésil. «J’ai d’abord passé quelques mois à Belém, la capitale de l’Etat du Para, pour y apprendre le portugais et m’adapter à la chaleur et à l’humidité. Ensuite, j’ai rejoint Altamira». A l’époque, la plus vaste commune du monde (160’000 km2) ne comptait que 5’000 âmes (près de 100’000 aujourd’hui), mais constituait déjà une étape importante dans la «colonisation» de l’Amazonie.
Sur la «Transamazonienne»
L’arrivée d’Erwin Kräutler au Brésil coïncide en effet avec le début de la construction de la route nationale n° 230, appelée «Transamazonienne». Ce projet, imaginé par le pouvoir dictatorial de l’époque, avait pour objectif d’occuper ce territoire immense et encore vierge. «L’Etat distribuait 100 hectares à chaque famille de colons venus du sud du pays, précise Dom Erwin. Avec un slogan resté célèbre: ‘Une terre sans homme pour des hommes sans terre’. Mais les conditions de vie étaient terribles et seuls 15 % de ces colons sont restés…»
Les autres, découragés par la chaleur et l’humidité, ont vendu leurs terres à des fazendeiros qui se sont constitués d’immenses propriétés. Pendant près de 20 ans, dom Erwin va être le témoin des premiers déboisements sauvages. Il dénonce les conflits entre les grands fermiers et les Indiens d’Amazonie, qui revendiquent la propriété des terres au nom de leurs ancêtres. «C’est à ce moment-là que j’ai commencé à recevoir les premières menaces», se souvient le prélat.
Menaces de mort et tentative d’assassinat
Des menaces qui ne cesseront de s’amplifier, même lorsqu’il deviendra évêque de la prélature de Xingu, à Altamira, en 1981, et qu’il assumera la présidence du Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI), Cet organisme lié à la Conférence épiscopale du Brésil (CNBB) est chargé de défendre les droits des peuples indigènes. Au point que le 16 octobre 1987, alors qu’il allait célébrer l’eucharistie dans une ville voisine, la voiture de Mgr Kräutler est volontairement percutée par un camion.
Gravement blessé, l’évêque voit le Père Salvatore Deiana qui l’accompagnait mourir sous ses yeux. Six semaines après cette tentative d’assassinat, «Dom Erwin» comme on l’appelle au Brésil, sort enfin de l’hôpital.
Plus déterminé que jamais, il se fait naturaliser brésilien et décide de s’investir sans compter. En plus de son travail pastoral qui le pousse sans cesse sur les routes d’une prélature vaste comme quatre fois la Suisse, Dom Erwin se bat en effet sur tous les fronts. Il multiplie les actions en justice contre les grands propriétaires pour détention illégale de terres, esclavagisme ou encore violences faites aux populations locales. Il poursuit sa lutte aux côtés des Indiens et soutient le modèle économique des communautés «extractivistes», qui s’attachent à exploiter de manière responsable les ressources naturelles non ligneuses de la forêt.
«L’évêque du Xingu doit mourir»
Ces prises de position lui valent des menaces de mort de plus en plus fréquentes. Des menaces qui se manifestent le plus souvent sous forme de rumeurs, du genre: «L’évêque du Xingu doit mourir». Mais, en 2006, la tension monte encore d’un cran. D’abord, avec une lettre anonyme qui circule en ville. «On pouvait y lire que je prétendais être un ‘martyr’, et que je cherchais seulement à attirer l’attention des médias».
Puis, le 22 décembre, un coup de fil anonyme à l’évêché avertit que «si Dom Erwin apparaît à la fête de Saint-Benoît, la semaine suivante, il mourra». A partir de là, la police militaire brésilienne a imposé une protection 24 heures sur 24 à l’évêque d’Altamira. Une mesure impossible à refuser.
Son amie Sœur Dorothy Stang est assassinée
D’autant que l’Etat ne pouvait se permettre un deuxième cas «Dorothy Stang», cette religieuse d’origine américaine de 73 ans, assassinée en février 2005 par deux hommes de main agissant à la solde de grands propriétaires. «C’était une amie, assure Dom Erwin, encore ému. Elle travaillait depuis plus de 20 ans à Anapu, une commune située dans la prélature d’Altamira, et luttait contre la déforestation en défendant un autre modèle de développement. Elle aussi était menacée. Mais elle n’a jamais cru que ces menaces seraient mises à exécution. Elle en est morte». L’évêque n’a jamais cessé de réclamer la poursuite des investigations sur l’assassinat de la missionnaire. Une enquête ponctuée de décisions de justice rocambolesques qui n’ont fait que renforcer sur place le sentiment d’impunité des grands propriétaires.
Le «mensonge» du Belo Monte
Le projet de construction de la centrale hydroélectrique de Belo Monte, sur le fleuve Xingu, constitue une autre source de menaces potentielles. Défendu à l’époque de son lancement par le président Lula et le ministère brésilien des Mines et de l’Energie, il doit officiellement permettre de produire une partie des besoins en énergie électrique d’Altamira. Le problème, c’est que la construction du barrage va entraîner l’inondation de milliers d’hectares de terres sur lesquelles vivent des populations indigènes ou ribeirinhas (habitants du bord du fleuve).
«Ce complexe hydroélectrique n’est qu’un vaste mensonge, tonne Dom Erwin. Car on ne parle que des retombées financières et on oublie les coûts sociaux, humains et environnementaux. En plus, de nombreux scientifiques assurent qu’un seul barrage n’est pas suffisant pour faire fonctionner le nombre important de turbines prévue». Conséquence ? «D’autres barrages devront être construits, inondant de nouvelles zones indigènes, y compris celles qui sont officiellement reconnues par l’Etat.» Et ce, au mépris de la Constitution, stipulant que les populations locales et indigènes doivent être consultées avant tout grand projet.
Marche quotidienne dès 4 h 45 du matin
Peur de rien, ni de personne. Voilà la réputation acquise par Mgr Erwin Kräutler, après quatre décennies au cœur de l’Amazonie. Un courage doublé d’une volonté de lutter contre l’impunité des nantis. Ainsi le prélat dénonce-t-il à partir de 2006 l’existence d’un réseau pédophile à Altamira, mettant en cause des politiciens locaux et des exploitants forestiers. Un tremblement de terre qui, d’après Dom Erwin, «a été la goutte qui a fait déborder le vase».
«Alors, si le prix à payer est de supporter la présence permanente de trois gardes du corps, et même si je me sens parfois prisonnier, je l’accepte !» Y compris, dès 4 h 45 du matin, lorsque, baskets aux pieds, il effectue – en 45 minutes – ses 5 kilomètres de marche quotidienne, encadré par des policiers qui avouent «avoir été surpris» au début par l’énergie (très) matinale de leur «protégé» septuagénaire !
Pour l’ordination de «viri probati»
Ces derniers mois, Dom Erwin a été marqué par la nouvelle vague d’assassinats qui a secoué Anapu, la petite ville où Sœur Dorothy a été assassinée. Une nouvelle preuve que «l’impunité est toujours aussi grande dans cette région». Autre préoccupation du prélat, le manque de prêtres qui touche le Brésil, comme l’ensemble du continent latino-américain. C’est dans ce sens qu’avec le cardinal brésilien Claudio Hummes, ancien préfet de la Congrégation pontificale pour le clergé, l’évêque du Xingu a proposé au pape François de réfléchir sur la possibilité d’ordination des «viri probati», des hommes mariés dont la foi a été éprouvée au sein d’une communauté.
Une réflexion que Mgr Kräutler va sans doute continuer de mener, comme il réfléchit à «ce que représente aujourd’hui le travail de missionnaire» et à ce que pourrait être «un modèle de développement plus respectueux du vivant». Sur ce dernier point, il avoue s’inspirer de ses nombreuses rencontres avec les caciques indiens, côtoyés dans le cadre du Conseil Indigéniste Missionnaire. Notamment les Kaiapo du Xingu, dont il a fini par apprendre la langue. «A leur contact, je me suis rendu compte que seuls les Indiens se préoccupent du futur, assure-t-il. Alors que les Blancs, eux, ne regardent que le présent». Quitte à hypothéquer l’avenir de la planète. Et à menacer de mort ceux qui se battent pour la vie.
Un «intellectuel» franciscain pour remplacer Mgr Kräutler
Le Frère Joao Muniz Alves est né le 8 janvier 1961 à Santa Rita, dans l’Etat du Maranhao, au nord du Brésil. Franciscain, il a été ordonné prêtre le 4 septembre 1993. Il a étudié la philosophie et la théologie au Grand séminaire du Sacré-Cœur de Jésus à Teresina, dans l’Etat du Piauí, dans le Nordeste brésilien. Il a ensuite poursuivi ses études à Rome, à l’Université pontificale Antonianum et à l’Académie pontificale Alfonsianum, où a obtenu respectivement un doctorat en philosophie et un doctorat en théologie morale.
Entre 1995 et 2001, le religieux franciscain a été responsable de la Pastorale vocationnelle de la province. Il a notamment travaillé au Mozambique comme responsable de la communauté de Santa Clara de Assis. Juste avant d’être nommé à la tête de la prélature du Xingu, le Frère Joao Muniz Alves était professeur de Théologie Morale à l’Institut d’Etudes Supérieures du Maranhão et gardien de la communauté franciscaine de Sao Luis do Maranhão. (cath.ch-apic/jcg/be)