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Homélie

Homélie du 20 février 2022 (Lc 6, 27-38)

Abbé Vincent Lafargue, Chapelle de glace, Leysin, VD

Cher Amis,

…Je n›arrive pas à pardonner parce que je n’arrive pas à oublier…

Voilà une phrase que j’entends très souvent de la part de personnes en détresse qui viennent vers moi et qui me disent : « Comment faire ? »

Mais trop souvent, Chers Amis, nous relions ces deux verbes. Pardonner et oublier. Et même nous les subordonnons l’un à l’autre : on ne pourrait pardonner que si l’on arrive à oublier. C’est faux ! C’est faux et c’est une erreur redoutable qui nous empêche de pardonner.

Imaginez deux personnes qui se font du mal. Elles ont été très, très dures l’une envers l’autre, il y a eu des mots terribles ! Leur haine a creusé entre elles un torrent. Un torrent bien de chez nous, un torrent de nos montagnes qui charrie ses cailloux, qui fait un bruit pas possible !

Et comme leur colère a creusé ce torrent entre elles, ces deux personnes se trouvent séparées : l’une sur une rive et l’autre sur l’autre rive.

Le torrent fait un bruit assourdissant. Ces deux personnes ne peuvent plus s’entendre, au propre comme au figuré. Et ce torrent est infranchissable. On ne peut pas le passer à pied sec, c’est impossible, le courant est trop fort.
Pardonner, c’est décider de construire un pont par-dessus ce torrent. C’est d’ailleurs précisément le sens du verbe « pardonner ». En français, on entend bien le verbe « donner », et la préposition « par » : « PAR-donner » c’est donner PAR-DESSUS… c’est donner par-dessus ce qui nous a séparés. C’est choisir de construire un pont. Par-donner.

Est-ce pour autant oublier ? Autrement dit : est-ce que le pont va supprimer le torrent ? Évidemment non, ce serait absurde ! Sinon on ne construirait pas un pont ! Le pont ne va pas effacer le torrent, c’est bien pour ça qu’il est nécessaire de le construire, ce pont !

Alors, évidemment, comme pour la plupart de nos ponts on commence d’un côté. C’est d’abord l’un des protagonistes qui va commencer à construire… il faut bien qu’il y en ait un qui commence.

Peu importe qui prend l’initiative de construire le pont, l’important… c’est de le construire.

Et une fois terminé, le pont va permettre aux deux personnes de se retrouver. Au milieu, ou d’un côté ou de l’autre, peu importe.

Mais vont-elles s’entendre pour autant ? Mais non, je vous l’ai dit : le torrent fait encre beaucoup trop de bruit, on ne s’entend pas en restant à côté, le nez sur ce qui nous a séparé.

Il va falloir faire un bout de chemin ensemble, s’éloigner ensemble du torrent. Alors le bruit se fera moins fort, de pas en pas, et nous pourrons mieux nous entendre.

Vous voyez, Chers Amis, on peut pardonner sans oublier. C’est même nécessaire, je crois.

Dans notre première lecture, force est de constater que David a de sacrées bonnes raisons d’en vouloir à mort à son ennemi, Saül. Je ne vous fais pas tout l’historique, il faudrait relire toutes les pages qui précèdent. Mais il a des raisons violentes de vouloir la mort de son ennemi. Et son ennemi est là, il est livré devant lui, il dort qui plus est, sa lance à côté de lui. David peut enfin se venger. Et on l’incite même à le faire, vous l’avez entendu.

Et que fait David ? Il prend la lance, mais il l’emporte avec lui. « Regardez, nous dit-il… j’aurais pu le tuer… mais je ne l’ai pas fait. »

C’est la première étape du pardon, Chers Amis. Ça s’appelle la « non-vengeance ». Ne pas vouloir se venger – alors que le sentiment de vengeance est quelque chose de très humain ! Nous le ressentons dans notre vie au moins l’une ou l’autre fois.

Mais ne pas vouloir se venger c’est la première et indispensable étape à un chemin de pardon.

La deuxième est plus compliquée. C’est Jésus qui nous la proposait dans l’Evangile : aimer la personne qui nous a fait du mal, aimer notre offenseur.

Ça, c’est dur.

Parce que si vous détestez quelqu’un, au point qu’un torrent se soit creusé entre vous, ça va être difficile, juste après, d’aimer cette personne.

Et pourtant c’est une étape indispensable à la construction du pont… parce que si vous détestez toujours la personne qui est de l’autre côté, jamais vous n’allez entreprendre la construction de ce pont.

Et si c’est elle qui commence à construire, vous allez partir en courant, si vous la détestez toujours, c’est logique.

Deuxième condition à la construction du pont du pardon : aimer la personne.

Alors aimer, ce n’est pas, tout de suite, lui faire du bien, c’est déjà lui VOULOIR du bien.

Si quelqu’un m’a fait du mal, je ne souhaite pas que cette personne soit malheureuse toute sa vie !

Je souhaite qu’elle soit heureuse, dans sa vie.

Et même, pourquoi pas, si j’estime que le mal qu’elle m’a fait vient de ses propres souffrances à elle, je peux souhaiter que ses souffrances s’apaisent pour qu’elle ne fasse pas le même mal encore à quelqu’un d’autre. Je lui veux du bien.

Même si j’ai de la peine, pour l’instant, à l’aimer, cette personne. Mais je lui veux du bien.

Vouloir le bien de l’autre, c’est la deuxième étape.

Vouloir que l’autre soit aimé de Dieu. Or nous sommes tous aimés de Dieu de la même manière !

Vouloir que Dieu lui pardonne, déjà, avant que moi je puisse lui pardonner.

Et au passage, Chers Amis, le Christ sur la croix n’a pas dit « Je vous pardonne ! »…

Peut-être que lui aussi avait de la peine à aller directement à cette étape-là face aux gens qui étaient en train de le mettre à mort. Il a dit « Père, pardonne-leur ! » …« Père, pardonne-leur ! », c’est tout autre chose !

Si à chaque fois que nous n’arrivons pas à pardonner à quelqu’un, nous arrivons déjà à dire dans notre cœur : « Seigneur, pardonne à cette personne ! Moi je n’y arrive pas mais toi, pardonne-lui ! »… eh bien je crois qu’on aura fait un pas de géant !

C’est ça, déjà, aimer notre ennemi, lui vouloir du bien. « Père, pardonne à cette personne ! Et puis moi, un jour, aide-moi à faire ce chemin, à construire ce pont. Mais toi, déjà, pardonne-lui. »

C’est cette deuxième étape qui va nous permettre ensuite de construire le pont, de vivre la troisième, le pardon.

Et lorsque nous aurons construit puis traversé ce pont, nous serons des êtres spirituels, l’un et l’autre. Nous n’aurons évidemment pas oublié le mal qui nous a séparés, mais nous l’aurons dépassé.

Nous aurons changé en lumière les ténèbres qui nous séparaient, avec l’aide de Dieu.

Quand nous construisons le pont du pardon, nous devenons ces êtres spirituels dont parlait Paul dans la deuxième lecture. Nous ne sommes plus le vieil Adam, nous sommes des êtres de lumière, lorsque nous pardonnons.

Nous devenons cet être spirituel qui nous est promis.

Alors Chers Amis, je ne sais pas où vous en êtes dans la construction des ponts sur les torrents qui nous ont séparé des personnes qui nous ont fait du mal ou à qui nous avons fait du mal… mais dépêchons-nous d’entreprendre la construction de ces ponts !

Pardonner, ce n’est évidemment pas oublier. Mais c’est aller tellement plus loin ensemble… je crois.

7e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : 1 Samuel 26, 2.7-9.12-13.22-23; Psaume 102, 1-2, 3-4, 8.10, 12-13; 1 Corinthiens 15, 45-49; Luc 6, 27-38

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20 février 2022 | 09:35
Temps de lecture: env. 5 min.
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