Vous avez dit «Guerre juste»?
«Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle, mais pourvu que ce fut en une juste guerre», écrivait Charles Péguy mort sur les champs de bataille en 1914. Depuis un siècle, l’idée de déclarer une guerre «juste» n’est venue à personne. Car il n’existe pas de guerre qui n’engendre ses injustes barbaries.
Et voilà qu’en août, François semble rompre avec ce consensus en évoquant la guerre en Irak et l’avancée des hordes de l’Etat dit «islamique»: «Dans les cas où il y a une agression injuste, je peux seulement dire qu’il est légitime d’arrêter l’agresseur injuste». Il précise : «Je souligne le verbe stopper. Je ne dis pas bombarder ou faire la guerre, mais arrêter (…) Les moyens par lesquels l’agresseur doit être stoppé doivent être évalués. (…) Une seule nation ne peut pas décider comment il (l’agresseur injuste) doit être arrêté», allusion transparente à la politique américaine. Le pontife joue la carte des Nations Unies.
Certains ont voulu trouver dans ses propos un retour à l’antique notion de «guerre juste» née à partir du XIIIe siècle, dans un contexte qui n’est plus celui d’aujourd’hui. Pour justifier les Croisades, disent les uns; pour limiter les affrontements entre seigneurs chrétiens, disent les autres; peut-être aussi pour empêcher de stupides souffrances charriées par le «fléau de la guerre», comme notaient nos antiques livres de prière. Pour être déclarée «juste», une guerre devait répondre à certaines conditions. L’autorité qui menait la guerre devait être légitime, son intention droite, c’est-à-dire viser le bien commun et non pas son intérêt particulier. Etait donc interdite la guerre totale. De plus, tous les autres moyens non-violents d’y mettre fin devaient être inapplicables ou inefficaces, et les moyens militaires utilisés proportionnés. Enfin, l’espérance de succès devait être raisonnable.
Reconnaissons que ces critères, venus d’un autre âge, ne sont pas réunis aujourd’hui. Seul le second – une allusion à la guerre totale menée par l’Etat dit islamique – ne prête pas à discussion. Le premier peut se discuter: en appeler à l’ONU a le mérite d’éviter cette apparence de «guerre privée» menée par les Etats-Unis, mais n’empêche pas la suspicion portée sur la légitimité de cet organisme international qui a figé les rapports de force nés de la dernière guerre mondiale. Quant aux deux derniers, qui touchent les moyens proportionnés et l’espérance de succès, ils sont sujets à interprétation des forces et des stratégies en présence. Bref, le pape François ne se cache pas derrière le gros mot de «guerre juste». Et c’est une bonne chose. Car il cherche moins la minutie conceptuelle que la compassion active, fût-elle stratégiquement risquée, envers ceux qui souffrent.
Etienne Perrot sj
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