

Une hâte qui n’occulte ni crainte ni angoisse
Méditation de Carême (3)
La hâte dont nous parlons n’est pas une histoire légère. Elle n’est pas que joie, n’annule pas la souffrance. Dans les évangiles, l’angoisse et la crainte tiennent une place importante sur laquelle j’aimerais m’attarder un peu. Et je crois qu’elles sont fortement liées à la hâte car elles sont des jalons de ce saisissement existentiel que nous essayons ici d’explorer.
Tout d’abord, je dirais qu’il y a une sorte de dialectique permanente dans les Évangiles entre la crainte et la paix. Le mot «crainte» revient 17 fois chez Luc dans la traduction liturgique. Elle est un saisissement, une surprise, une peur. Souvent, cette crainte apparaît quand les personnes autour de Jésus sont impressionnées par lui. Elles sont comme stoppées net de l’intérieur devant un événement ou une parole étonnants de Jésus. La crainte vient interroger: que se passe-t-il vraiment ici? Mais Jésus s’efforce aussi de rassurer: «Sois sans crainte petit troupeau: votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume» (12, 32).
«Jésus lui-même n’a pas été exempt de l’angoisse, mais surtout, la voie qu’il propose traversera inévitablement cette angoisse»
Puis, au-delà de la crainte, il y a aussi, plus dramatique, la question de l’angoisse. Au milieu de l’Évangile de Luc se trouve passage un peu mystérieux: «Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli!» (12, 49-50) Jésus énumère ensuite les divisions qui arriveront au sein des familles à cause de son nom. Ce moment où Jésus formule très explicitement le fait qu’il est lui-même angoissé met le doigt sur un aspect assez crucial de l’Évangile. Jésus lui-même n’a pas été exempt de l’angoisse, mais surtout, la voie qu’il propose traversera inévitablement cette angoisse.
On le sent même dans la forme prise par le récit évangélique: il y a une montée de la violence et les paraboles en sont un bon exemple. L’ultime parabole chez Luc est celle des vignerons homicides, qui tuent le fils du maître venu demander des comptes (9, 18). On est loin de l’ambiance des premières paraboles: pièce de tissu recousue, semeur, etc.
«L’exercice de lucidité qui nous est proposé ne trouve pas son terme dans l’angoisse de la mort mais dans la sérénité de la résurrection»
L’angoisse qui habite Jésus semble tournée vers la hâte que tous aient la foi ou connaissent la vie de Dieu. En cela, peut-être que ce feu qui doit être allumé est un pivot de l’Évangile de Luc. La hâte est désormais portée aussi par cette urgence, cette angoisse. Elle est une sorte de clé pour monter vers la passion puis, il me semble qu’elle s’évapore totalement à la Résurrection. Au fracas de la mort succède l’étonnante douceur, le calme serein de la résurrection. Alors, Jésus a fait tout ce qui était en son pouvoir, c’est à présent aux humains de se positionner. De choisir.
«Il y a des choses qu’on ne voit comme il faut qu’avec des yeux qui ont pleuré», écrivait le dominicain Henri Lacrodaire. Le chemin proposé par l’Évangile ne s’affranchit pas de ces pleurs, simplement, ce n’est pas le terme. L’exercice de lucidité qui nous est proposé ne trouve pas son terme dans l’angoisse de la mort mais dans la sérénité de la résurrection. Pourtant, la seconde ne va pas sans la première…
Marie Larivé
24 mars 2025
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